La pornographie, un ersatz du printemps

Jacques Dufresne

Pendant que le ciel réel se remplit de satellites, le ciel virtuel se remplit de pornographie et le premier ciel alimente le second tandis que ce dernier fait croître la demande de satellites. On en prévoit plus de 800 nouveaux pour permettre au Web de couvrir la planète entière. Je laisse aux experts en la matière le soin de distinguer les niveaux de pornographie et de chiffrer la fréquentation de chacun. Je vous invite plutôt à lire de L’hymne à Venus de Lucrèce. Voici un monde qui, au printemps est rempli de scènes et de symboles du rapport amoureux. La terre entière et les cieux semblent céder aux charmes de Vénus. Le désir amoureux monte de partout comme une sève, fleurit, chante, toujours en beauté. Les humains se laissent emporter par cette musique cosmique…et sacrée. Ce printemps panérotique fut-il dans un lointain passé l’unique saison de leurs amours? Il en demeure la saison bénie.

Le panérotisme pornographique du Web n’est-il pas un ersatz permanent du printemps de la nature? À défaut d’être éveillé de l’intérieur par la vie, le désir est provoqué de l’extérieur par des performances sexuelles anonymes, le réflexe remplace l’élan vital, le mimétisme se substitue à la créativité. Jusqu’à l’épuisement et à l’indifférence comme au paradis de la pornographie, le Japon, ce pays où les cerisiers en fleurs semblent avoir renoncé à inspirer les humains?

Un ami à qui je soumettais cette hypothèse m’a aidé à la peaufiner. Il est d’avis que la pornographie est au printemps de l’amour ce que le sucre blanc est à celui des fleurs et des fruits. Industrialisé, commercialisé, à la fois extrait et abstrait, il intoxique plus qu’il ne nourrit. Pour détourner les enfants de ce sucre et de la pornographie dont il est le symbole, je propose  aux parents d’amener leurs enfants en promenade dans une érablière juste avant que les arbres ne se couvrent de feuilles, au moment où le soleil déjà chaud féconde le sol pour faire jaillir ces rares, improbables et éphémères symboles de l’amour que sont l’érythrone, le trille, la claytonie, la sanguinaire. Ainsi, il suffit à l’âme humaine d’un léger dégel intérieur et d’un premier rayon de soleil pour s’ouvrir à l’amour.

 

Hymne à Vénus, par Lucrèce

Mère des Romains, charme des dieux et des hommes, bienfaisante Vénus, c'est toi qui, fécondant ce monde placé sous les astres errants du ciel, peuples la mer chargée de navires, et la terre revêtue de moissons; c'est par toi que tous les êtres sont conçus, et ouvrent leurs yeux naissants à la lumière. Quand tu parais, ô déesse, le vent tombe, les nuages se dissipent; la terre déploie sous tes pas ses riches tapis de fleurs; la surface des ondes te sourit, et les cieux apaisés versent un torrent de lumière resplendissante.

Dès que les jours nous offrent le doux aspect du printemps, dès que le zéphyr captif recouvre son haleine féconde, le chant des oiseaux que tes feux agitent annonce d'abord ta présence, puis, les troupeaux enflammés bondissent dans les gras pâturages et traversent les fleuves rapides tant les êtres vivants, épris de tes charmes et saisis de ton attrait, aiment à te suivre partout où tu les entraînes! Enfin, dans les mers, sur les montagnes, au fond des torrents, et dans les demeures touffues des oiseaux, et dans les vertes campagnes, ta douce flamme pénètre tous les cœurs, et fait que toutes les races brûlent de se perpétuer. Ainsi donc, puisque toi seule gouvernes la nature, puisque, sans toi rien ne jaillit au séjour de la lumière, rien n'est beau ni aimable, sois la compagne de mes veilles, et dicte-moi ce poème que je tente sur la Nature, pour instruire notre cher Memmius. Tu as voulu que, paré de mille dons, il brillât toujours en toutes choses: aussi, déesse, faut-il couronner mes vers de grâces immortelles.

Fais cependant que les fureurs de la guerre s'assoupissent, et laissent en repos la terre et l'onde. Toi seule peux rendre les mortels aux doux loisirs de la paix, puisque Mars gouverne les batailles, et que souvent, las de son farouche ministère, il se rejette dans tes bras, et là, vaincu par la blessure d'un éternel amour, il te contemple, la tête renversée sur ton sein; son regard, attaché sur ton visage, se repaît avidement de tes charmes; et son âme demeure suspendue à tes lèvres. Alors, ô déesse, quand il repose sur tes membres sacrés, et que, penchée sur lui, tu l'enveloppes de tes caresses, laisse tomber à son oreille quelques douces paroles, et demande-lui pour les Romains une paix tranquille. Car le malheureux état de la patrie nous ôte le calme que demande ce travail; et, dans ces tristes affaires, l'illustre sang des Memmius se doit au salut de l'État.

En effet, en soi, la nature des dieux dans son ensemble jouit nécessairement de la paix dans une durée éternelle, à l'écart, bien loin, coupée de nos affaires. Car exempte de toute souffrance, exempte des dangers, puissante par ses propres ressources, elle n'a nul besoin de nous, insensible aux faveurs, indifférente à la colère.

 

 

 

 

 

 


 [HL1]

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