Lamartine Alphonse de

21 octobre 1790-28 février 1869
Fils d’un gentilhomme dont la famille, originaire de la Bourgogne et de la Bresse, comptait de nombreuses et anciennes alliances dans ces deux provinces, il était l’aîné de six sœurs. Sa mère fut sa première éducatrice et lui apprit à lire dans la Bible illustrée ou plutôt, comme on disait alors, « historiée », connue sous le nom de Royaumont. Après avoir achevé ses études classiques au collège de Belley, dirigé par les pères de la Foi, il fit un premier voyage en Italie, puis vint à Paris et obtint de Talma la faveur de lui lire une tragédie qui ne fut jamais représentée. Echappé à la conscription qui décimait alors la jeunesse et que son aversion pour Napoléon lui eût rendu encore plus odieuse, il fit un nouveau séjour en Italie (1813), à Rome et à Naples, où il ébaucha le roman d’amour dont Graziella fut l’héroïne. Lors de la première Restauration, il entra dans les gardes du corps et y servit jusqu’à la fin des Cent-Jours. Après des années de rêveries, de séjours prolongés dans divers châteaux appartenant à son père ou à ses oncles, d’incertitude sur la carrière qu’il entendait suivre, il mit au net un recueil de poésies écrites sous des inspirations fort diverses, mais très différentes de celles que lui avait dictées durant son adolescence sa juvénile admiration pour Dorat et Parny. Ce recueil, présenté sans succès aux principaux éditeurs de la capitale et notamment à Pierre Didot dont Lamartine a conté plus tard la réception, trouva enfin asile dans une librairie classique et parut sous le titre de Méditations poétiques et religieuses (1820, in-18). Son succès dépassa toutes les espérances de l’auteur et il s’en vendit, affirme-t-on, jusqu’à 45 000 exemplaires en quatre ans.

Le 5 juin 1820 Lamartine épousait à Chambéry une jeune Anglaise protestante, miss Mary-Anne-Elisa Birch, et se rendait aussitôt à Naples en qualité d’attaché à la légation de France, poste qu’il échangea bientôt contre ceux de secrétaire d’ambassade à Londres et de chargé d’affaires en Toscane. De Nouvelles Méditations poétiques (1823), accueillies avec moins de faveur que les premières, furent suivies de deux poèmes, La Mort de Socrate et Le Dernier Chant de Childe Harold. Une apostrophe à l’Italie et à la « poussière humaine » dont elle était peuplée lui valut un duel avec le colonel Pepe qui releva le gant au nom de ses compatriotes et le blessa dangereusement. En 1825, un même décret de Charles X conféra la croix de la Légion d’honneur à Victor Hugo et à Lamartine qui rimèrent un mois plus tard l’un une Ode, l’autre un poème en l’honneur du sacre du vieux roi. Les premières éditions de ce Chant renferment quelques vers où le duc d’Orléans (plus tard Louis-Philippe) vit une allusion à son père (Philippe-Égalité) et que le poète s’empressa de supprimer. Le 5 novembre 1829, l’Académie française l’élut au fauteuil laissé vacant par le comte Daru. Il venait à peine d’y prendre séance lorsqu’il publia ses Harmonies poétiques et religieuses (2 volumes, 1830), où sa poésie atteint la plus grande élévation et se perd dans l’idéal. Il refusa peu de temps après le poste de ministre plénipotentiaire en Grèce quand Charles X dut reprendre le chemin de l’exil, voulant rester fidèle aux convictions de sa jeunesse. Il renonça dès lors à la carrière diplomatique et se présenta à la députation ; après deux échecs successifs à Toulon et un à Dunkerque où il avait sollicité un mandat de député, il partit au mois de mai 1832 pour l’Orient, sur un navire spécialement frété pour lui, accompagné de sa femme et de sa fille unique Julia, belle enfant d’une douzaine d’années, qui mourut à Beyrouth. Cette excursion de seize mois, accomplie dans des conditions véritablement fastueuses, qui lui furent plus tard amèrement reprochées, a été racontée par le poète dans son premier livre en prose : Voyage en Orient. Souvenirs, impressions, pensées et paysages (1835, 4 volumes in-8), dont le contenu justifie amplement son sous-titre par la variété, l’éclat, la profondeur des pages qui le composent.

