Technologie et millénarisme

Jacques Dufresne

Technologie et millénarisme, extrait du chapitre onze de Après l'homme...le cyborg?

Résumé du livre

Le déclin de la contemplation, de la connaissance immédiate, fusionnelle
, la rupture progressive des liens avec le réel (par la passion du choix, par les mots sans amarre, flottants, par les rapports humains en désarroi,) la montée consécutive du formalisme, le mépris des lois de la nature, du principe de clôture en particulier, (personne exposée, famille branchée, école éclatée, religion envahie par les médias, nation sans frontières ) tous ces facteurs convergent vers le rêve d'un paradis sur terre, au prix d'une désincarnation totale et d'une fausse transcendance.

Il y a deux sortes d'intermédiaires entre nous et le réel : les moyens d'action et les moyens de contemplation. Les premiers correspon­dent à ce que nous appelons la technique, ils sont destinés à nous permettre de maîtriser la nature, de mieux la soumettre à nos besoins. Les seconds sont ce que nous appelons les médias : leur finalité première, faut-il le rappeler, est de nous indiquer la réalité, de nous aider à la comprendre et à nous en rapprocher. L'inter­dépendance de ces deux intermédiaires est devenue telle qu'il est impossible de les distinguer. L'ordinateur, d'abord moyen d'action, puisqu'il ne servait qu'à classer des données et à traiter mécani­quement des chiffres, est devenu le moyen de contemplation le plus puissant, celui qui intègre tous les autres.

Cette fusion des moyens d'action et des moyens de contempla­tion donne à la technique un prestige nouveau, correspondant à une puissance accrue qui se manifeste dans la maîtrise de la vie. Telle qu'elle se présente à nous depuis cette interpénétration, la tech­nique pourrait être appelée technique rédemptrice : elle est à la fois le moyen du salut et sa représentation. De plus en plus, la tech­nique s'engage dans la sphère du spectacle, et ce spectacle c'est d'abord elle-même. Par son pôle moyen de contemplation, elle offre le spectacle de son pôle moyen d'action. Et ce spectacle se substi­tue à la fois à la nature et à la société, phénomène que Guy Debord a très bien analysé dans La Société du spectacle. Le rêve qui se réa­lise ainsi n'est toutefois pas nouveau. Il a ses racines lointaines dans la Bible, il est au cœur du destin de l'homme occidental depuis le IXe siècle. Les historiens l'appellent le millénarisme.
La plupart des penseurs qui, au XXe siècle, ont fait de la tech­nique le thème principal de leur réflexion, en sont venus à la conclu­sion que ses progrès ne pouvaient s'expliquer que par le culte reli­gieux dont elle est objet. « Après 1750, écrit par exemple Lewis Mumford, servir la machine était la principale manifestation de foi et de religion, le mobile principal de l'action humaine et la source de la plupart des biens humains. On ne peut expliquer que par la religion le caractère coercitif de la hâte manifestée dans le déve­loppement mécanique et qui a négligé les conséquences réelles de ce développement dans les relations humaines1 ».

Dans The religion of technology, David Noble rattache directe­ment la technologie à l'histoire de la chrétienté. Il ne fait pas de doute à ses yeux qu'elle est au cœur de l'une des formes de la recherche du salut qui fut adoptée par la chrétienté dès les origines, rejetée dans l'ombre par la suite et enfin, reparue au Moyen Âge : le millénarisme. Selon cette doctrine, car il s'agit d'une doctrine qui a ses racines dans la Bible, plus précisément dans l'Apocalypse de saint Jean, Dieu viendrait un jour à la tête de l'armée des bons livrer une bataille décisive aux méchants. Cette bataille, l'Armageddon, gagnée par les bons, serait suivie de mille ans de paradis sur terre.

Puis je vis un Ange, descendre du Ciel tenant à la main la clef de l'abîme, ainsi qu'une énorme chaîne. Il maîtrisa le Dragon, l'antique serpent et l'en­chaîna pour mille années. Et je vis la Cité sainte, Jérusalem nouvelle, qui descendait du Ciel de chez Dieu; elle s'était faite belle, comme une jeune mariée parée pour son époux. J'entendis alors une voix clamer du trône : « Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il aura sa demeure avec eux. Ils seront son peuple et lui, Dieu avec eux sera leur Dieu. Il essuiera toutes larmes de leurs yeux; de mort, il n'y en aura plus; de pleurs, de cris et de peine, il n'y en aura plus, car l'ancien monde s'en est allé ».


Le millénarisme, c'est l'espérance de ces mille années où le Dragon ayant été enchaîné, tous les maux, physiques et moraux, qui affligent l'humanité auront disparu, y compris la mort. Les hommes seraient alors comme des dieux, dans l'état de perfection où était Adam avant le péché originel. La nature elle-même serait rétablie dans toute sa pureté et le nouvel Adam vivrait en harmo­nie avec elle.

