L'image du Québec aux États-Unis

Léo Paré
«Quoi de plus naturel que de se préoccuper de son image dans l'oeil de l'autre? Et c'est à juste titre que les Québécois se soucient de ce que les Américains pensent d'eux, vu l'importance des États-Unis pour le Québec. Par ailleurs, la réaction des Québécois aux critiques occasionnelles des Américains manifesterait de leur part une trop grande susceptibilité.

La question de l'image qu'un peuple se forme d'un autre peuple est pleine d'embûches. La saisie d'un objet matériel n'est déjà pas une mince affaire. L'on sait la complexité de l'analyse de l'image de soi dans le regard de l'autre. Et il ne s'agit encore, dans sa réalité concrète, que de l'image qu'un individu se fait d'un autre. Pour parvenir à l'idée qu'un groupe se fait d'un autre groupe, que de simplifications, que de généralisations il faut faire. Et à quelles conditions, dans quelles limites sont-elles valables?

S'agit-il, dans l'image que les Américains se font du Québec, de définir le plus petit commun dénominateur ou de repérer l'image que se font du Québec ceux dont l'opinion importe? Il faut alors préciser de quel groupe l'on parle ou quelle préoccupation nous anime. Par exemple si l'on pense à l'impact de cette image sur le tourisme, on peut considérer soit une très vaste population, soit un nombre déterminé de leaders selon que l'on songe au tourisme de loisir des vacanciers ou au tourisme d'affaires, aux congrès et conventions.

Il y a donc un grand nombre d'images du Québec aux États-Unis, d'autant plus qu'il s'agit d'un pays multiple composé non seulement de plusieurs États mais également de nombreux secteurs sociaux ou professionnels relativement autarciques. Ainsi, l'image la plus générale serait d'un simplisme décourageant: le Québec serait une partie du Canada vaguement située au nord-est du continent et où il fait froid; on y joue au hockey et on y parle français. On pourrait presque parler, à ce degré de généralisation, d'une absence d'image du Québec. D'autant plus que le froid et le hockey ne distinguent pas notre image de celle du Canada entier.

Il ne faut donc pas penser que les Américains nous connaissent comme nous les connaissons. Nos cinémas présentent surtout des films américains, leurs cinémas aussi! Chaque jour notre télévision nous présente une abondance d'émissions américaines, des nouvelles provenant des États-Unis; leurs grands réseaux nous sont directement accessibles. Ce n'est évidemment pas le cas aux États-Unis par rapport au Québec. Les Américains vivent au jour le jour en se préoccupant d'eux-mêmes, en se donnant en spectacle à eux-mêmes, alors que tous les jours nous nous préoccupons de l'autre et souvent par l'Américain. Il s'agit d'une réalité que le Québec n'est pas le seul à vivre: le monde entier le vit à un degré ou à un autre. Mais c'est sans doute au Québec et au Canada anglais que cette situation est la plus intense - liens de voisinage et de dépendance obligent.

C'est dire que pour nous faire une idée juste des images du Québec que se font les Américains, il nous faut savoir ce que sont les États-Unis et quelle place l'image de l'autre peut tenir dans l'imaginaire de leurs citoyens. Il nous faut savoir ce qu'est le Québec face à son voisin du Sud. Il y a matière à écrire un livre. Ce que Alfred Hero, un universitaire américain et Louis Balthazar, un universitaire québécois, ont fait: Contemporary Québec and the United-States: 1960-1985 (University Press of America, 1988). On y définit les réalités et les perceptions, on y situe le Québec et le Canada anglais face aux USA, on y décrit les relations Québec/ États-Unis en matières culturelles, politiques et économiques. Il n'est plus possible d'étudier ces questions sans s'y référer.

Il faudra donc, pour chaque image, préciser de quel secteur nous parlons. S'agit-il de l'image que les médias projettent? De celle qu'en a le secteur des arts, le monde économique, l'élite politique, etc.? Chacune a ses caractéristiques propres.


Les médias

Aborder la question de l'image du Québec aux États-Unis c'est d'abord se référer à l'image que les médias en projettent. Les exposés, nouvelles ou reportages sur le Québec présentés dans la presse écrite ou électronique sont sensés refléter les perceptions et les valeurs américaines et contribuer fortement à façonner l'image que les Américains se font du Québec. Toutefois, lorsqu'elle rapporte ce qui se passe au Québec, la presse américaine, plus souvent qu'autrement, reproduit ce qui s'écrit au Canada anglais. "What the people of the United States are seeing and hearing is an Anglo-Canadian version of events in Québec" écrit Stephen Banker. Non seulement de nombreux Canadiens anglais travaillent dans les médias américains, mais ces derniers reprennent souvent ce qui se dit dans les médias canadiens-anglais sans même indiquer qu'il s'agit d'une source étrangère. Les nouvelles du Québec sont donc présentées aux Américains à travers le prisme de la sensibilité et des préoccupations du Canada anglais plutôt qu'à travers le prisme américain.


Les arts

Les artistes du Québec sont souvent présents sur les scènes et dans les galeries d'art américaines, surtout à New York. Ils y sont très hautement appréciés. La réputation du Québec auprès de la communauté artistique, auprès de ceux qui suivent l'activité artistique, pourrait difficilement être meilleure. Le Québec - en particulier Montréal - y est considéré comme un des endroits les plus innovateurs au monde. Les secteurs de la musique, classique et contemporaine, de la danse, du théâtre - du théâtre pour enfant - et des arts visuels sont particulièrement appréciés. Il y a quelques années, le New York Times écrivait que Montréal était l'une des trois villes les plus créatrices au monde, les deux autres étant Barcelone et, bien sûr, New York.