Élu, pendant son absence, député à Bergues (Nord), puis à Mâcon, il resta député de Bergues jusqu’en 1837, puis opta pour sa ville natale, qu’il représenta constamment jusqu’en 1848 ; il se rallia d’abord à la monarchie de Juillet en faisant ses réserves et ne siégeant dans aucun groupe ; bien qu’il se fût révélé orateur dès qu’il eût pris la parole sur la discussion de l’adresse au roi, il n’eut pendant plusieurs années aucune influence sur les diverses législatures dont il fit partie. Malgré le nombre et l’importance des discours qu’il prononça en maintes circonstances, tantôt sur des matières générales (l’abolition de la peine de mort, la question d’Orient, la défense des études littéraires, l’assistance sociale), tantôt sur des sujets tout techniques, comme l’industrie du sucre où il fit preuve de connaissances spéciales tout à fait inattendues, il n’avait pas dit adieu aux lettres. En 1835, le magnifique poème Jocelyn, présenté comme le fragment d’un vaste cycle humanitaire, qui devait embrasser tous les âges et toutes les conditions, obtint un succès que ne retrouva pas, deux ans plus tard, La Chute d’un ange, autre fragment de ce même ensemble dont un troisième épisode, intitulé Les Pêcheurs, n’a pas vu le jour, parce que le manuscrit en fut perdu ou détruit, durant un voyage aux Pyrénées. Les Recueillements poétiques qui parurent en 1839 sont précédés d’une préface en prose où l’auteur, prêchant d’exemple, expose les devoirs sociaux du poète.

Volontairement écarté de diverses combinaisons ministérielles et s’éloignant un peu plus chaque jour de ce qu’il avait lui-même défini le « parti des bornes », contre lequel il appelait de tous ses vœux la « révolution du mépris », démocrate-conservateur, comme il s’était qualifié lui-même, il se rapprochait chaque jour davantage du parti radical et socialiste ; il porta un dernier coup à la monarchie de Juillet moins encore par son adhésion aux banquets réformistes qui préludèrent à la chute du dernier ministère Guizot, que par sa publication de l’Histoire des Girondins (1847, 8 volumes in-8 et in-18). Sévèrement jugé depuis par la critique historique, écrit hâtivement sur des documents de seconde main, ou d’après les témoignages confus ou pleins de réticence des derniers survivants de cette grande époque, ce livre, né de cette pensée « que le sang ne souille pas l’idée qui le fait couler » et que « toute vérité descend d’un échafaud », eut sur la marche des esprits une influence indéniable.

Le 24 février 1848, Lamartine fut de ceux qui réclamèrent l’institution d’un gouvernement provisoire, mais non la proclamation de la République qu’il dut accepter néanmoins comme un fait accompli. Personne n’a oublié le rôle courageux qu’il joua à l’Hôtel de Ville, ni avec quelle éloquence il combattit les factieux ou les égarés qui menaçaient la paix publique. La circulaire qu’il adressa, en qualité de ministre des Affaires étrangères, aux puissances européennes, commentait et développait le programme généreux et vague qu’il avait maintes fois exposé, parfois au péril de sa vie, aux députations de toutes nuances qui se succédaient sans interruption sur la place de Grève. Ce fut l’apogée de sa popularité et elle était alors telle que dix départements l’envoyèrent simultanément à l’Assemblée constituante. Il opta pour celui de la Seine, qui l’avait placé le premier sur une liste de trente-quatre noms. Acclamé par ses collègues lorsqu’il rendit compte de son administration, il vit décroître promptement son prestige, soit lorsqu’il fut élu, non sans peine, membre de la commission exécutive, dont Ledru-Rollin était le chef, soit après les journées de Juin, soit enfin lors de l’élection à la présidence de la République, pour laquelle il ne recueillit que quelques milliers de suffrages. Cette réaction s’accentua davantage encore l’année suivante, où il ne se trouva qu’un seul département, celui du Loiret, pour l’envoyer siéger à l’Assemblée législative jusqu’au jour où le coup d’État du 2 décembre le rendit aux lettres.

