Simone Weil ou la descente de Dieu
Pages tirées de La raison et la vie, (Liber, 2019) livre autobiographique où je déroule le fil conducteur de l’Ecyclopédie de l’Agora.
J’ai d’abord connu Simone Weil à travers une critique négative lue dans un ouvrage à la mode au Québec, à la fin de la décennnie1950 : Littérature du XXème siècle et christianisme,[1] dont l’auteur, le théologien belge Charles Moeller, rangeait Simone Weil, avec Aldous Huxley notamment, parmi « les aéronautes sans cargaison ». Il lui reprochait d’être manichéenne et d’une manière générale d’attacher plus d’importance à l’intelligence qu’à l’amour, à la mortification qu’à la célébration de la vie. « ‘’Au lieu d'éclairer la Grèce par le- Christ... elle éclaire le Christ par la Grèce. ‘’ Réduisant le Christ à ses ‘’ prétendus ancêtres grecs’’, Weil le sépare violemment de ses origines juives. Par conséquent elle n’a jamais compris le « scandale » de Dieu dans l’histoire. Elle est désorientée sur le vrai sens du message judaïque et de l’Évangile. »
Et sa prévisible conclusion: ‘’ Son message contient de grandes vérités, utiles aux chrétiens, mais son inspiration fondamentale est si contraire à la foi chrétienne que les parties positives y perdent le meilleur de leur vérité.’’
Si le jugement de cet homme avait éclipsé celui de Gustave Thibon et d’Albert Camus, Simone Weil aurait peut-être sombré dans l’oubli. Ayant grandi dans un Québec où la résignation à la souffrance n’était pas toujours dénuée de morbidité, j’aurais normalement dû rester à jamais distant par rapport à elle. Au contraire, je l’ai aimée et je me suis senti aimé d’elle dès les premières lignes signées de sa main et de son sang qu’il m’a été donné de lire.
Elle était révolutionnaire, se portait à la défense des ouvriers, elle était attachée à la tradition, l’enracinement était au centre de ce qu’elle appelait « les besoins fondamentaux de l’être humain », elle était mystique et par là proche du catholicisme, qu’elle critiquait sévèrement d’autre part. Elle aimait la science, mais elle en soulignait les lacunes. Plus récemment, on a commencé à s’inspirer de son esprit critique à l’endroit du progrès. On admire Simone Weil pour toute sorte de raisons qui plaisent, les unes à la gauche les autres à la droite, le plus souvent sans faire l’effort d’accéder au principe d’unité de son œuvre.
C’est justement la cohérence de la vie et l’œuvre de cette femme qui m’a rapproché d’elle. Avec le temps j’ai aussi acquis la conviction que son œuvre combinée avec celle de son ami Gustave Thibon forme une grande synthèse que bien des époques pourraient envier à la nôtre. Et j’ai été bien placé pour voir la profondeur de l’amitié entre ces deux êtres que tant de choses éloignaient l’un de l’autre
Une science et un Dieu compatibles
Sans chercher à tirer un système de l’œuvre de Simone Weil -- un tel système aurait bien des failles -- j’ai éprouvé le besoin de préciser le contour de sa vision du monde au risque d’éloigner d’elle certains lecteurs à qui il ne plaît guère de penser que son attachement à la condition ouvrière est lié à sa conception de la création du monde ou que sa défense de l’enracinement est compatible avec son rejet des racines juives et romaines du catholicisme.
La science, l’hypothèse déterministe en particulier, avait ébranlé en moi la foi de cette humanité enfant qui avait besoin d’un Dieu interventionniste n’hésitant pas à briser la chaîne des causes secondes pour manifester son amour, mais aussi sa puissance et jusqu’à sa vengeance. Comment l’existence d’un tel Dieu pouvait-elle être compatible avec ce déterminisme que les Grecs appelaient Nécessité et dont notre vie quotidienne, envahie par les produits de la technoscience, nous administrait constamment la preuve ?
