Médicaments : gaspillage annuel de 3,6 milliards à Ottawa
Il n’en tient qu’au CEPMB (Conseil d’examen des prix des médicaments brevetés) de redresser la situation. Notons au départ qu’en s’affublant d’un tel acronyme, ledit conseil se dote d’un camouflage qui le met à l’abri du regard critique.
Mais là n’est pas l’essentiel. Par médicaments brevetés, il faut entendre un produit qui se situe encore à l’intérieur de la période de validité du brevet, 10 ans par exemple. Après cette période, s’ouvre l’ère des génériques, des médicaments que n’importe quelle compagnie peut produire , à un prix très bas, à partir de la formule initiale, devenue un bien public.
Rien n’interdit toutefois à un pays de continuer à acheter le produit original après l’expiration du brevet. Son intérêt est alors d’inciter, avec le cadeau qui lui est fait, la compagnie mère à créer des emplois haut de gamme dans la recherche et le développement par exemple.
Le prix à payer est négociable. Plus vous accroissez la mise, plus vous avez d’espoir d’obtenir de bons ivestissements. C’est ainsi qu’au cours des dernières années le Canada a payé, pour ses médicaments brevetés, 3,6 miliards de plus que la moyenne des pays de l’OCDE.
Hélas! les investissements attendus tardent toujours à se matérialiser. Je cite ici in extenso ma source, que je ne saurais résumer tant elle est concise. Il s’agit d’un document du professeur Marc-André Gagnon,[1] présenté au CEPMB, le 31 octobre 2016.
«Le Canada gonfle artificiellement le prix de ses médicaments brevetés à des fins de politiques d’innovation pour attirer l’investissement des entreprises pharmaceutiques. C’est d’abord pour cette raison que le Canada paie en moyenne 35% de plus que le prix officiel médian des pays de l’OCDE (CEPMB 2016b). Cette politique de gonflement des coûts pour attirer l’investissement a été un échec lamentable (Gagnon 2012). Malgré le fait que le Canada paie les prix parmi les plus élevés au monde pour ses médicaments brevetés, le Canada a vu les dépenses en recherche et développement se réduire comme peau de chagrin dans les dernières années. L’industrie du médicament breveté a même cessé de respecter depuis 2003 son engagement d’investir 10% de ses ventes en recherche et développement au Canada (CEPMB 2016b). Selon une étude commanditée par le lobby de l’industrie pharmaceutique brevetée, Rx&D, l’industrie employait 22 332 personnes en 2003 (PriceWaterhouseCooper 2005) alors qu’en 2012, l’industrie n’employait plus que 14 990 personnes (Gagnon 2014), soit une baisse du tiers en dix ans. Puisque l’industrie ne tient plus son engagement d’investir au Canada, le Canada aurait dû mettre fin à son système de prix excessifs pour les médicaments brevetés par rapport aux autres pays de l’OCDE. La réponse du Canada a plutôt été de chercher à accroître davantage l’exclusivité du marché pour les produits pharmaceutiques brevetés par l’entremise d’ententes de libre-échange comme l’Accord économique et commercial global (AECG) avec l’Europe. Et ce, sans demander quoi que ce soit en contrepartie. Il a été estimé que l’AECG devrait accroître les coûts des médicaments brevetés de 6.2% à 12.9% de plus par année (Lexchin et Gagnon 2014). »
Que pourrai-je ajouter à ces faits ? Il me reste à formuler l’espoir que les partis d’opposition et les médias grand public soulèvent cette question au parlement et sur la place publique. Et le Québec dans tout cela? La santé n’est-elle pas une compétence provinciale? Notre part du 3,6 milliards dépensée inutilement doit bien se situer autour de 20 % soit 720 millions.
[1] Présentation de l’auteur: Marc-André Gagnon est professeur agrégé en politique publique à l’Université Carleton. Il est chercheur au WHO Collaborating Centre for Governance, Transparency and Accountability in the Pharmaceutical Sector, ainsi qu’au Rational Therapeutics et Medications Policy Research Group. Il est également conseiller expert pour EvidenceNetwork.ca. Il détient un doctorat de science politique de l’Université York, un Diplôme d’Études Approfondies en sciences économiques de l’École Normale Supérieure de Fontenay/StCloud et de l’Université Paris-I Sorbonne. Il a réalisé ses études post-doctorales en droit au Centre des Politiques en Propriété Intellectuelle à l’Université McGill ainsi qu’au Edmond J. Safra Center for Ethics de l’Université Harvard. Marc-André Gagnon a publié abondamment sur les questions de politiques pharmaceutiques, à la fois dans les revues académiques et dans les grands médias. Il est actuellement en Sabbatique et Professeur Invité au Centre de droit, politique et éthique de la santé à l’Université d’Ottawa.