La catastrophe - série de fléaux se terminant par une bataille décisive précédant immédiatement les mille années paradisiaques -  ­a souvent été associée à la fin du monde. Chaque fois qu'on l'a crue imminente, à la fin du premier millénaire ou à l'occasion d'une grande épidémie, on a vu resurgir le millénarisme sous une forme ou une autre. La crainte d'une fin du monde prochaine n'a cepen­dant pas toujours été liée à des catastrophes vécues ou pressen­ties. La condition humaine, avec son lot normal de malheurs, semble avoir suffi à maintenir en permanence un climat tel qu'il y eut tou­jours des gens, parmi lesquels des personnalités de premier plan, qui crurent que la fin du monde était prochaine. En conséquence, il leur fallait à la fois participer à la victoire des bons sur les méchants et préparer par leurs travaux un paradis qui serait leur œuvre autant que celle de Dieu.

Noble lie le millénarisme à l'évolution de la conception du tra­vail manuel et des arts utiles à l'intérieur de la chrétienté. Pendant les premiers siècles, bien que déjà réhabilité par rapport à la concep­tion qu'on s'en faisait dans l'Antiquité, le travail manuel n'était pas considéré comme un moyen de salut, ce qu'il deviendra progressi­vement à partir du IXe siècle.

La meilleure façon de résumer la thèse de Noble est de la pré­senter sous la forme d'une chronologie.

Premier millénaire
Pendant le premier millénaire du christianisme, le monde de la technique, ou plutôt, selon le vocabulaire de l'époque, le monde des arts mécaniques, ne fut jamais associé au salut ou à la destinée éter­nelle de l'homme. Saint Augustin, le penseur qui domine cette époque, se réjouit certes des « étonnantes réalisations » dont il a été témoin dans le domaine de la navigation, de l'architecture, de l'agri­culture ou de la sculpture, mais il prend soin de préciser que l'es­sentiel est ailleurs. « En disant cela, je pense à la nature de l'esprit humain en tant que joyau de cette vie mortelle, non de la foi ni du genre de vérité qui conduit à la vie immortelle... Et souvenez-vous, l'ensemble de tous ces bienfaits n'est qu'une demi consolation qui nous est accordée dans une vie condamnée à la misère2 ».

Les deux royaumes étaient donc nettement séparés. La tech­nique pouvait présenter de l'intérêt à l'intérieur des limites d'une condition humaine déchue, mais son prestige s'arrêtait à ces limites. Pour des raisons qui demeurent mystérieuses, on commencera à par­tir de l'an 800 à considérer la technique comme une voie d'accès à l'éternité.
Nous suivrons l'évolution de cette vision de la technique pen­dant quelques siècles.

An 830
Dans le psautier d'Utrecht, dont les enluminures furent ache­vées à Reims vers 830, on trouve dans l'illustration du psaume 63 une première indication d'un lien entre la technique et le salut. L'armée des bons affronte une armée de méchants beaucoup plus nombreuse. Dans chaque camp on aiguise ses épées, mais tandis que dans le camp des méchants on utilise la vieille technique de la pierre mouillée, dans le camp des bons on utilise une manivelle pour faire tourner une pierre à aiguiser. Cette illustration est la première allusion, hors de Chine, à l'usage d'une manivelle pour faire tour­ner une pierre à aiguiser; elle est aussi la première allusion à une pierre rotative.
À la même époque, Charlemagne accordera un statut spécial aux bénédictins qui étaient appelés à devenir les artisans d'une révo­lution industrielle, caractérisée par les moulins à vent et à eau de même que par des méthodes nouvelles en agriculture.

An 860 (circa)
Jean Scot Érigène, philosophe officiel à la cour du petit-fils de Charlemagne, Charles le Chauve, forge l'expression arts mécaniques. Il l'utilise ensuite dans un commentaire sur un ouvrage de Martianus Capella, commentaire où il accorde aux arts mécaniques un statut presque égal à celui des arts libéraux. Les arts, écrit d'autre part Jean Scot Érigène, sont les liens de l'homme avec le divin, leur pra­tique, un moyen de salut.

An 1125 (circa)
Dans le cadre de la révolution industrielle opérée par son ordre, le moine allemand bénédictin, Théophile, inspiré par des mobiles religieux, publie, de concert avec un artisan spécialisé dans le tra­vail des métaux, De Diversibus Artibus : la première codification des divers métiers pouvant contribuer à l'embellissement des églises.
Dans son Didascalion, où il présente une nouvelle classification de la connaissance, Hugues de Saint-Victor pousse encore plus loin que ne l'avait fait Jean Scot Érigène, l'assimilation des arts méca­niques aux arts libéraux, et il établit lui aussi un lien entre les arts en général et le salut.