C’est cette contradiction entre une certaine science et une certaine religion qui, depuis des générations a détourné tant de jeunes croyants, parmi les plus éclairés, vers l’agnosticisme ou l’athéisme. Simone Weil m’a permis de découvrir une science et un Dieu qui pouvaient être compatibles, une science qui tout en gagnant en rigueur se donne comme objet la beauté du monde et un Dieu dont la puissance s’efface devant sa pureté et son amour. Le grand peintre et le grand musicien respectent les lois de la matière de leur art, mais tel un soleil rayonnant à travers un nuage, leur inspiration nous atteint à travers cette matière. On est alors touché, dira Simone Weil par « quelque chose d’analogue au sourire d’un être aimé. »
C’est la preuve par la beauté, par la beauté du grand art, laquelle est le reflet de la beauté du monde. Pour rendre compte de l'expérience de la beauté du monde, Simone Weil ne pouvait pas recourir à l'idée d'un Dieu qui, brisant la chaîne des causes, intervient dans les phénomènes, tantôt pour punir un méchant, tantôt pour récompenser un bon, tantôt pour arranger les choses entre elles de façon à ce qu'elles plaisent à celui qui les contemple. Elle ne pouvait pas non plus réduire le monde au lien causal entre les phénomènes qui le constituent; c'eût été en faire une simple machine. Comment concilier la causalité avec l'expérience de la beauté du monde? Simone Weil a trouvé réponse à cette question dans la pensée grecque, plus précisément dans Le Timée de Platon: « La production de ce monde s'est opérée par une combinaison composée à partir de la nécessité et de l'esprit. Mais l'esprit règne sur la nécessité par la persuasion, il lui persuade de pousser la plupart des choses qui se produisent vers le meilleur. C'est de cette manière, selon cette loi, au moyen de la nécessité vaincue par une persuasion sage, c'est ainsi que dès l'origine a été composé cet univers. »[2] Par la persuasion plutôt que par la force. Formule mystérieuse certes, qui présente toutefois l’avantage de correspondre à l’expérience humaine la plus courante : être mu par le désir plutôt que par la volonté. On retrouvera cette priorité du désir sur la volonté dans les domaines qu’explorera Simone Weil
Dieu renonce à sa puissance en créant le monde, il l’abandonne à ses propres lois et il se soumettra lui-même à ces lois par l’intermédiaire de son fils. Voici un Dieu pur et faible, en totale opposition avec celui de l’Ancien testament. Compte tenu de ce que je savais du Dieu de David, cette opposition me rassurait plutôt que de m’ébranler. Étais-je devenu pour autant gnostique, manichéen à l’instar de la Simone Weil épinglée par le chanoine Moeller? Ce serait le sujet de ma thèse de doctorat. L’amour du monde dont elle témoigne dans Attente de Dieu et d’autres écrits prouve que le dualisme radical, opposant la matière à l’esprit, n’a été chez elle qu’une note de bas de page dans le sillage de sa compassion et de son admiration pour cette civilisation occitanienne à laquelle appartenaient les Cathares.
C’est dans l’opposition entre la pesanteur et la grâce que se situe son dualisme. Qu’est-ce donc que la grâce pour elle? Si le Bien ne règne sur la nécessité du monde que par la persuasion, il ne peut régner dans l’homme que par le désir, plutôt que par une volonté qui devient trop facilement volonté de puissance; désir d’une nourriture assurant la croissance de l’âme comme le pain assure celle du corps. La source de cette nourriture c’est d’abord le Christ et les sacrements, ces signes sensibles institués pour rapprocher les hommes du Christ, ce Christ que Simone Weil a connu de l’intérieur par une expérience mystique : « Le Christ est venu et il m’a prise »[3]. Sous cet angle, Simone Weil est authentiquement et profondément chrétienne.
N’en concluons toutefois pas que ce canal chrétien est pour elle la seule voie d’accès à la grâce. Tout est grâce à ses yeux, en ce sens que toute beauté, toute vérité intérieures ou extérieures, se situant dans le prolongement du souffle persuasif du Bien, est une nourriture pour l’âme. Dieu seul, c’est le cas de le dire, sait toute l’importance qu’a eue et qu’a toujours, le débat sur la volonté et la grâce dans l’histoire du christianisme et par suite de l’Occident. Les écrits des théologiens traditionnels sur les diverses sortes de grâce, grâce actuelle, grâce habituelle, grâce efficace, grâce suffisante, dont chacune semblait correspondre à une connaissance scientifique, m’ont donné, dans mes années d’apprentissage du catholicisme, un vertige tel que j’avais renoncé à voir clair sur cette question essentielle, ce qui aurait dû normalement m’éloigner de Simone Weil.