Durant de longues années Lamartine avait dépensé, avec l’insouciance traditionnelle du grand seigneur et de l’artiste, la fortune considérable que sa femme lui avait apportée en dot et les revenus qu’il tirait de la vente de ses livres et de l’exploitation de ses vignobles du Mâconnais. Tombé du pouvoir, il dut en même temps faire face à la ruine. Il ne suffit à combler le déficit ni par la vente des vastes concessions territoriales que lui avait accordées le sultan, ni par la cession de ses œuvres anciennes à une société spéciale, ni par la mise en vente ou en loterie de ses domaines de Milly et de Saint-Point. Bien qu’il ait pu dire (dans la préface des Recueillements) avec la fatuité du génie : « J’écris en vers quand je n’ai pas le temps d’écrire en prose », c’est à la prose qu’il demanda des ressources, car son drame de Toussaint Louverture joué à la Porte-Saint-Martin par Frédérick Lemaître (août 1850) et Les Visions (1852, in-16), fragment dont la conception remontait sans doute à celle de La Chute d’un Ange, furent ses adieux à la poésie. Raphaël (1849), Les Confidences (1849) et Les Nouvelles Confidences (1851), Geneviève, histoire d’une Servante (1850), Le Tailleur de pierre de Saint-Point (1851), Graziella (1852), que lui dictèrent des réminiscences personnelles ou les souvenirs du pays natal, offrent encore de nombreuses pages dignes de prendre rang non loin des chefs-d’œuvres de sa jeunesse. On ne saurait porter un jugement aussi favorable sur les volumineuses improvisations intitulées : Trois Mois au pouvoir (1848), Histoire de la Révolution de 1848 (1849) ; Histoire des Constituants (1850) ; Histoire de la Restauration (1852) ; Histoire de la Turquie (1854) ; Histoire de la Russie (1855) ; celle-ci empruntée trop littéralement aux travaux de Schnitzler à qui Lamartine donna publiquement acte de sa protestation. De 1856 à 1867 l’auteur publia en outre sous forme d’Entretiens mensuels un Cours de littérature où il jugeait tour à tour, sans plan défini et parfois avec une extrême partialité, les anciens et les modernes. À ce labeur démesuré succéda l’affaissement total de ses facultés et il se survécut deux ans encore sans probablement même avoir eu connaissance du vote de la pension viagère que, sur le rapport de M. Émile Ollivier, le Corps législatif lui avait décernée en 1867. Lorsqu’il s’éteignit dans les bras de sa nièce, Mme Valentine de Cessiat de Lamartine, et de quelques amis fidèles, l’Empire voulut lui décerner des funérailles officielles, mais, conformément à la volonté maintes fois exprimée du poète, ses restes furent transportés à Saint-Point sans aucun faste. Le fauteuil de Lamartine échut à M. Émile Ollivier dont le discours de réception, qu’il refusa de modifier, ne fut jamais prononcé. Une statue du poète, en bronze, due à M. Falguière (1873), a été élevée à Mâcon : on ne la trouve généralement pas très heureuse, bien que la figure fixe et noble soit assez ressemblante ; plus récemment on a inauguré à Passy une belle statue due à M. Marquet de Vasselot. Le centenaire de Lamartine a été célébré en 1890 à Mâcon : MM. Jules Simon et François Coppée ont prononcé des discours.

Outre d’innombrables réimpressions partielles, il y a eu plusieurs éditions générales des œuvres de Lamartine : la plus importante est celle qu’il entreprit lui-même (1860-1866, 61 volumes gr. in-8). Il faut y ajouter : La France parlementaire (1864-1865, 6 volumes in-8), avec une étude de Louis Ulbach, des Mémoires inédits [1790-1815] (1870, in-8), sa Correspondance (1873-1875, 6 volumes in-8 ; 2e édition, 4 volumes in-12) ; des Poésies inédites (1873, in-8, portrait), publiées par sa nièce, qui a légué à divers établissements publics les portraits et les manuscrits du poète pieusement conservés jusqu’à sa mort.

source: Maurice Tourneux, article «Lamartine» de La grande encyclopédie: inventaire raisonné des sciences, des lettres et des arts. Réalisée par une société de savants et de gens de lettres sous la direction de MM. Berthelot, Hartwig Derenbourg, F.-Camille Dreyfus [et al.]. Réimpression non datée de l'édition de 1885-1902. Paris, H. Lamirault, [191-?]. Tome vingt-et-unième (Janiçon-Lemos), p. 813-814.