An 1175 (circa)
Le moine bénédictin Joachim de Flore donne ses lettres de noblesse au millénarisme. On a dit de ses prédictions qu'elles consti­tuaient le système prophétique le plus influent que l'Occident ait connu avant Marx. Fervent lecteur de l'Apocalypse, Joachim eut une vision telle que, non seulement comprit-il mieux le passé de l'hu­manité, mais s'estima en mesure de prédire son avenir. Le paradis se trouvait au terme de cet avenir, et non plus hors du temps, dans une autre dimension. Dans sa marche vers ce paradis, l'humanité devait franchir trois stades correspondant aux trois personnes de la trinité. Le premier stade, celui de Père, il l'appela ordo conjuga-torium. Il était caractérisé par la famille et l'état conjugal. Le deuxième stade, celui du Fils, était appelé ordo monachorum. Il avait été inauguré par saint Benoît, fondateur du premier monastère. Le troisième stade, correspondant à l'Esprit, était celui des viri spirituales, une petite élite de mâles, apparentée aux Parfaits cathares, constituant la sainte avant-garde de l'humanité rachetée. Joachim croyait que l'humanité était déjà entrée dans le troisième stade et il situait la fin du monde, c'est-à-dire l'entrée dans le millénaire bienheureux, en l'an 1260. À ses yeux, le développement des arts mécaniques était un excellent moyen de préparer l'humanité aux lendemains qui chantent.

An 1250
Ce sont les franciscains, Roger Bacon d'abord, qui au Xlll° siècle, prennent le relais des bénédictins millénaristes pour glorifier les arts mécaniques. Il est communément admis que Roger Bacon est le pre­mier moderne, que son langage est celui des esprits pratiques d'au­jourd'hui. La vague millénariste, il ne faut pas l'oublier, l'avait aussi touché. S'il a mis tant d'ardeur à promouvoir les arts mécaniques, c'est parce qu'il croyait imminente la fin de l'ancien monde.

An 1250 à nos jours
Au début du présent siècle, Oswald Spengler voit les choses dif­féremment. Selon lui, les grands savants occidentaux de cette époque sont l'équivalent de ce qu'avaient été les bêtes de proie dans une phase antérieure de l'évolution. Les Roger Bacon ou Albert le Grand ont fondé ce que Spengler appelle la civilisation faustienne. Ils se donnaient à eux-mêmes, pense-t-il, l'illusion de chercher Dieu et son royaume, mais leur véritable projet fut la maîtrise des forces de la nature :

Roger Bacon ou Albert le Grand furent les premières bêtes de proie intel­lectuelles. Elles s'imaginaient être à la recherche de la connaissance de Dieu : et pourtant, ce qu'elles s'acharnaient à isoler, à saisir et à utiliser à leur pro­fit, c'étaient les forces de la Nature inorganique, c'est-à-dire l'énergie intan­gible se manifestant dans tout ce qui arrive. Cette science faustienne, et elle seulement, constitue la dynamique, par contraste avec la Statique des Grecs et l'Alchimie des Arabes. Elle s'attache aux forces, non aux matières. La masse elle-même est considérée comme une fonction de l'énergie3.


Revenons à un siècle bien antérieur, soit au XVe. Parmi les per­sonnages célèbres qui par la suite seront hantés par le millénarisme, on remarque Christophe Colomb, Paracelse et surtout Tommaso Campanella. Ce dominicain né en Calabre, comme Joachim de Flore, a fomenté une révolte, vouée à l'échec, dans le but de hâter la fin de l'histoire pour créer ensuite la cité terrestre idéale. Devant les inquisiteurs qui l'interrogeaient, il reconnut qu'il estimait faire partie des viri spirituales formant ce troisième âge que Joachim avait prédit. Le paradis terrestre de Campanella s'appelait la Cité du Soleil. Le culte de la science et de la technologie était inscrit dans la charte de cette cité en tant que moyen de développement social et voie d'accès à la perfection morale.

Quant aux membres de la confrérie rosicrucienne, ils s'identi­fiaient aux viri spirituales; ils étaient les mâles purs à qui incom­bait la mission de préparer l'humanité à entrer dans le millénaire paradisiaque.
C'est l'Angleterre qui était appelée à devenir à la Renaissance, sinon le paradis millénariste, du moins la terre où les plus grands pouvoirs seraient donnés aux adeptes de cette doctrine. On pour­rait dire du millénarisme qu'il résulte d'une interprétation littérale, voire réductrice de l'Apocalypse. Libérés de l'autorité romaine et du magistère de l'Église catholique, les Anglais purent accéder direc­tement au texte de la Bible et en faire une lecture personnelle. Le climat général favorisant la chose, plusieurs d'entre eux se pas­sionnèrent pour l'Apocalypse et en firent une lecture semblable à celle de Joachim de Flore. Entre temps, cependant, les arts méca­niques avaient progressé au point de devenir des sciences et des techniques modernes.