La lumière m’est venue de l’analogie, chère à bien des anciens, entre le soleil visible et ce soleil invisible que Platon identifiait au Bien. Point de soleil visible point de vie sur terre, aucune plante qui défie l’entropie pour s’élever vers le ciel et par suite aucun animal. Cela grâce à la photosynthèse, à la chlorophylle en particulier, laquelle donne à l’énergie venue du soleil la forme de molécules de sucre entrant dans la composition de la nourriture des animaux, tout en leur procurant un plaisir… dont ils abuseront dans les périodes d’abondance.
S’il existe un noyau spirituel dans l’homme, je ne sais quelle faim d’un sucre éternel, il ne pourra croître que par une nourriture venue d’un soleil lui-même invisible et se révélant aux êtres sensibles, incarnés que nous sommes, à travers cette beauté qui procure un plaisir subtil et dont on peut dire qu’elle est le corps du vrai et du bien. « La beauté séduit la chair pour obtenir la permission de passer jusqu’à l’âme »[4].
Tout ce qui participe pleinement de cette beauté devient alors grâce. Ce dont nous pouvons faire l’expérience aussi concrètement que nous faisons celle de la nourriture matérielle. Quand nous marchons dans un beau paysage, urbain ou naturel, sans objectif autre que bien vivre chaque instant, nous nous sentons portés par le milieu où nous sommes, n’ayant besoin que d’un effort de volonté minimal pour vaincre ce qu’il reste de pesanteur en nous. « « La volonté n’a de pouvoir que sur quelques muscles », disait Alain, le maître de Simone Weil, leçon qu’elle a bien retenue.
Entre cette grâce élémentaire et les grâces de l’extase, il existe mille degrés auxquels on peut rattacher tous les mots que l’on voudra : grâce de Bach, de la belle pièce de bois tournée, de la table bien mise, de la belle ville. Quand on a lu Venise sauvée, l’ébauche de la tragédie que Simone Weil voulait consacrer à cette ville on ne doute plus qu’une telle ville est une grâce, une nourriture pour l’âme.
« Il y a analogie entre les rapports mécaniques qui constituent l'ordre du monde sensible et les vérités divines. La pesanteur qui gouverne entièrement sur terre les mouvements de la matière est l'image de l'attachement charnel qui gouverne les mouvements de notre âme. La seule puissance capable de vaincre la pesanteur est l'énergie solaire. C'est cette énergie, descendue sur terre dans les plantes et reçue par elle qui leur permet de pousser verticalement de bas en haut. Par l'acte de manger elle pénètre dans les animaux et en nous; elle seule nous permet de nous tenir debout et de soulever des fardeaux. Toutes les sources d'énergie mécanique, cours d'eau, houille et très probablement pétrole, viennent d'elle également; c'est le soleil qui fait tourner nos moteurs, qui soulève nos avions, comme c'est lui aussi qui soulève les oiseaux. Cette énergie solaire nous ne pouvons pas aller la chercher, nous pouvons seulement la recevoir. C'est elle qui descend. Elle entre dans les plantes, elle est la graine ensevelie sous terre, dans les ténèbres, et c'est là qu'elle a la plénitude de la fécondité et suscite le mouvement de bas en haut qui fait jaillir le blé ou l'arbre. Même avec l'arbre mort, dans une poutre, c'est elle encore qui maintient la ligne verticale; avec elle nous construisons nos demeures. Elle est l'image de la grâce qui descend s'ensevelir dans les ténèbres de nos âmes mauvaises et y constitue la seule source d'énergie qui fasse contrepoids à la pesanteur morale, à la tendance au mal. [...]
Ce n'est pas seulement la source d'énergie solaire qui est inaccessible à l'homme, mais aussi le pouvoir qui transforme cette énergie en nourriture. La science moderne regarde la substance végétale qu'on nomme chlorophylle comme étant le siège de ce pouvoir; l'antiquité disait sève au lieu de chlorophylle, ce qui revient au même. Comme le soleil est image de Dieu, de même la sève végétale qui capte l'énergie solaire, qui fait monter les plantes et les arbres tout droit contre la pesanteur, qui s'offre à nous pour être broyée et détruite en nous pour entretenir notre vie, cette sève est une image du Fils, du Médiateur. » [5]
La vie apparaît ainsi comme un intermédiaire entre la matière et l’esprit qu’elle réunit en elle, ce qui aide à comprendre pourquoi les atteintes dont elle est l’objet sont si désespérantes.
Sortie de la mer, la vie n’a pu s’épanouir sur la terre qu’en y plongeant ses racines, racines ayant des liens entre elles, on le sait désormais par l’étude de la vie secrète des arbres des forêts, qui rappellent les liens sociaux à l’intérieur des espèces animales. La métaphore des racines étant étroitement liée à celle de la photosynthèse, il allait de soi qu’elle lui accorde la plus grande importance.
