Tout ou rien

Jacques Dufresne

On ne peut pas appliquer les mesures eugénistes à la pièce.

À l’occasion d’un dîner récent où la conversation porta à un moment sur l’eugénisme, j’ai eu avec mon voisin de table un a parte qui illustre bien la divergence des opinions  sur ces graves questions.

F.T. Mon voisin de table

« Je suis bien d’accord pour interdire le choix du sexe ou la sélection par le quotient intellectuel mais j’approuve l’eugénisme quand il consiste à empêcher la naissance d’un enfant qui sera atteint d’une maladie comme la fibrose kystique. »

—J.D.

« Une telle maladie est une dure épreuve certes, une épreuve démesurée peut-être, mais l’être humain, à certaines conditions, dont une spiritualité authentique, peut s’élever au contact de tels êtres. »

—F.T

« Peut-être, mais j’ai surtout vu des familles détruites par une mère qui s’attache trop à l’être fragile et néglige son mari aussi bien que les autres enfants. C’est une excellente chose que de pouvoir épargner de tels malheurs aux familles. Ce qui ne m’empêche pas d’être contre le choix du sexe et la sélection par le QI. L’éthique doit trancher. »

—J.D

« Avez-vous déjà vu l’autorité de l’éthique se manifester dans ce domaine où tout ce qui est techniquement possible devient ipso facto moralement nécessaire? On ne peut pas autoriser les pratiques eugénistes à la pièce. Nous sommes ici dans la sphère du tout ou rien. Pour trois raisons, dont la première est technique et politique, la seconde philosophique et la troisième économique. Première raison : les innovations ignorent les frontières, ce qu'on interdira ici sera permis ailleurs et finira par devenir accessible aux gens d’ici. Les Chinois semblent bien résolus à fabriquer des lignées de QI élevés. À la fin de son article dans Le Monde sur cette question, Laurent Alexandre se demande si les autres pays ne devront pas imiter les Chinois pour demeurer compétitifs avec eux. « Et que ferons-nous si les puissances de l'Asie souhaitent asseoir leur hégémonie en optimisant le génome de leurs concitoyens grâce aux manipulations génétiques, bientôt au point? Dans la compétition économique entre l'Asie et l'Occident, disposer d'armées d'ingénieurs et de scientifiques à très haut quotient intellectuel serait un avantage géopolitique considérable. La guerre des cerveaux a commencé! L'éducation nationale - qui est le ministère où s'élabore "la politique du cerveau" - n'est pas préparée à affronter ces sujets. »

La seconde raison est d’ordre philosophique. En matière d’eugénisme comme en toute chose aujourd’hui, le critère c’est le choix individuel. La chose bonne n’est pas celle que nous présente, comme telle, notre intelligence, éclairée par une religion, une philosophie ou s’appuyant sur la nature, c’est celle que nous choisissons. « C’est son choix! Il était consentant! » Ces expressions que l’on entend tous les jours, en toutes circonstances, disent l’essence de la morale actuellement majoritaire. À un père de famille ne voulant exercer aucune influence sur l’orientation sexuelle de ses enfants, on a posé un jour la question suivante : et s’ils vont vers les animaux? ‘’Il y a là un problème, reconnut le père, puisque la chèvre n'est pas capable de choisir!’’

Voici qu'apparaît la troisième raison, économique, du tout ou rien. Nos États démocratiques ne visent pas la race pure, mais surendettés comme l’était l’Allemagne du début de la décennie 1930, ils profitent goulûment de l’occasion que leur offre le choix des médecins et des parents de faire des économies aux dépens des embryons ou des fœtus touchés par la trisomie 21 ou la fibrose kystique.»

 

 

1-Le film de Frédéric Back intitulé Tout, Rien illustre bien les causes profondes du Tout ou rien actuel en génétique.

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