L'antique croyance millénariste est toutefois restée ce qu'elle était à l'origine : la conviction que la fin du monde était proche et qu'il allait s'ensuivre mille années paradisiaques auxquelles il conve­nait de se préparer en pratiquant le culte de la science et de la tech­nologie. Francis Bacon, le grand définisseur de la modernité, John Napier, Robert Boyle, Joseph Priestley, Michael Faraday, James Clerk Maxwell, tous ces savants furent à des degrés divers millénaristes. Un Dieu bon, expliquait Priestley, avait créé l'univers et l'orientait dans la meilleure direction possible, celle du progrès technique. Grâce à ce progrès, l'homme allait reconquérir sur la nature le pou­voir que le péché originel lui avait fait perdre.
Pour beaucoup de ces Anglais, lecteurs de l'Apocalypse, l'Amérique devait apparaître comme le lieu du paradis terrestre enfin retrouvé. Ce pays n'a d'ailleurs pas ménagé ses efforts pour éviter de les décevoir. Les professions de foi millénaristes y furent abondantes tout au long de son histoire. La plupart des savants américains que nous avons cités au début de cet ouvrage, à propos du cyborg et de la nouvelle espèce en train de naître, peuvent être rattachés au courant millénariste. Ils ont de nombreux ancêtres, au XlXe siècle surtout. En 1833, John Adolphus Etzler, ingénieur civil, publia un livre intitulé The Paradise Within the Reach of All Men, Without Labor, by Power of Nature and Machinery. Parmi les lec­teurs de ce livre, qui eut un grand retentissement, il y eut Jacob Bigelow, ce professeur de Harvard qui a introduit le mot technology dans la langue anglaise. Un millénaire, précise Noble, après qu'Érigène eut forgé l'expression mechanical arts pour désigner les arts et les métiers en général, Bigelow donna un nom générique aux arts of science. Comme Érigène, Bigelow est persuadé que l'homme est appelé à rétablir la domination adamique sur la nature. C'est à la suggestion de Bigelow que les fondateurs de la première grande école d'ingénieurs du Massachusetts décidèrent d'appeler cette école Massachusetts Institute of Technology.

Le mot technology a donc, dès l'origine, une connotation millé­nariste. Quiconque accorde un peu d'attention au vocabulaire uti­lisé en français dans le domaine qui nous intéresse ici ne peut man­quer d'être frappé par le fait que l'usage de plus en plus fréquent du mot technologie, en lieu et place du mot technique, introduit une certaine confusion. Littéralement, le mot technologie signifie discours sur la technique, ou science de la technique.

Le mot technique a un sens clair, proche de celui du mot méthode : il y a une technique du violon comme il y a une technique du béton. Comme le rappelle Jacques Ellul, on commet déjà l'erreur d'employer le mot technique à la place du mot machine. Pourquoi ajouter à la confusion en employant le mot technologie, encore plus général, à la place du mot technique? Parmi les explications qu'il faut retenir, il y a l'influence de l'usage anglais4, mais cet usage lui-­même ne s'explique que par la connotation millénariste. Chaque fois qu'on utilise ce mot, on annonce le paradis sur terre et on adresse une prière à l'Homme, maître et souverain de la nature.

Après avoir bien démontré les origines millénaristes de la démesure technique, de l'hubris, Noble rappelle à ceux qui auraient oublié de le noter que les millénaristes, depuis Joachim de Flore jusqu'à von Neuman et avant eux, Jean Scot Érigène, ont tous su profiter de la largesse des princes, ont tous défendu l'ordre établi, sans se soucier outre mesure des bouleversements sociaux suscités par leurs inventions, et enfin se sont tous tenus aussi éloignés que possible des femmes.

En d'autres termes, ces hallucinés de l'après-monde, ces viri sprituales, ces esprits purs et élevés, dédaigneux de la chair et de la femme, faisaient preuve d'un sens aigu des réalités matérielles quand leur pouvoir et leur statut social étaient en cause. En vertu de ce que conclut Noble, tout au long de l'histoire de l'Occident, on a souvent négligé l'humble bonheur quotidien des gens ordinaires, au prix d'aventures millénaristes, telle la conquête de l'atome, celle de  l'espace ou celle du génome, dont personne ne s'est jamais demané sérieusement si elles correspondaient aux besoins humains fondamentaux. Quand la question du sens et du bien-fondé de leurs travaux leur est posée, les prêtres millénaristes discréditent leurs interlocuteurs en les taxant d'irrationalisme. Comme si le millénarisme était un modèle de rationalité!
Noble rappelle à ce propos que la plupart de ceux qui, aujourd'hui, se réjouissent de l'avènement du cyborg se comportent comn les viri spirituales. S'ils chantent l'immortalité désincarnée promise au cyborg, ils n'oublient pas de prendre leur large part des fonds publics et privés consacrés à la recherche de pointe.

Après le cyborg
On aura deviné que le cyborg est déjà pour certains une figure du passé, qu'il mérite tout au plus le nom d'espèce transitoire. Selon Marvin Minsky, la PCO (personne en chair et en os) qui demeure hélas! l'un des éléments constitutifs du cyborg, n'est qu'un « blooe mess of organic matter ». L'avenir, l'immortalité ne sont sûrement pas de ce côté. La sociologue Sherry Turkle note que les adeptes les plus enthousiastes de l'IA (intelligence artificielle) sont persuadés qu'une fois capables de penser par elles-mêmes et dotées d'une superintelligence, les machines vont se libérer de leurs liens avec l'organisme humain, et par là accéder à l'immortalité.