« L'enracinement, écrit Simone Weil, est peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l'âme humaine. C'est un des plus difficiles à définir. Un être humain a une racine par sa participation réelle, active et naturelle à l'existence d'une collectivité qui conserve vivants certains trésors du passé et certains pressentiments d'avenir. Participation naturelle, c'est-à-dire amenée automatiquement par le lieu, la naissance, la profession, l'entourage. Chaque être humain a besoin d'avoir de multiples racines. Il a besoin de recevoir la presque totalité de sa vie morale, intellectuelle, spirituelle, par l'intermédiaire des milieux dont il fait naturellement partie. » [6]
On relie souvent ce besoin à la question de l’identité nationale, à juste titre, mais il faut alors prendre soin de bien distinguer l’attachement à la nation ou à la patrie en tant que lieu de satisfaction du besoin d’enracinement, du nationalisme en tant qu’idolâtrie de ce social dont Simone Weil craignait le pire et qu’elle associait au gros animal dont il est question dans la République de Platon, ce grand corps flasque et agressif, uni non par ses racines ramifiées mais par des ambitions communes plus ou moins liées à la recherche d’un paradis sur terre.
Pour dissiper toute ambigüité quand il est question du besoin d’enracinement selon Simone Weil, l’académicien Alain Finkielkraut a proposé l’idée de « patriotisme de compassion ». Il dit avoir trouvé cette expression dans l’Enracinement. Je l’y ai cherchée en vain, mais qu’importe, l’expression est heureuse et elle correspond parfaitement à cette compassion pour la patrie dont il est effectivement question dans le livre, si cher à Albert Camus.
« Mais si les sentiments du genre cornélien n'animent pas notre patriotisme, on peut demander quel mobile les remplacera.
Il y en a un, non moins énergique, absolument pur, et répondant complètement aux circonstances actuelles. C'est la compassion pour la patrie. Il y a un répondant glorieux. Jeanne d'Arc disait qu'elle avait pitié du royaume de France.
Mais on peut alléguer une autorité infiniment plus haute. Dans l'Évangile, on ne peut pas trouver de marque que le Christ ait éprouvé à l'égard de Jérusalem et de la Judée rien qui ressemble à de l'amour, sinon seulement l'amour enfermé dans la compassion. Il n'a jamais témoigné à son pays aucun attachement d'une autre espèce. Mais la compassion, il l'a exprimée plus d'une fois. Il a pleuré sur la ville, en prévoyant, comme il était facile de le faire à cette époque, la destruction qui s'abattrait prochainement sur elle. Il lui a parlé comme à une personne. « Jérusalem, Jérusalem, combien de fois j'ai voulu... »[7] Même portant sa croix, il lui a encore témoigné sa pitié.
Qu'on ne pense pas que la compassion pour la patrie n'enferme pas d'énergie guerrière. Elle a animé les Carthaginois à un des exploits les plus prodigieux de l'histoire.
C’est ce patriotisme qui a conduit Simone Weil à Londres en 1942 avec l’espoir de partir pour la France en tant qu’infirmière., C’est aussi celui qui pourrait donner tout son sens au mouvement indépendantiste québécois
Au début de ce livre, à propos de mon père, j’ai évoqué un travail vraiment humain. Maître chez lui, dans le cadre d’une coopérative, avec quelques employés qui étaient des voisins et des amis plutôt que des ressources humaines, produisant un bien nourricier, le beurre, dans l’intérêt de toute une communauté. Cela correspondait à l’idéal de Simone Weil de même qu’à sa conception d’un Bien régnant sur la nécessité par la persuasion.
