La religion, police supplétive

Critias

Discours prononcé par Sisyphe dans une tragédie du même nom (extrait du Sisyphe de Critias). Par ce discours, Critias montre que la religion et les dieux auraient été élaborés par les hommes afin d’assujettir l’humain à des règles morales dans la crainte de subir des châtiments divins. Pour Critias, les hommes seraient ainsi donc prompts aux actions licencieuses en absences de punition.

Il fut un temps où les hommes vivaient sans connaître de lois

A la façon des bêtes, et la force était leur seul Roi.

Il n'y avait pas de récompense pour ceux qui étaient bons,

Et pour ceux qui , étaient méchants il n'y avait pas de punition.

Ce n'est que plus tard que les hommes firent des lois de châtiment,

Afin que la justice tînt le gouvernement

Et que l'insolence fût réduite en esclavage,

Et le mal que l'on faisait dut alors payer son péage.

Mais comme les lois ne réussissaient à empêcher seulement

Que les violences qui se faisaient jour manifestement,

Et qu 'on faisait le mal en se cachant, j'imagine, ma foi,

Que quelque homme dont l'esprit était vif et particulièrement adroit

Eut l'idée d'introduire dans l'univers la croyance envers les dieux,

Afin de faire peur aux hommes quand ils feraient quelque chose de délictueux,

Et qu'ils pécheraient sans être vus en action, en parole ou en pensée

Il leur dit qu'il y avait un Être qui ne meurt jamais,

Qui entend et qui voit par la force de l'esprit et qui connaît tout,

Et dont la nature est divine par-dessus tout,

Et que rien ne lui échappe de ce que disent entre eux les mortels,

Et qu'il est capable de voir toutes les actions qui se trament sous le ciel

Quand bien même tu serais muet sur le péché que tu médites,

Les dieux, eux, en seraient au courant au plus vite.

Car telle est leur intelligence; et c'est avec l'aide de telles fables

Que cet inventeur des religions a rendu le meilleur de son enseignement acceptable,

Et qu'il a enveloppé la vérité dans le mensonge de ses discours.

Il a raconté enfin que les dieux avaient leur séjour

Là où il pensait que cela ferait le plus de peur aux hommes qu'il l'aient

Dans cette partie de la création d'où les terreurs humaines descendaient

En même temps que les avantages accordés à leur existence de malheureux:

Il les logea dans cette voûte au-dessus de nous, où l'on voit les éclairs

Et les fracas terribles du tonnerre,

Et les constellations éclatantes du ciel étoilé,

Merveilles que le Temps, l'habile architecte, a dressés.

C'est de là que tombe le feu des étoiles filantes,

C'est de là que coule sur le sol la pluie abondante.

Telles sont les terreurs qu'il a su ériger autour des âmes humaines,

Et sa fable a établi ainsi dans un convenable domaine,

Grâce à la raison, le règne de la divinité,

Et établi la loi sur la crainte qu'elle a inspirée

Et c'est ainsi qu'il y eut un jour un homme qui le premier, je l'imagine,

Persuada aux autres humains qu'il existait une race divine.

 




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