Choix pour l'an 2000

Jacques Dufresne

La quantité ou la qualité, la préventif ou le curatif, le care ou le cure, autant de choix inévitables qui doivent orienter un système de santé cohérent. (Conférence donnée en 2000)

L'espérance de vie a progressé constamment depuis un siècle. Elle est maintenant de 75 ans au Québec. Elle était de 57 ans en 1930. En 1900, elle était de 47 ans en Amérique du Nord. Rien n'illustre mieux que les propos optimistes de ce genre la conception que nous nous faisons aujourd'hui de la santé.
Pourtant durer et jouir d'une bonne santé sont deux choses bien différentes. Cette distinction, de plus en plus de gens la font, ayant compris qu'un progrès de l'espérance de vie indique d'abord une baisse de la mortalité infantile, ensuite le prolongement d'une vieillesse souvent assombrie par la maladie et, en troisième lieu, mais en troisième lieu seulement, une vie plus agréable au cours de la jeunesse et de la vie adulte.

La quantité et la qualité

Prenant acte de ce changement de mentalité, de nombreux États, dont celui du Québec, ont complété la notion d'espérance de vie par celle d'espérance de vie en bonne santé1. Cette distinction enferme les deux branches d'une alternative fondamentale. Selon que nous mettons l'accent sur la durée ou sur la qualité de la vie, notre destin personnel, de même que nos services de santé et nos politiques sociales, prennent telle ou telle orientation.

Ce choix fondamental entre la quantité et la qualité, nous le faisons par chacune des petites décisions que nous prenons quotidiennement pour assurer notre mieux-être. Allons-nous combattre le stress au moyen d'un tranquillisant, d'un massage ou d'une séance de méditation? Certes le tranquillisant peut être un moindre mal dans certains cas. Mais chacun sait qu'il marque souvent le commencement d'une dépendance constituant le premier signe annonciateur d'une vieillesse qui ne sera qu'une durée sans qualité.

Le care et le cure

D'autres choix fondamentaux doivent être faits: entre le préventif et le curatif par exemple, de même qu'entre ce que les Anglo-Saxons appellent le care et le cure.

Il vaut mieux prévenir que guérir, et cela côute moins cher. C'est pourquoi les ministres de la santé rêvent, depuis qu'ils existent, d'accorder à la prévention toute l'importance qu'elle mérite. La demande de traitements est telle cependant que le curatif continue d'absorber la quasi-totalité des fonds disponibles.

Le care est aussi défavorisé par rappport au cure. Le cure correspond évidemment au pôle curatif, mais la notion de care ajoute une chose essentielle à l'idée de prévention, d'hygiène au sens large: l'attention à la fois éclairée et compatissante accordée au malade. Le nom de Florence Nightingale est à jamais associé à l'idée de care.

C'est son sens du care qui amena cette infirmière à moderniser les hôpitaux, au moment précis où la science, tournée vers le cure, y pénétrait. Care, cure médecine comme art, médecine comme science.

La recherche du difficile équilibre entre ces deux pôles sera l'occasion de tensions qui, à partir de la décennie 1970 surtout, déboucheront simultanément sur une pénurie d'infirmières dans les hôpitaux et sur la prolifération de thérapies nouvelles, que nous avons déja évoquée. Ces thérapies sont orientées vers le care et pratiquées à plus de 70% par des femmes.

On sait d'autre part que les maladies ont changé de nature au cours des cinquante dernières années. Ce fait n'est pas étranger aux changements que nous venons d'évoquer. Les maladies étaient jadis aiguës en majorité, les infections venant en tête de liste. Elles sont aujourd'hui chroniques (arthrite, maux de dos, états dépressifs) dans une proportion que l'on situe autour de 70%.

Qualité de vie, quantité d'années. Préventif, curatif. Care, cure. Pour faire pencher la balance du côté des premiers termes de ces couples de contraires, de nombreux États ont adopté des stratégies appropriées. Au Québec, quelques années après la réforme des services de santé du début des années 1970, on a aussi remplacé la carte d'assurance-maladie par une carte-soleil. On a introduit ensuite le concept d'espérance de vie en bonne santé.

Promotion de la santé

Mettre ainsi l'accent sur la promotion de la santé, plutôt que sur la lutte contre la maladie, constitue un virage majeur. Ce virage est-il un idéal de riches et de bien portants, auquel on renoncera face à la première épidémie grave ou simplement à cause du vieillissement de la population? C'est en tout cas un enjeu fondamental.

Une nouvelle donnée, la solidarité à l'échelle de la planète, rend ces choix encore plus difficiles et complexes. Au Sud de cette planète, on est encore aux prises avec les infections dont le Nord a commencé à triompher au Moyen Âge. Au Sud, on souffre encore de tous les autres maux liés à la misère et à la malnutrition. Au Nord, on est atteint de maladies de pléthore, de dégénérescence.

Compte tenu de ce qu'il en coûte pour obtenir de bons résultats dans le traitement des maladies dégénératives du Nord et des moyens simples avec lesquels on peut lutter contre les infections au Sud, un dollar investi au Sud est peut-être mille fois plus rentable qu'un dollar investi au Nord.

Les problèmes environnementaux rendent désormais cette solidarité si nécessaire qu'un gouvernement mondial semble être la seule solution adéquate. On dit, avec raison, que les forêts tropicales sont le poumon de la planète. C'est l'ensemble du grand organisme Terre-Humanité qui doit veiller sur la santé du poumon. Puisque c'est la qualité de la vie sur l'ensemble de la planète qui est en cause dans cette affaire, il n'est ni juste ni pensable que ce soit des pays comme le Brésil et l'Éthiopie qui fassent seuls les frais du redressement de la situation.

Note:
Les méthodes utilisés pour établir les chiffres concernant l'espérance de vie en bonne santé ont été expliquées dans un document du Conseil québécois des affaires sociales et de la famille intitulé Durée ou qualité de la vie, Éditeur officiel du Québec, 1983.

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