« Si la plus grande partie des ouvriers étaient des professionnels hautement qualifiés, ayant à faire preuve assez souvent d'ingéniosité et d'initiative, responsables de leur production et de leur machine, la discipline actuelle du travail n'aurait plus aucune raison d'être. Certains ouvriers pourraient travailler chez eux, d'autres, dans de petits ateliers qui pourraient souvent être organisés sur le mode coopératif. De nos jours, l'autorité s'exerce dans les petites usines d'une manière plus intolérable encore que dans les grandes, mais c'est qu'elles copient les grandes. De tels ateliers ne seraient pas de petites usines, ce seraient des organismes industriels d'une espèce nouvelle, où pourrait souffler un esprit nouveau ; quoique petits, ils auraient entre eux des liens organiques assez forts pour qu'ils forment ensemble une grande entreprise. Il y a dans la grande entreprise, malgré toutes ses tares, une poésie d'une espèce particulière dont les ouvriers ont aujourd'hui le goût.» [8]
Mes textes préférés de Simone Weil ont tous en commun le primat de la persuasion sur le force ou du désir et de l’attention sur la volonté, qu’il s’agisse de l’Iliade ou le poème de la force, dans La source grecque, du bon usage des études dans Attente de Dieu, de la Civilisation occitanienne dans Écrits historiques et politiques, des pensées sur la grâce dans La pesanteur et la Grâce, ou du chapitre sur les besoins fondamentaux de l’âme humaine dans l’Enracinement.
Ma directrice de thèse aurait souhaité je crois que je devienne un universitaire spécialiste de Simone Weil. C’est une avenue que je n’ai jamais songé à emprunter, Est-ce que j’aurais survécu aux querelles entre collègues de faculté ? Est-ce que j’aurais supporté qu’on me reproche d’écrire sur des sujets dont je n’étais pas un spécialiste ? Dans ce que j’hésite à appeler ma carrière, j’ai pris ce que la vie m’offrait. Jeune, j’avais fait le rêve d’un gagne-pain qui me permettrait d’étudier, de penser et d’agir dans la plus grande liberté. C’est ce rêve qui m’a guidé secrètement, ce que Hélène a parfaitement compris, d’où sans doute le fait que je me sois souvenu de ces vers de Hugo que Gustave Thibon aimait citer :
« […] l’homme, ignorant auguste,
Doit vivre de façon qu'à son rêve plus tard
La vérité s'ajuste. »
Au lieu de surveiller les interprétations que l’on ferait des œuvres de Simone Weil, travail nécessaire, je le reconnais, je m’en imprègnerais au point que leur esprit soit au cœur de toutes mes entreprises. C’est ainsi qu’une pensée de Simone Weil deviendra le principe directeur de l’Encyclopédie de l’Agora; « Il n’y a pas à choisir entre les opinions : il faut accueillir toutes, mais les composer verticalement et les loger à des niveaux convenables. »[9]
On ne s’étonnera donc pas de retrouver Simone Weil en d’autres endroits dans ce livre.
1. MOELLER (Charles). Littérature du XXe siècle et christianisme. Tome I. Silence de Dieu : Camus, Gide, Huxley, Simone Weil, Graham Greene, Julien Green, Bernanos Tournai, Paris, Casterman, 1953
[2] 1. Intutions pré-chrétiennes, Paris, Éditions du Vieux-Colombier, La Colombe, 1951, p.22.
[3] Simone Weil, Autobiographie spirituelle, Paris, Fayard 2018, p.43
Dans le même livre, ce commentaire. « Dans un village portugais, où elle assiste à une procession de femmes encerclant des barques de pêcheurs, elle est saisie par leur chant d’une tristesse déchirante : “Là j’ai eu soudain la certitude que le christianisme est par excellence la religion des esclaves, que des esclaves ne peuvent pas ne pas y adhérer, et moi parmi les autres ”.
Il y a aussi la visite d’une chapelle à Assise, en 1937 : “quelque chose de plus fort que moi m’a obligée, pour la première fois de ma vie, à me mettre à genoux ”.
L’expérience enfin, à la récitation du poème de George Herbert, d’une présence réelle du Christ : “le Christ lui-même est descendu et m’a prise ”. Cette emprise est d’ordre affectif : à travers la souffrance, le sentiment d’un amour analogue à celui qu’on lit dans le sourire d’un visage aimé. Weil s’inscrit par là, selon Dupuigren et Desroussilles, dans la lignée de mystiques féminines, à l’instar de Hadewijch d’Anvers, Catherine de Sienne ou Thérèse d’Avila.
[4] La pesanteur et la grâce, Paris, Plon , 1960, p.170
[5] Pensées sans ordre concernant l'amour de Dieu, Paris, Gallimard, 1962, p.17-18
[6] WEIL, Simone, L’Enracinement, coll. Espoir Gallimard, Paris 1949, p.36
[7] WEIL, Simone, L’Enracinement, coll. Espoir Gallimard, Paris 1949, p.113
[8] WEIL, Simone, L’Enracinement, coll. Espoir Gallimard, Paris 1949, p.47
[9] La pesanteur et la grâce., Paris, Plon, 1948, p.151