La liste des grands prophètes de cette immortalité postbiologique et numérisée est déjà longue. J. Doyne Farmer, l'un des fondateurs du mouvement VA (vie artificielle) intégré depuis au mouvement IA (intelligence artificielle), ne manque pas d'audace dans ses prédic­tions : « D'ici cinquante à cent ans, un nouveau type d'êtres vivants aura vraisemblablement émergé. Ces organismes seront artificiels en ce sens qu'ils auront à l'origine été conçus par des êtres humains; ils pourront cependant se reproduire et évoluer vers des formes de vie différentes de ce qu'ils étaient à l'origine. Selon toute définition raisonnable de la vie, ils seront des êtres vivants. Ils évolueront tou­tefois d'une façon particulière. Le processus évolutif étant devenu conscient, il sera beaucoup plus rapide que par le passé5. ».

Earl Cox, gourou de l'IA, explique dans Beyond Humanity : Cyber révolution and Future Mind que nous vivons le déclin de la civili­sation et l'aube de la supercivilisation robotique. Nous allons trans­férer le contenu de nos esprits dans ces vaisseaux créés par nos enfants mécaniques... Libérées de notre fragile forme humaine, ces intelligences humaines artificielles vont transcender les timides concepts de déité et de divinité tenus aujourd'hui pour vrais par les théologiens.
Daniel Crevier, autre spécialiste réputé de l'IA, soutient quant à lui, en s'appuyant sur l'Ancien et le Nouveau Testament, que l'im­mortalité numérique n'est pas incompatible avec le dogme chrétien de la résurrection des corps. « Il est certain, écrit-il, que l'informa­tion et l'organisation constituant notre esprit auront besoin d'un quelconque support. Le Christ est ressuscité dans un nouveau corps; pourquoi ce nouveau corps ne serait-il pas une machine7.».

Voilà peut-être le fin mot de la cyberthéologie. Dans The Age of Mind, Transcending the Human Condition through Robots, Hans Moravec, de l'Université Carnegie-Mellon, décrit avec précision les mécanismes de la nouvelle apothéose : « Il est facile d'imaginer com­ment la pensée humaine pourrait se libérer de ses liens avec un corps mortel. De même, explique-t-il, que l'on peut transférer un proces­sus de traitement de données d'un ordinateur à un autre, de même on pourrait transférer l'activité intellectuelle d'un esprit humain à un ordinateur 8». Moravec va même jusqu'à décrire l'intervention chirurgicale consistant à greffer le cerveau humain sur un ordina­teur. Au fur et à mesure que le cerveau s'affaiblirait avec l'âge, l'or­dinateur prendrait le relais pour remplir ses principales fonctions. Et ainsi, à condition que l'on fasse suffisamment de copies de ce logiciel personnalisé, son propriétaire d'origine serait presque assuré de l'immortalité.

Les religions, écrit de son côté Michael Benedikt, président de Mental Tech inc., sont nourries par le ressentiment que nous éprouvons à l'égard de nos corps boueux, limités, et ultime tricherie, mortels. La réalité c'est la mort. Si seulement nous le pouvions, nous pourrions aller de par la terre, sans jamais quitter nos maisons, vaincre sans périls, goûter aux fruits de l'Arbre sans être punis, convoler chaque jour avec des anges nouveaux, entrer au paradis, échapper à la mort.9


Y a-t-il beaucoup de savants contemporains plus sérieux et plus généralement respectés que John von Neuman, le père de l'ordina­teur? Il faut savoir qu'au moment où il s'est consacré à la cause de la guerre nucléaire préventive, il a commencé à soupeser les simi­litudes logiques entre la vie et la machine, et à élaborer une théo­rie des automates cellulaires capables de se reproduire. Cette théo­rie constitue la base des recherches actuelles en VA 9.

Au-dessus de von Neuman, parmi ceux que l'on considère comme les prophètes du nouveau supermonde, il y a un homme, qui fut aussi célèbre comme théologien que comme savant: Teilhard de Chardin. Au milieu du présent siècle, le théologien Teilhard de Chardin a créé le mot noosphère pour désigner l'univers d'infor­mation en train de se constituer, avec l'aide des moyens techniques, au-dessus de ce qu'on appelait déjà la biosphère. Pour beaucoup de gens, la noosphère et le virtuel constituent une même nébuleuse parée de tous les prestiges : ceux du réel aussi bien que ceux du spirituel de jadis. Le cyborg est la symbiose entre cette nébuleuse et le corps humain.

Teilhard compte des disciples nombreux et enthousiastes parmi les pionniers d'Internet. Le plus influent d'entre eux est le cyber-cowboy John Perry Barlow. Ce que Teilhard a dit, estime Barlow, peut se résumer en une phrase simple. « Le but de toute évolution ayant eu lieu jusqu'à ce jour est la création d'un organisme collec­tif de l'esprit ». Pour Barlow, Teilhard est le grand prophète du Cyberespace. Et il commente : « L'idée que le cerveau de chacun puisse s'intégrer à un réseau formé de tous les autres cerveaux, ne pouvait qu'avoir des implications théologiques pour le mystique hippie que je fus10.». « A globe, clothing itself with a brain ». Cette traduction anglaise d'une pensée de Teilhard est l'équivalent d'un mantra pour de nombreux internautes californiens.

