Raoul Wallenberg: un îlot de responsabilité dans un océan d'irresponsabilité

Jacques Dufresne

La distraction est un immense parapluie qui empêche les appels à une vie ou à des actes exceptionnels de descendre jusqu’à ceux qui pourraient les entendre.

Raoul Wallenberg a sauvé 100,000 Juifs hongrois à la fin de la guerre de 1939-45 en leur distribuant des pièces d’identité suédoise et en les logeant dans des immeubles achetés à cette fin. Il fut nommé à titre posthume en 1981 Citoyen honoraire des États-Unis et, en 1985, Citoyen honoraire du Canada.  

Par le caractère exceptionnel de ses actes, Wallenberg a posé  le problème de la responsabilité humaine de façon aigüe.  Comment expliquer qu’aucun diplomate de pays neutre n’ait fait preuve du même courage et de la même compétence auparavant? Pour la mission de Wallenberg,  la Suède a reçu une importante aide financière des États-Unis. La Suède avait-elle vraiment besoin d’une telle aide pour prendre une telle initiative? Amer, Elie Wiesel, soulève de telles questions dans sa préface au livre de Per Anger sur Raoul Wallenberg.

Ces questions, qui se sont posées avec une acuité particulière dans le cas de l’holocauste, ont  une portée universelle. Tous les jours, l’appel de réfugiés, dont la vie est en danger, se fait entendre. Tous les jours,  touchées par la compassion, des personnes de tous âges, des jeunes surtout, répondent à cet appel en s’engageant  dans un mouvement humanitaire.

Irresponsabilité, fille de la distraction

Cet appel à une vie exceptionnelle, il faut d’abord l’entendre, ce qui suppose  de la disponibilité, de l’attention, du recueillement, choses rares dans une vie vécue sur le mode habituel de la distraction, de ce que Pascal appelait le divertissement.

Vue sous cet angle, la distraction est un immense parapluie qui empêche les appels à une vie  ou à des actes exceptionnels de descendre jusqu’à ceux qui pourraient les entendre. En 1938, quand le président Roosevelt organisa la conférence d’Évian sur  l’accueil aux émigrants juifs d’Allemagne et d’Autriche, la distraction devait être bien forte, car personne n’a entendu son appel.

 

EVIAN 1938 - Une page noire (et distrayante) dans l'histoire du monde

Nous reproduisons ici un texte du site chrétien Regard

On notera l’observation suivante :

«Vers le milieu de la conférence, les journaux rapportèrent que la plupart des délégués avaient perdu tout intérêt et s'adonnaient aux sports nautiques.»

«La conférence débuta le 6 juillet et devait durer 8 jours. 32 nations furent représentées par des diplomates du plus haut rang: ambassadeurs, ministres, chargés de mission spéciaux, etc. Parmi eux se trouvait une femme nommée Golda Meyerson (Meïr), déléguée par les Juifs de Palestine. Bien qu'appartenant aux premiers intéressés, on ne lui donna pas le droit de s'adresser à l'assemblée. Plus tard elle devait écrire: «A Evian je me rendis compte que le peuple juif était entièrement seul».

Les excuses

Le Canada expliqua qu'il ne pouvait recevoir que des agriculteurs expérimentés. Les Juifs allemands et autrichiens avaient tous des professions commerciales ou intellectuelles. Le Brésil venait d'adopter une loi exigeant un certificat de baptême pour toute demande de visa. La Suisse fit savoir que, pour elle, les juifs avaient aussi peu d'utilité que pour l'Allemagne et qu'elle prenait des mesures pour se protéger d'une invasion de juifs. Le délégué d'Australie dit à la conférence: «Sans doute il sera compris que, comme nous n'avons pas de problème racial, nous n'avons aucun désir d'en importer un».

Les seuls pays qui ouvrirent leurs frontières aux juifs furent le Danemark et les Pays-Bas. Trop peu fut fait ... et trop tard. Lorsque la guerre éclata en 39, ces portes furent fermées. On proposa une solution simple: chaque nation représentée accueillerait 25 000 juifs. Si seulement la moitié des pays avait été d'accord, tous les juifs du Reich auraient été sauvés. Ils ne l'ont pas été et des millions d'autres ont péri comme eux.

Vers le milieu de la conférence, les journaux rapportèrent que la plupart des délégués avaient perdu tout intérêt et s'adonnaient aux sports nautiques.

Les conséquences de cette conférence furent néfastes. Hitler avait envoyé des observateurs à Evian. A leur retour, ils rapportèrent que personne ne voulait des juifs. Les manchettes d'un journal allemand proclamèrent: A VENDRE ... DES JUIFS! QUI LES VEUT? PERSONNE! Aux yeux d'Hitler, la conférence lui donnait carte blanche pour son programme, qui devait aboutir à sa «solution finale du problème juif».

Témoignage de Madame Golda Meyer

«À l'été de 1938, on me dépêcha à la conférence internationale sur les réfugiés convoquée par Franklin D. Roosevelt à Evian-les-Bains. J'y assistai en qualité (risible) d'observateur juif de Palestine, assise parmi le public et non pas même parmi les délégués, bien que les réfugiés dont on parlait fussent de mon peuple, presque de ma famille et non simplement des colonnes de chiffres gênants qu'il s'agissait de glisser, si possible, dans les quotas officiels. Assise dans cette grande salle splendide, regardant les délégués de trente-deux nations se lever chacun à leur tour, et les écoutant expliquer combien ils eussent aimé pouvoir absorber un nombre substantiel de réfugiés, mais comme il était malheureux que ce fût impossible, j'ai vécu une expérience terrible. Je crois vraiment que quiconque n'a pas vécu cela ne peut comprendre mes sentiments à Evian; ce mélange de chagrin, de rage, de désillusion impuissante et d'horreur. J'aurais voulu me dresser et crier à tous ces gens: Est-ce que, véritablement, vous ne savez pas que ces statistiques cachent des êtres humains? Des gens qui vont peut-être passer le reste de leur vie dans des camps de concentration, ou à errer par le monde comme des lépreux, si vous ne les laissez pas entrer?' Bien sûr, j'ignorais alors que ce qui attendait ces réfugiés dont personne ne voulait, c'étaient non pas les camps de concentration, mais les camps de la mort. L'eussé-je su que j'eusse été incapable de rester assise là en silence, heure après heure, sagement disciplinée et polie».

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