Le secteur économique

Dans les pages économiques des journaux, le Québec est également présent de façon régulière. Il y est question d'Alcan, de Bombardier, de Donohue, de Power Corporation et de nombre d'autres compagnies et institutions financières. Mais combien de lecteurs américains se rendent compte qu'il s'agit du Québec ? Il faut toutefois signaler que le Journal of Commerce de New York maintient un bureau à Montréal et couvre la réalité économique du Québec de façon régulière et professionnelle. Il s'adresse à un public spécialisé: le milieu des affaires. Au-delà des journaux et autres publications, il importe de savoir que les milieux financiers de New York sont en contact avec les décideurs économiques et politiques du Québec depuis la fin du 19e siècle. Les grandes maisons financières disposent de responsables de haut niveau et d'analystes compétents qui sont familiers avec le Québec. Toutefois, il s'agit d'un milieu, comme celui des médias, où travaillent beaucoup de Canadiens anglais qui ne sont pas sans influencer la façon de voir d'un certain nombre d'Américains, particulièrement ceux qui ne bénéficient pas d'une connaissance directe des réalités québécoises.


L'environnement

L'environnement constitue un cas bien particulier qui exigerait un long développement. Il ne fait pas de doute que, en raison de la campagne des mouvements écologistes américains et des Autochtones, l'image du Québec a été fortement touchée. Notons seulement qu'il s'agit d'un phénomène soudain et récent, d'un phénomène de type fondamentaliste et irrationnel, d'un phénomène qui rejoint des intérêts économiques précis et qui ne se limite pas aux États-Unis.

Alors qu'il y a quelques années on parlait surtout de la pollution causée au Québec par les États-Unis (pluies acides, rejets toxiques dans les Grands Lacs et le Saint-Laurent) et du fait que le Québec aidait les États-Unis à moins polluer en leur vendant de l'énergie propre, voilà que du jour au lendemain le Québec est devenu "ce pelé, ce galeux, d'où [vient] tout le mal" (La Fontaine). On a donc vu apparaître une image fabriquée de toutes pièces, utilisant les plus énormes faussetés, mais rejoignant des attentes de la sensibilité américaine: soulageant le sentiment de culpabilité des Américains à l'égard des Amérindiens et satisfaisant le mythe rousseauiste de l'état de nature. Cette image a été répandue également en Europe. Ainsi, en réaction à un problème réel, la pollution, on retient une solution simpliste, la découverte d'un coupable, l'autre. Solution qui par hasard rejoint les intérêts des lobbys américains du charbon, du pétrole et du nucléaire, et, en Europe, les intérêts des papetières américaines. Oui, l'image du Québec en a souffert, mais c'est une image qui a peu à voir avec le Québec réel; c'est comme un ouragan qui nous arrive tout bêtement parce que nous sommes sur sa route.


La politique

Quelle image, enfin, le monde politique a-t-il du Québec? Notons à nouveau que le Québec ne peut occuper une large place dans les préoccupations des hommes politiques américains et qu'il est normal qu'ils considèrent le Québec à la lumière de leurs propres intérêts, le milieu politique américain étant d'ailleurs un libre marché des influences. Il faut aussi mentionner combien il est heureux que les relations du Québec avec les États frontaliers de la Nouvelle-Angleterre et de New York se soient développées de façon aussi importante et harmonieuse. Nous conduisons avec ces États une collaboration qui nous est mutuellement bénéfique et qui nous donne auprès des responsables politiques une réputation d'interlocuteurs fiables et imaginatifs, de collaborateurs efficaces et de partenaires économiques d'importance.

C'est toutefois à l'administration américaine à Washington que l'on pense lorsque l'on pose la question de l'image politique du Québec aux États-Unis, et c'est à la question constitutionnelle que l'on songe. Que pense Washington de la question de l'indépendance du Québec? Heureusement, l'excellent ouvrage de Jean-François Lisée, Dans l'oeil de l'aigle (Boréal, 1990) répond avec précision à cette question.

Pour les États-Unis, il s'agit d'une question interne qu'il appartient aux Canadiens de résoudre et dans laquelle les États-Unis n'ont pas à intervenir; ils ne cachent toutefois pas une préférence pour un Canada uni. Comme on l'a écrit, les États-Unis sont "neutres en faveur de l'unité". Est-ce si éloigné de la position de la France de "non-ingérence et de non-indifférence"? Peut-être pas. Sauf que, en l'exprimant, la France pense d'abord au Québec et les États-Unis pensent d'abord au Canada.

J'ai pu constater que les hommes politiques et les hauts fonctionnaires américains sont de mieux en mieux informés sur le Québec, que la question de la séparation ne les inquiète pas. Bien sûr, ils préfèrent un Canada uni, c'est plus simple. Mais plusieurs de ceux qui connaissent bien la question constatent que les intérêts américains ne sont pas en cause, le Québec étant économiquement viable, parfaitement capable de s'administrer seul et bien disposé à l'égard des États-Unis. Plusieurs se demandent s'il ne serait pas mieux de mettre fin à cette coûteuse crise constitutionnelle par la séparation du Québec si l'alternative est que cette crise doive s'éterniser.
En somme, dans la mesure où elle existe, et à l'exception de la question environnementale/autochtone reliée aux développements hydroélectriques, l'image du Québec aux États-Unis est bonne et dans bien des domaines, très bonne. Pour conforter cette image, il faut faire en sorte que les Américains viennent nous connaître par eux-mêmes. Par exemple, en favorisant le développement des études québécoises aux États-Unis, dans tous les domaines: langue, littérature, études sociales et politiques, études économiques. Et en favorisant les études américaines au Québec.»

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