Carle Gilles

1929
Originaire de Maniwaki, Gilles Carle quitte la région de l’Outaouais et fréquente successivement l’École des Beaux-Arts, l’École des Arts graphiques et l’Université de Montréal où il suit des cours en belles-lettres. Ses goûts éclectiques l'amènent à s'intéresser à la publicité, la peinture, l’histoire de l’art, l’imprimerie, la gravure, la photographie et la littérature. Il y consacre ses premières années d'études qu’il complète par des stages à l’étranger, à Paris, Rome et Bruges. Il subvient à ses besoins en exerçant tous les métiers: il se fait laitier, camionneur, draveur, bûcheron, mineur, comptable, dessinateur, danseur, figurant et correcteur d’épreuve selon les besoins du moment et les occasions qui se présentent à lui.

En 1953, Gilles Carle joint sa voix au groupuscule qui se réunit autour du poète Gaston Miron pour fonder l’Hexagone, une maison d'édition vouée à la publication de poétes canadiens-français qui publie en guise de coup d'envoi, Deux sangs, un recueil de poèmes de Gaston Miron et d’Olivier Marchand. Hexagone deviendra rapidement un joueur important du monde de l’édition au Québec. Gilles Carle participe également à la création des revues L’Écran et Liberté (1959). Il collabore, sous quatre pseudonymes différents, à plusieurs revues et journaux en tant que critique de littérature, de cinéma et de télévision.

Tout en continuant à écrire critiques, nouvelles et poésie, Gilles Carle travaille au département d’art graphique de Radio-Canada de 1955 à 1960. Il fait ensuite son entrée à l’Office National du Film (ONF) où il est tout d’abord recherchiste, puis scénariste et finalement réalisateur. Son premier film en tant que réalisateur, le court-métrage Dimanche d’Amérique (1961), est un documentaire portant sur la communauté italienne de Montréal, dans le style du candid eye et du cinéma direct caractéristique de la production de l’ONF de l’époque. Après une série de documentaires de facture assez classique, Carle réalise en 1964 Percé on the rocks, un court-métrage où il traque avec sa caméra, avec cet humour caustique, débonnaire, où les extravagances surréalistes forment un ménage étonnant avec une certaine rusticité, qui deviendra en quelque sorte sa signature, un des attraits touristiques les plus connus du Québec, le Rocher Percé en Gaspésie.

Un an plus tard, il obtient le Grand Prix du cinéma canadien pour son premier long-métrage, La vie heureuse de Léopold Z. Dans cette fiction, il met en scène, un camionneur affecté au déneigement des rues de Montréal, la veille de Noël. Occasion pour lui de tracer un portrait humoristique de la société québécoise, plus particulièrement des canadiens-français, des années 1960.

En 1966, Gilles Carle quitte l’ONF. Ses trois prochains films, Le viol d’une jeune fille douce (1968), Red (1970) et Les mâles (1971), sont produits par Onyx Films et son ami Pierre Lamy avec qui il fonde, en 1971, les Productions Carle-Lamy. En plus de produire certains des meilleurs films de Gilles Carle, cette compagnie portera à l'écran des films de Denys Arcand (La maudite galette, 1972), Jean-Claude Labrecque (Les Smattes, 1972) et Claude Jutra (Kamouraska, 1973).

Avec La vraie nature de Bernadette (1972), Gilles Carle signe une des œuvres les plus marquantes de la cinématographie québécoise et canadienne des années 1970. Dans ce film bien ancré dans son époque, où l'on assiste à mouvement de retour à la terre, Gilles Carle raconte l’histoire de Bernadette (Micheline Lanctôt) quittant la ville pour s’installer à la campagne. L'arrivée de Bernardette, femme émancipée, bouleverse la vie et les habitudes de ses nouveaux voisins. Bien plus qu’une série de simples anecdotes, c’est le choc entre ces deux mondes, celui des villes, consommées par un appétit de liberté et de modernité sans freins et celui du Québec profond, engourdi par le traditionnalisme, que Gilles Carle décrit avec brio dans ce film. Deuxième film du réalisateur présenté à Cannes — Le viol d’une jeune fille douce est présenté dans la section parallèle en 1969—, La vraie nature de Bernadette remporte cinq prix Génie de l’Académie canadienne du cinéma dont ceux du meilleur scénario et de la meilleure réalisation.

En 1973, Gilles Carle récidive avec La mort d’un bûcheron mettant en vedette Carole Laure. Cette dernière incarne le personnage de Marie Chapdelaine qui n’est pas sans rappeler l'héroïne légendaire du roman de Louis Hémon, Maria Chapdelaine, rôle que Carole Laure interprétera d'ailleurs, sous la direction de Gilles Carle dans le film éponyme en 1984. Dans La mort d’un bûcheron, Marie quitte la campagne et les bois pour se rendre à Montréal chercher les traces de son père, autrefois bûcheron et dont une grande compagnie forestière tente de cacher, maintenant qu’il est mort, le passé contestataire. Ce film marque le début d’une fructueuse collaboration entre le réalisateur et l’actrice. Des six films issus du duo Carle-Laure, trois seront projetés à Cannes: La mort d’un bûcheron (1973), La tête de Normande Saint-Onge (1976) et Fantastica (1980).

En 1981, Gilles Carle signe Les Plouffe, une adaptation du populaire roman de Roger Lemelin relatant la vie d’une famille québécoise des années 1940. C’est un des plus grands succès commerciaux des années 1980 au Québec. Vaste succès public, les récompenses sont à nouveau au rendez-vous. Le film est présenté à Cannes, en plus de remporter sept prix Génie.

Au milieu des années 1980, après Carole Laure, Gilles Carle se trouve une nouvelle muse en la personne de la jeune actrice Chloé Sainte-Marie. Le film La guêpe (1986) est mal reçu par le public et la critique. Les talents d’actrice de la jeune Sainte-Marie sont sérieusement mis en doute. Certains reprochent à Gilles Carle de s’être entêté à confier dans ses films suivants (La postière et Pudding chômeur), des rôles importants à celle qui partage également sa vie.

Pour le 50e anniversaire de l’ONF, Gilles Carle réalise un court-métrage retraçant l’histoire de la célèbre institution canadienne. Ce court-métrage sera primé au Festival de Cannes en 1989. C’est la septième présence de Carle sur la croisette, un exploit que peu de cinéastes canadiens ont jusqu’à présent réussi à égaler.

Au début des années 1990, le cruel diagnostic tombe: Gilles Carle est atteint de la maladie de Parkinson. En dépit des attaques de plus en plus graves de cette maladie dégénérative, il persiste et signe encore plusieurs œuvres, dont une remarquable série télévisée, Épopée en Amérique: une histoire populaire du Québec (1996-1997) qu’il conçoit avec l’aide de l’historien Jacques Lacoursière.

Gilles Carle est sans contredit un des cinéastes les plus marquants du Québec. Il a créé des œuvres qui, en plus d'atteindre à un rayonnement international, ont profondément marqué l’imaginaire collectif des Québécois.



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