L'évolution, selon Teilhard, n'est pas un phénomène purement biologique qui s'expliquerait par le hasard et la nécessité. Les phé­nomènes ont leur dehors et leur dedans. Le dedans de l'évolution c'est l'esprit, un esprit qui oriente les transformations des êtres vivants vers un degré de perfection sans cesse plus élevé. Au degré le plus élevé, Teilhard associe des mots tels que point oméga, pié-rôme, milieu divin. Alors que les évolutionnistes les plus audacieux avaient à peine osé imaginer un animal encore plus raisonnable, plus évolué que l'homme, Teilhard prédit un nouveau type d'évolution, une évolution de la conscience dans la noosphère, un nouveau milieu lui-même plus évolué que la biosphère dont il est issu. L'ensemble des cerveaux humains réunis par des moyens de communication assurant la simultanéité des échanges constitue la noosphère.

Dans les pages WWW en langue française qu'elle consacre à Teilhard, la Brésilienne Maria Luiza Glycerio, se dit convaincue que le Milieu Divin, rêvé par Teilhard de Chardin, correspond exactement au XXe siècle, et elle conclut que « notre objectif doit être de viser une communion spirituelle, dans un chemin de Paix et d'Espoir d'un futur meilleur, comme des précurseurs préparant la consommation du Plérôme promis11».

Le marxisme a été un millénarisme, dont les grands prêtres ont aussi pactisé allègrement avec le pouvoir, tout en obtenant du peuple qu'il renonce à tout bonheur présent, sinon à sa vie même, pour préparer les lendemains qui chantent. Et que dire des mille ans du troisième Reich! Si attaché qu'il soit à la thèse qu'il défend, Noble ne se laisse toutefois pas entraîner vers un excès d'esprit de sys­tème qui l'amènerait à affirmer que les peuples n'ont tiré aucun profit de l'idéal technologique soutenu par le millénarisme. « L'énergie des mobiles, écrit le millénariste Auguste Comte, est inversement proportionnelle à leur degré de pureté ». Les mobiles millénaristes, où la prétention à la spiritualité la plus éthérée se mêlait aux intérêts les plus matériels, étaient d'une espèce particu­lièrement impure. Ils ont donc dégagé une énergie dont les popu­lations ont pu bénéficier. Noble se demande toutefois si la limite au-delà de laquelle le techno-millénarisme cesse d'avoir des effets positifs n'a pas été dépassée. Citant Reinhard Maurer, Noble écrit en conclusion :

 

La religion de la technologie repose ultimement sur des espoirs extravagants qui n'ont de sens que dans la foi transcendante en un Dieu religieux; espoirs d'un salut total que la technologie ne peut pas satisfaire... À force de pour­suivre l'impossible on risque de détruire la bonne vie encore possible. La convergence millénaire de la technologie et de la transcendance a donc sur­vécu à l'utilité historique qu'elle a pu avoir dans le passé. Au fur et à mesure que notre entreprise technologique prend des proportions terrifiantes, il devient plus essentiel de la détacher de ses fondements religieux. La trans­cendance est un concept enatique, soutient Cynthia Cockburn. Il signifie échapper au terre à terre répétitif, s'élever au-dessus du quotidien. Il signi­fie envoyer des hommes sur la lune avant de nourrir et de loger les pauvres du monde. La démarche vraiment révolutionnaire consisterait à ramener les hommes sur terre. [...] Une telle entreprise exige que l'on s'élève contre les prétentions divines de la petite élite dans le but de satisfaire les nécessités mortelles de la majorité et présuppose que nous renoncions à nos illusions sur l'autre monde afin d'enlacer de nouveau notre seule et unique existence terrestre12.


Fausse et vraie transcendance

On peut adresser bien des reproches à Noble - notamment celui de sous-estimer l'importance de l'opposition au millénarisme à l'in­térieur de l'Église et de ne tenir aucun compte des formes supé­rieures de mysticisme, comme celui de saint Jean de la Croix, qui ont marqué l'histoire de l'Église. L'usage que Noble fait du mot trans­cendance témoigne d'une complète cécité à l'égard de toutes les formes non millénaristes de mysticisme et d'espérance. Les mots transcendance et autre monde, généralement associés dans son livre, désignent toujours et exclusivement le paradis sur terre, les mille ans de béatitude qui suivraient la victoire des bons. Le lec­teur à qui la doctrine chrétienne ne serait pas familière pourrait en conclure que la parole fondatrice du Christ : « Mon Royaume n'est pas de ce monde », a toujours été interprétée par tous les chrétiens dans une perspective millénariste, ce qui est une grossière erreur. Comme Dante nous le rappelle dans la Divine comédie, le ciel, le paradis chrétien, est en haut, non en avant : l'éternité est d'un autre ordre, c'est la ligne verticale qui symbolise la transcendance et non la ligne horizontale.

En ignorant cet « autre ordre », comme le désignait Pascal, Noble se condamne à rester au même niveau que les millénaristes. À leur erreur triviale, qui consiste à réduire la réalité transcendante à une image qu'ils se font de l'avenir, il oppose une autre erreur triviale consistant à penser qu'un être humain assoiffé d'absolu peut se satisfaire du métro-boulot-dodo, de la platitude, de ce que Marcuse appelait l'« unidimensionalité ». Or, c'est justement parce qu'ils souf­frent de ce mal que tant de nos contemporains tombent si facile­ment dans les pièges millénaristes, qu'ils soient tendus devant eux par les grands prêtres de la technologie, par les sectes ou par les leaders charismatiques. N'oublions pas que les témoins de Jéhovah, renouant avec la tradition juive, qui est à l'origine du millénarisme en Occident, sont en marche vers le paradis sur terre, et que les raéliens ont déjà établi une procédure pour procurer l'éternité par le moyen du clonage.

