« Un tramway nommé Laurier », une nouvelle de Pierre B. Berthelot dans le recueil Passés Composés

Le titre de la nouvelle, « Un tramway nommé Laurier », est bien sûr un clin d’œil à Tennessee Williams. La nouvelle prend place dans le recueil Passés Composés, paru chez Druide, dans lequel douze textes d’auteurs québécois ont été rassemblés par Richard Migneault. Les auteurs écrivent et réécrivent des tranches d’histoires inspirées de la vie de grands personnages de l’histoire du Québec. Frontenac, Kateri Tekakwitha, Louis Cyr et René Lévesque sont quelques-uns d’entre eux.
En plus de sa propre nouvelle, Berthelot a rédigé une biographie pour chacune de ces personnalités. Le lecteur peut donc faire le va-et-vient entre la fiction et la réalité historique. Chacune de ces nouvelles est ainsi une invitation à l’exploration historique autant qu’une expérience littéraire.
Mais qui est Laurier?
À quelle exploration Berthelot nous invite-t-il dans sa propre nouvelle? La nouvelle de Berthelot porte sur un financier canadien-anglais, Herbert Holt, mais son titre nous met sur la piste d’un mystérieux personnage nommé Laurier. On trouvera celui-ci à Montréal, en 1941, parmi les ouvriers qui travaillent à enlever des rails de tramways brisés. Ces ouvriers travaillent pour la Montreal Tramways Company, propriété de Holt.
Laurier Dorion et ses camarades triment dur, dans la chaleur et la poussière. Laurier, un travailleur atypique, n’est pas prédisposé au dur labeur. Comme d’autres, il travaille pour la compagnie de tramway pour survivre, parce que les temps sont durs. Une découverte viendra bouleverser leur quotidien et Laurier sera au cœur d’événements qu’on laissera au lecteur le plaisir de découvrir…
La réalité du capitalisme
La nouvelle de Berthelot est une leçon sur les conditions de vie difficiles des travailleurs québécois, dans la première moitié du XXe siècle. Le portrait socioéconomique qui sert de décors à la trame narrative est essentiel autant à ses ressorts qu’à la psychologie des personnages. Le travail surabondant, la nourriture, au contraire, très pauvre, l’autorité du contremaître anglophone, motivent les actions des personnages du texte.
Ce contexte de domination économique est surplombé par l’ombre de Holt. La biographie qui suit le texte nous apprend que ce Canadien d’origine irlandaise a régné sur un empire financier, commercial et industriel d’une ampleur inouïe. Son domaine s’étendait à la grandeur du Canada et totalisait une des plus grandes fortunes du pays. Comme Berthelot le fait remarquer, Holt est maintenant tombé dans l’oubli. La nouvelle ramène à notre mémoire non Holt lui-même, mais la réalité de son empire pour les travailleurs qui lui étaient soumis.
Une question d’échelle
De la grande histoire à la littérature, il y a un changement d’échelle, de perspective. La littérature nous permet d’explorer une parcelle de cet empire, au ras du sol. Dans la nouvelle, Laurier et le groupe de travailleurs apparaissent enchaînés à un lieu restreint, un segment d’une seule ligne de tramway. La vie des travailleurs qui, dans la réalité historique, se réduit à une infime partie d’un empire reprend dans le récit littéraire une dimension vraiment humaine.
Il ressort de la nouvelle une impression inquiétante. Le personnage de Laurier a quelque chose d’énigmatique. Une violence sourde se fait sentir dans la nouvelle, sans être directement présente. C’est dans ce contexte troublant que nous voyons luire brièvement, comme des étincelles, quelques moments de la vie de ceux qui ont œuvré à un immense empire. C’est une petite victoire contre l’oubli.







