Les sciences descriptives de la vie

Jacques Dufresne
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Le regard naïf sur la vie s'accommode mieux de la simple observation que du recours à des théories complexes et à des appareils optiques de haute technologie. Il ne faut pas croire cependant que la rigueur et les hypothèses explicatives caractéristiques de la science en soient pour cela nécessairement exclues. Nous avons vu comment Mendel est passé de l'observation de ses plantes aux lois de l'hérédité et comment Darwin a été conduit vers l'hypothèse de l'évolution par ses collections de fossiles et ses notes de voyage. Mendel et Darwin eux-mêmes n'auraient jamais pu faire avancer la biologie comme ils l'ont fait s'ils n'avaient pas été précédés de ces grands observateurs et classificateurs que furent, pour les plantes, le suédois Linné et pour les animaux, les français Geoffroy Saint-Hilaire et Cuvier.

L'observation a toutefois sa justification en elle-même. Vue sous un certain angle, osons-le dire, elle est même la seule forme de science vraiment pure. Dès que les théories et l'esprit de système surgissent dans les sciences, ils entraînent dans leur sillage la volonté de puissance. Connaître alors c'est déjà pouvoir.

La simple observation met le savant à l'abri de ce danger et elle a en outre l'avantage d'être à la portée de tous. C'est par elle et par elle seulement que le grand public peut s'intégrer de façon active à l'univers de la science. C'est par elle aussi que s'établit la nécessaire communication entre les savants et les citoyens ordinaires.


Parlant des «botanistes à la vieille mode avec leur jambière de cuir et leur filet à papillon», l'écrivain suisse C. F. Ramuz lui-même un observateur passionné de la nature, note que «La science se confond chez eux sans le combattre avec le goût de ce qui est beau, par quoi il faut entendre une délectation particulière devant certaines manifestations plus secrètes de la vie».

Et à propos du grand entomologiste français J.-H. Fabre, dont on s'est demandé s'il faisait ou non de la science, Ramuz écrit: «C'est en tout cas de la science pour honnête homme et de la science d'honnête homme, en ce sens que sans jamais quitter le monde qui nous est familier, il ne nous en fait pas moins pénétrer dans ses dessous et dans ses coulisses, ce qui est un commencement d'explication; en ce sens encore que, quant au savant, il ne cesse jamais d'être un homme, d'être l'un de nous. Il n'est pas encore entré dans la nature assez profondément pour avoir été obligé de la dépouiller peu à peu de toutes ses qualités autres que numériques ou mathématiques; il n'aboutit pas à un système et le monde qu'il considère reste le monde que nous connaissons».
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