Comme Noble cite Jacques Ellul, un auteur capable de conce­voir une transcendance autre que celle des millénaristes, on peut penser qu'il refuse d'évoquer cette vraie transcendance par crainte qu'elle ne fournisse, sous une nouvelle forme, des prétextes com­modes pour échapper au présent et à la présence des êtres et des choses. Si on ne fait pas cette hypothèse, on doit conclure que la malnutrition intellectuelle et spirituelle, dont sa conclusion témoi­gne, est aussi inquiétante que le techno-millénarisme. On ne peut nier que de nombreux chrétiens se sont représenté l'éternité sous la forme d'une durée indéfinie, dans une dimension plus semblable à l'avenir des millénaristes qu'au royaume qui n'est pas de ce monde. D'où ces vers dans lesquels le très chrétien Corneille stigmatise cette froide éternité :

Quand nous avons perdu le jour qui nous éclaire
Cette sorte de vie est bien imaginaire
Et le moindre moment d'un bonheur souhaité
Vaut mieux qu'une si vaine et froide éternité.


Se représenter l'éternité, c'est la dénaturer, car c'est fatalement dans le temps, dans un temps à venir, qu'on la situe. Il faut, en renon­çant à se la représenter, lui permettre de descendre dans le présent, d'en devenir l'âme et de se transformer en présence. Elle est alors le mystère intérieur du présent, ce qui fait qu'on peut l'aimer, s'en nourrir au point de pouvoir dire avec Gustave Thibon : « Tout ce qui n'est pas de l'éternité retrouvée est du temps perdu ».
Un tel enracinement dans le présent suppose un climat intel­lectuel et spirituel du plus haut niveau. Une critique du millénarisme comme celle de Noble contribue à créer un tel climat. On se prend toutefois à regretter que Noble ne connaisse pas mieux les auteurs qui, en plein XXe siècle, ont été d'authentiques témoins de la trans­cendance, une transcendance devenue présence pour eux parce qu'ils ont renoncé à se la représenter.

Nous ne voulons pas mourir, et non seulement ne voulons-nous pas mourir mais la pensée de la mort nous est insupportable. « Ni le soleil ni la mort ne se peuvent regarder en face ». Pour échapper à la pensée de la mort, nous vivons pour et par l'avenir que nous imaginons : demain je ferai ceci, après demain je serai là; nous deve­nons ainsi des êtres actifs, hyperactifs. Le travail est le meilleur des divertissements. Pour échapper au caractère inéluctable de la mort, nous nous représentons l'éternité, sous la forme, par exemple, de mille années où la mort sera vaincue. Le but est ainsi fixé. L'action, par laquelle nous échappons à la pensée de la mort, nous conduit vers ce but.

C'est en méditant des auteurs tels Gustave Thibon, Jacques Ellul, Ivan Illich, Simone Weil ou Wendell Berry qui, chacun à sa manière, ont réfléchi sur ces questions, que nous découvrirons le véritable sens de la technique, qui est de nous donner une occasion de choi­sir librement la transcendance et d'avoir, pour cette raison même, un rapport plus pur avec elle.

Nous ne renonçons vraiment qu'à ce que nous possédons en plé­nitude. Le renard de la fable ne renonce pas vraiment aux raisins; il n'y a pas accès. « Ils sont trop verts », dit-il, révélant par ce men­songe à lui-même et aux autres l'impureté de son renoncement. Quand les hommes du passé renonçaient à un paradis sur terre qui n'était pas à leur portée, ils pouvaient le faire pour des raisons supé­rieures, par soif réelle du transcendant, mais aussi par un dépit semblable à celui du renard, lorsqu'ils demandaient au royaume qui n'est pas de ce monde de compenser pour celui qu'ils auraient désiré sur terre! Et ce dépit dégradait leurs rapports avec le présent aussi bien qu'avec l'éternel. L'impureté dans le rapport au transcendant est proportionnelle au manque de liberté dans l'acceptation de la mort. Si le progrès technique renforce la tentation de chercher le salut dans une existence terrestre illimitée, il peut aussi être l'oc­casion d'un choix plus libre de la mort, en même temps que de la transcendance non représentable.

Cette idée est développée de façon saisissante dans un dialogue métaphysique de Gustave Thibon intitulé Vous serez comme des dieux et présenté sous la forme d'une pièce de théâtre. Dans cette pièce futuriste (écrite il y a trente ans), Thibon prévoit aussi bien la théorie de la complexité, sur le plan théorique, que le succès de ce qu'on appelle aujourd'hui IA (Intelligence artificielle) et VA (Vie artificielle), sur le plan pratique. Mais contrairement à Orwell dans 1984, ou à Huxley dans Le Meilleur des mondes, qui veulent détour­ner le lecteur de l'avenir qu'ils prédisent, Thibon dessine un para­dis où il ferait bon vivre. Entendons par là qu'il y introduit tous les raffinements de la civilisation compatibles avec le totalitarisme scientifique nécessaire à la vraisemblance du récit.

