Une école Waldorf menacée en Montérégie
Il ne s’agit pas d’une quelconque décision sur une quelconque école. De par leur nature comme de par leur histoire, les écoles Waldorf, reconnues par l’UNESCO, sont au cœur d’un débat de civilisation, plus crucial encore aujourd’hui qu'à son origine.
La Commission scolaire des patriotes (CSP) annonçait récemment la fermeture de L’école de la Roselière, l’une des quatre écoles Waldorf du Québec. Dans ce contexte, ses services de relations publiques ont veillé à s’assurer que quelques articles défavorables à ladite école paraissent dans divers journaux du Québec. La CSP a même retenu les services d’une firme spécialisée en communications.
Les parents qui tiennent à leur école n’ont pas de tels instruments de persuasion à leur service. Ils ont aussi eu recours à des spécialistes en communication, mais à leurs frais, et surtout pour avoir des conseils car ils n’ont pas les moyens d’engager une firme pour un contrat clé en main. En ce moment, aucun spécialiste en communication n’aide les parents. La commission scolaire a déjà une employée à temps plein qui s’occupe des communications et elle a engagé une firme seulement pour le dossier de la Roselière. C’est bénévolement que nous nous engageons avec les parents pour réclamer qu'un véritable débat public soit consacré à cette question.
Il ne s’agit pas d’une quelconque décision sur une quelconque école. De par leur nature comme de par leur histoire, les écoles Waldorf, reconnues par l’UNESCO, sont au cœur d’un débat de civilisation, plus crucial encore aujourd’hui qu'à son origine.
Elles sont l’une des rares voies bien balisées qui puisse être considérée comme une alternative à nos écoles constructivistes, enseignant une morale basée sur le consensus du moment dans le cadre plus ou moins affirmé de la vision newtonienne du monde. Selon Newton, le monde est entièrement soumis à la force, ce qui fournira un solide argument aux tenants du matérialisme.
L’un des rares mouvements de pensée solide qui propose autre chose a ses racines dans la pensée et l’œuvre de Goethe et de Schiller et il correspond d’assez près au romantisme allemand auquel on peut rattacher Rudolf Steiner, le philosophe qui a fondé les écoles Waldorf.
Pour ce qui est de Rudolf Steiner lui-même, nous renvoyons pour le moment nos lecteurs à l’article qui lui est consacré dans l’Encyclopédie de l’Agora (agora.qc.ca). Cet article représente la pensée des autorités de l’UNESCO.
Dans la vision dominante du monde en ce moment, il n’y a de place ni pour la vie, ni pour l’art dans la mesure où on l’associe à la vie et à ses jeux. Ou, si l’on préfère, la vie est a priori réduite à ses composantes physico-chimiques quantifiables, ce qui signifie qu'elle n’y est pas reconnue en tant que qualité.
C’est pourquoi dans nos écoles, rien, à l’exception de ce qui peut jaillir plus ou moins légitimement des convictions de quelques défenseurs isolés de la Vie, ne limite le phénomène que nous appelons dans nos pages emmachination de l’être humain.
Le romantisme en général, le romantisme allemand en particulier, dans l’un de ses courants principaux, nous rappelle qu'il y a dans l’homme comme dans le monde, une vie soutenue par un principe spirituel et qu'entre ces deux vies une symbiose est possible. Ce qui suppose un rôle de premier ordre pour les sens et pour l’esthétique. Il est juste de dire que dans cette perspective le sens passe par les sens.
Lisons Goethe attentivement : « La séparation entre l'esprit et le corps, l'âme et le corps, Dieu et le monde, avait été accomplie. [...] En bannissant la téléologie, on avait privé la nature d'entendement; on n'était pas prêt à la doter de raison, et elle demeura finalement privée de l'esprit. Ce qu'on lui demandait, c'était des services techniques, mécaniques, et on finit par ne la trouver saisissable qu'en ce sens. » Goethe est l’homme de la réconciliation de la nature et de l’esprit.
Remarquez qu'il n’y a rien là de radicalement original. Le logos des Grecs était présent à la fois dans l’homme et dans le monde, ce qui rendait possible le lien entre les deux.
Remarquez aussi qu'une bonne partie des écologistes sont à la recherche d’une vision du monde apparentée à celle de Steiner. Ces écologistes, s’ils étaient vraiment cohérents, considéreraient les écoles Waldorf comme une voie convenant mieux à leurs enfants que l’école newtonienne du coin de la rue.
Raison de plus pour ouvrir un grand débat sur les écoles, l’art, la vie, le sens, les sens.
Les grands penseurs de l’éducation ne courent ni les rues ni les bois au Québec. Fernand Dumont en fut un. Le fond de sa pensée sur ce point a été mis clairement en relief dans le second numéro de la revue les Cahiers de Fernand Dumont. La matrice de l’éducation sera-t-elle la science? Ou l’art? Voilà la question fondamentale.
« D’abord la connaissance. Les connaissances, dont les données de la science sont le meilleur exemple, peuvent remplir le cerveau d’un enfant mais elles ne seront jamais les siennes. Cet univers explique Dumont, s’offre à nous sous le visage d’une énorme noosphère, d’un extraordinaire monde de l’esprit où l’intelligence ne peut que s’étonner de ses propres merveilles. Mais cette noosphère est bien la nouvelle conscience de l’humanité, elle n’est guère en fait celle des individus en particulier. » À quoi Alain Kerlan fait écho en ces termes : « À proprement parler, sur le plan épistémologique, la science moderne, en tant que connaissance constituée, n'est le discours de personne, et son langage ne relève pas de l'expression d'un sujet parlant. Il n'existe pas de « je » en première personne dont le savoir scientifique serait le discours proféré, et cette mise entre parenthèses ne saurait être levée. Comme l'écrit Dumont : ‘’ à mesure que la technique se développe en une conscience de plus en plus systématique, la conscience de l'homme concret en est expulsée.’’ Cela n’exclut pas la technoscience du curriculum, mais cela la remet à sa place. Si l’on veut qu'il existe des hommes concrets à l’intérieur de l’humanité abstraite, il faut que ce soit l’art qui soit la matrice de l’éducation.
À noter que la quasi-totalité des collaborateurs du Cahier Fernand Dumont partagent ce point de vue, ce qui confère à cette œuvre une autorité exceptionnelle.
C’est dans cet esprit qu'il faut lire sur ce site l’article de Chantal Lapointe sur Schiller. Doctorante en philosophie, Chantal Lapointe représente aussi les parents de l’école La Roselière. Bonne lecture pour les vingt-sept commissaires de la Commission scolaire des patriotes.