Marie-Victorin et la sexualité

Jacques Dufresne

Ce frère enseignant, botaniste, (1885-1944) a été un pionnier de l’enseignement universitaire des sciences au Québec. On vient de publier sa correspondance avec une collaboratrice où il fait état de ses recherches in vivo sur la sexualité humaine, féminine en particulier.

Il en résulte bien des commentaires, souvent salaces dans les médias sociaux.  Dans les couvents anglais du XIXe siècle, on interdisait l’enseignement des découvertes de Linné sur la reproduction des plantes. Admirateur de Linné, Marie-Victorin ne pouvait pas s’engager dans cette voie puritaine. Il allait de soi qu’il s’intéresse à la faune humaine sous l’angle pour lequel il avait été le mieux préparé par ses travaux de botaniste. Qu’il l’ait fait loin des caméras, cela va aussi de soi, compte tenu de l’esprit de son temps.

Il n’était pas le premier religieux frère enseignant à s’intéresser simultanément aux plantes et à la sexualité humaine. Johann Gregor Mendel (1822-1884) l’avait précédé dans cette voie en découvrant les lois de l’hérédité longtemps avant que le botaniste hollandais Hugo de Vries ne les découvre à son tour donnant ainsi une seconde chance au darwinisme, incohérent sans cela. Marie-Victorin a suivi de près ces événements :

« Mendel a vécu de 1822 à 1884. Il a commencé ses grands travaux vers 1850. À cette époque la théorie sur l'hérédité la mieux reçue était celle du mélange des sangs telle que l'avait formulée le cousin de Darwin, Galton: la demie du père et de la mère à la première génération, le quart, à la seconde, etc. Cette théorie contredisait l'intuition centrale de Darwin: la transmission héréditaire des avantages d'un animal. C'est l'une des nombreuses raisons pour lesquelles elle a été abandonnée. Les travaux de Mendel, dans ce qui allait devenir la génétique, eurent pendant plus de trente ans le sort des caractères qu'il qualifiait lui-même de récessif: ils demeurèrent en latence jusqu'à ce qu’au début du XXe siècle, Hugo de Vries, Carl Correns et Erich von Tschermak les redécouvrent chacun de leur côté. » (source)

Marie-Victorin avait noté la faille dans les écrits de Darwin « En juin 1913, Marie-Victorin publie, toujours dans le Naturaliste canadien, « Notes sur deux cas d’hybridisme naturel : mendélisme et darwinisme », article avec lequel il pense avoir porté un coup mortel au darwinisme. Son raisonnement est simple : la génétique offre une science expérimentale qu’il est possible de contrôler par des expériences diverses ; au contraire, aucune expérience ne viendra jamais confirmer la véracité de la sélection naturelle. En conséquence, celle-ci doit périr… Marie-Victorin manifeste là un aplomb qui ne le quittera jamais. » (source)

En étudiant la sexualité et l’hérédité humaines, les deux religieux botanistes nous invitaient à soulever deux grandes questions : comment se fait-il que ce soit par le biais de la botanique, plutôt que par celle de la zoologie, qu’on a découvert les lois de la reproduction humaine ? Nous laisserons cette question aux historiens des sciences pour nous arrêter à la seconde : comment se fait-il que l’érotisme, si beau et si innocent chez les plantes, soit si souvent laid et violent chez les humains, et ce même aujourd’hui où il n’a plus de secret pour la science? Les humains auraient-ils la nostalgie de l’amour des plantes, nostalgie que symboliseraient les fleurs offertes aux êtres chers, nostalgie qui donnerait lieu à deux extrêmes, devenant parfois des excès : une beauté et une innocence recherchée loin de l’incarnation (la voie choisie par Marie-Victorin) et une incarnation vécue sans souci de la beauté et de l’innocence. ( innocens, qui ne nuit pas). Nostalgie pouvant aussi conduire à un juste milieu, où la poésie jointe à la connaissance permet d’éclairer l’intelligence sans violer l’imaginaire et de libérer le désir du besoin de domination.

Marie-Victorin ne séparait pas la science et la poésie. Après la Flore laurentienne, il faut lire les Croquis laurentiens. Avait-il lu «Choses écrites à Créteil» de Victor Hugo? Il aurait sans doute aimé ce poème écrit par un homme connaissant aussi bien les plantes que les gestes intimes de l’amour humain.

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