Un jugement porté sur le poète et sur son oeuvre à la fin du XIXe siècle
Lamartine est un de nos plus grands poètes : on peut mettre son nom à côté de celui de Victor Hugo au XIXe siècle. Il est, comme l’a dit avec un charme extrême M. France, l’incarnation même de la poésie ; l’admirable effusion de ses vers, si abondante, si mélodieuse, semble presque involontaire : ils sont beaux parce qu’ils reflètent les plus hauts sentiments, les pensées les plus délicates ; le poète ne chante que lorsque l’inspiration le presse ; sa rêverie le domine. On ne trouve dans ses vers aucun effort de rhétorique ou de langue, tandis que Hugo représente le plus génial artisan de mots et de vers de notre siècle et peut-être de tous les siècles. L’impression produite par les Premières Méditations fut immense ; cette poésie si chaste, plaintive, élégante et passionnée fut une révélation, une véritable extase : il répondait à ce besoin d’infini et d’amour qui tourmentait les âmes après tant de malheurs et de révolutions. Cette murmurante poésie qui ne parlait que du ciel ou des plus innocentes amours de la terre prit au cœur toute une génération. « Le cœur de la France, dit Jules Janin, battit doublement au nom de Dieu et au nom d’Elvire. » Ce fut la grande fête de la poésie.

Les secondes Méditations ne sont plus comme les premières remplies de passions mortelles ; elles s’éloignent de la terre : c’est la poésie de toutes les âmes tendres, c’est la plus haute philosophie du sentiment. Enfin dans les Harmonies le poète atteint le plus haut degré d’élévation et d’idéal, C’est la poésie qui a le mieux formulé l’infini. « Ses vers, a dit Théophile Gautier, se déroulent avec un harmonieux murmure comme les lames d’une mer d’Italie ou de Grèce, roulant dans leurs volutes transparentes des branches de laurier, des fruits d’or tombés du rivage, des reflets de ciel, d’oiseaux ou de voiles et se brisent sur la plage en étincelantes franges argentés. » Son génie, fait de méditations et de rêveries, est tout personnel : il a dit lui-même qu’en fait de bibliothèque un Tacite, un Ossian, un Tasse, un tome dépareillé de Bernardin de Saint-Pierre et L’Imitation de Jésus-Christ lui suffiraient.

Au plus fort de sa vie politique, il écrivit le suave poème de Jocelyn, épopée domestique pleine de bonne humeur, de vérité simple et de charme, touchante histoire de la passion sacrifiée au devoir ; son héros est un curé de campagne. Après ce poème mélancolique, il a chanté dans La Chute d’un Ange les mystérieuses époques de l’humanité primitive. Ces deux longues élégies sont par place admirables et dignes de son génie.

L’éloquence politique de Lamartine est digne de sa poésie, mais la haute raison de ses magnifiques discours politiques était trop enveloppée de poésie pour convaincre la Chambre qu’elle ne parvenait qu’à séduire.

Les tristesses de la fin de sa vie, les humiliations que sa prodigalité passée lui valut ont nui à la réputation du poète. Obligé de réparer les brèches faites à sa fortune par un colossal labeur, Lamartine entassait volumes sur volumes ; il travaillait sur commande, restant sans défense aux mains des entrepreneurs de journaux auxquels il vendait des mémoires, des Confidences où il révèle les secrets de sa jeunesse et de ses premières amours, où il intercale des commentaires d’un incommensurable orgueil sur ses œuvres poétiques. Ses incessants besoins d’argent l’obligèrent à solliciter le public de toutes façons, sous forme de loteries, de souscriptions, de dotations ; il accepta de grands domaines du sultan ; il accepta un demi-million de l’empire. Mais il faut fermer les yeux sur les chagrins de sa vieillesse qu’il sut mal supporter, et l’équitable avenir rendra à Lamartine la place que les Français de 1820 lui avaient donné dans leur cœur.

source: Ph. B. [Philippe Berthelot ?], supplément à l’article «Lamartine» de La grande encyclopédie: inventaire raisonné des sciences, des lettres et des arts. Réalisée par une société de savants et de gens de lettres sous la direction de MM. Berthelot, Hartwig Derenbourg, F.-Camille Dreyfus [et al.]. Réimpression non datée de l'édition de 1885-1902. Paris, H. Lamirault, [191-?]. Tome vingt-et-unième (Janiçon-Lemos), p. 814-815.

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La jeunesse de Lamartine

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