Dans Vous serez comme des dieux, le pouvoir exercé par les savants est d'une intelligence dont seule la théorie de la complexité pourrait rendre compte. Les comportements ne sont pas la consé­quence d'un conditionnement, ils ne sont pas mécaniquement télé­commandés; ils sont plutôt le résultat, largement imprévisible, d'une auto organisation placée sous la haute surveillance de chefs, eux-mêmes images d'un Dieu beaucoup plus subtil que le Dieu cause première de Newton...
Dans ce pays imaginaire, les hommes-dieux ont parfaitement réussi le programme de thérapie génique. Et ils savent même com­ment prévenir la souffrance morale, sans priver de leur saveur les sentiments positifs qui, dans l'humanité mortelle, avaient la souf­france comme envers. Non seulement le passé, celui de l'amour en particulier, n'y est pas embelli, mais l'auteur a recours aux analyses nietzschéennes les plus décapantes pour en souligner les limites :

Mais ces êtres que tu pleures, - c'est Hélios, le héros de la pièce qui s'adresse en ces termes à Amanda, sa bien-aimée - ont-ils connu l'amour autrement qu'en songe? Les poètes en ont tiré quelques légendes, comme on fixe, en le distillant, le parfum des fleurs éphémères. Mais dans la vie réelle, l'ai­guillon du désir et le joug du besoin, le poids de l'habitude et l'usure des jours - ne sais-tu pas que leurs âmes, écrasées, mouraient longtemps avant leur corps, que les baisers et les serments se fanaient plus vite que les lèvres, - tout s'unissait pour chasser l'amour comme un étranger14.


Hélios veut dissuader Amanda de son choix, qui est de redeve­nir mortelle, par amour du passé et des êtres qui l'ont précédée et qui sont morts. La pièce tourne autour du scandale que provoque ce choix dans cette nouvelle humanité où l'on a vaincu la mort et libéré l'amour. Les raisons invoquées pour justifier ce paradis mil­lénariste sont un excellent condensé des arguments encore utilisés aujourd'hui pour dénigrer l'antique foi en une éternité non repré­sentable : « Et quant à ces âmes insatisfaites qui bâillent vers Dieu, vous semblez avoir oublié ce que savent nos enfants dès leur pre­mière leçon d'anthropologie : qu'il n'y a pas plus d'âmes que de corps, mais des synthèses plus ou moins compliquées, plus au moins parfaites et des niveaux à l'intérieur ».

Pour persuader Amanda de rentrer dans le rang des Immortelles, on va même jusqu'à ressusciter les morts, ses chers morts, par une vaste opération de clonage. Les sentiments que cette opération ins­pire à Amanda ressemblent à ceux qui se réveillent encore au fond de nous devant la possibilité que le clonage des êtres humains, morts ou vifs, devienne bientôt une pratique banale.

Mais ces morts que votre magie va faire apparaître, ce ne seront pas les vrais morts, mais leur reflet, leur copie, leur apparence - cette pellicule de l'être que le temps peut engloutir et recracher. Et votre trompette qui doit vider les tombeaux, c'est la misérable sonnerie qui m'invite au déroulement d'un film! Les morts sont ailleurs. Hors du temps - et de toutes les dimen­sions, de toutes les courbures du temps. Je ne veux pas les évoquer, je veux les rejoindre. Et que m'importe encore le passé? C'est d'éternité que j'ai soif.

Notes

1. Lewis Mumford, Technique et civilisation, Paris, Éditions du Seuil, 1950, p. 313.
2-. David F. Noble, op. cit., p. 12.
3-. Oswald Spengler, L'homme et la technique, Paris, Idées, NRF Gallimard, 1969,
p. 143.
4-. Voir à ce propos Thinking through Technology, de Carl Mitcham, The University
of Chicago Press, 1994. Mitcham consacre de nombreuses pages aux divers sens
du mot technology, selon qu'il est utilisé dans un sens étroit par les ingénieurs
ou dans un sens large dans le secteur des sciences sociales. C'est à ce sens
large que nous attribuons une connotation millénariste.
5-Cité par Sherry Turkle dans The Second Self, New York, Simon and Shuster,
1984, p. 353.
6-. Daniel Crevier, The Tumultuous History of the Search for Artificial Intelligence, New York, Basic Books, 1993, p 278-280
7-. Cité par David F. Noble, op. cit., p. 162.
8-. Ibidem, p. 159.
9-. Ibidem, p. 166
10. Cité par Gundolf F. Freyermuth, dans Die Welt, 28 mars 1998.
11. Maria Luiza Glycerio (http://www.trip.com.br/teilhard/) 1998.
12. Gustave Thibon, Vous serez comme des dieux, Paris, Librairie Fayard, 1985, p. 30.
13. Ibidem, p. 164.
114. Ibidem, p. 171.

 

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