Freud et les moralistes

Jacques Dufresne

Il y a toujours eu en médecine une tradition où, sans s'appuyer sur un système comme celui de Freud, on s'efforçait, parfois plaisamment, de déjouer les ruses de l'inconscient.

Les grands moralistes, de Sénèque à La Rochefoucauld, avaient habitué leurs lecteurs à apercevoir des vices cachés derrière des vertus apparentes. «Nos vertus ne sont le plus souvent que des vices déguisés», disait La Rochefoucauld. Nietzsche, l'auteur à qui Freud a fait le plus d'emprunts, poussa très loin cette lucidité décapante. «Voyez, disait-il, avec quel air d'envie la chienne sensualité mendie un morceau d'esprit quand on lui refuse un morceau de chair».

Chez ces auteurs, le mensonge à soi-même est une catégorie morale. Il devient chez Freud une catégorie psychologique à usage médical. Il y a cependant toujours eu en médecine une tradition où, sans s'appuyer sur un système comme celui de Freud, on s'efforçait, parfois plaisamment, de déjouer les ruses de l'inconscient. Comme ce médecin de famille dans Le docteur invraisemblable, de l'Espagnol Ramon Gomez de la Serna (1): «J'ai eu une malade qui vint me voir une fois guérie; elle était furieuse après moi, et me demandait de lui rendre sa maladie, celle que je lui avais enlevée; sans sa maladie, elle se sentait de trop dans la vie; je l'avais escroquée; c'était comme si j'avais fait avorter la naissance de son enfant, cet enfant de vieille fille que la maladie est parfois. Je la congédiai poliment, sans m'irriter, lui disant que le mal la reprendrait sans doute».

Note:
1) GOMEZ de la Serna, Ramon, Le docteur invraisemblable, Paris, Éditions Gérard Lebovici, 1984, p. 225

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