Naomi Klein

Jacques Dufresne

NAOMI KLEIN (1970-)

Parmi les conditions de la réussite de la conférence de Paris, ( du 30 nov. 2015 au 11 déc. 2015) il y a la connaissance des auteurs qui, depuis un siècle, ont sonné l’alarme à propos de divers aspects de la crise que traverse l'humanité. Nous avons regroupé ces pionniers en trois catégories: critique du progrès, écologie, pensée systémique.

PROJET 50 PIONNIERS : ENC. LAUDATO SI', CONFÉRENCE DE PARIS
SECTIONS : CRITIQUE DU PROGRÈS, ÉCOLOGIE, PENSÉE SYSTÉMIQUE

NAOMI KLEIN (1970-    ), CRITIQUE DU PROGRÈS...ET DU CAPITALISME



«Journaliste, essayiste et réalisatrice, diplômée de la prestigieuse London School of Economics, Naomi Klein est l'auteur de best-sellers planétaires tels que No Logo, traduit dans 28 langues et La Stratégie du choc, traduit dans 30 langues. Elle contribue régulièrement à la rubrique internationale de The Nation et de The Guardian et s'est rendue en Irak pour le magazine Harper's. En 2004 elle a réalisé un film documentaire, The Take, sur l'occupation des usines en Argentine, qu'elle a coproduit avec le réalisateur Avi Lewis. En 2010 Michael Winterbottom adapte la Stratégie du choc au cinéma dans un documentaire diffusé au festival du film de Sundance.» Actes-Sud

Un succès étonnant

«Naomi Klein a écrit un livre, et c’est à nouveau un déluge de superlatifs. La compétition pour l’éloge le plus flamboyant est serrée. Le New York Times considèreTout peut changer. Capitalisme & changement climatique (Actes Sud) comme « le livre d’environnement le plus important depuis Printemps silencieux » – l’ouvrage de Rachel Carson qui, en 1962, a fondé l’environnementalisme moderne. Pour la romancière indienne Arundhati Roy, l’ouvrage, qui vient de paraître en France, fait de son auteure « le penseur politique le plus inspiré aujourd’hui dans le monde ». Quant à la revue New Scientist, elle y voit « rien de moins qu’une refonte politique, économique, sociale, culturelle et morale de l’humanité »…

«Mais le plus extraordinaire n’est pas là. Il est plutôt dans les compliments que parvient à arracher l’égérie de la gauche contestataire à la presse conservatrice anglo-saxonne. Pour qui a en tête la litanie d’articles écolophobes et climato-sceptiques publiés ces dernières années par le quotidien britannique Daily Telegraph, sa recension du livre — estimant que son auteure a « indéniablement raison » — sonne comme une capitulation en rase campagne.

Depuis No Logo et La Stratégie du choc (également chez Actes Sud, 2002 et 2008), Naomi Klein n’a pourtant rien abandonné de son engagement contre le capitalisme mondialisé et le « fondamentalisme de marché ». C’est même tout le contraire. Le Monde

L'essentiel du message de Naomi Klein, selon France Culture

«Oubliez tout ce que vous croyez savoir sur le réchauffement climatique. La «vérité qui dérange» ne tient pas aux gaz à effet de serre, la voici : notre modèle économique est en guerre contre la vie sur Terre.

Au-delà de la crise écologique, c’est bien une crise existentielle qui est en jeu – celle d’une humanité défendant à corps perdu un mode de vie qui la mène à sa perte. Pourtant, prise à rebours, cette crise pourrait bien ouvrir la voie à une transformation sociale radicale susceptible de faire advenir un monde non seulement habitable, mais aussi plus juste.

On nous a dit que le marché allait nous sauver, alors que notre dépendance au profit et à la croissance nous fait sombrer chaque jour davantage. On nous a dit qu’il était impossible de sortir des combustibles fossiles, alors que nous savons exactement comment nous y prendre – il suffit d’enfreindre toutes les règles du libre marché : brider le pouvoir des entreprises, reconstruire les économies locales et refonder nos démocraties. On nous a aussi dit que l’humanité était par trop avide pour relever un tel défi. En fait, partout dans le monde, des luttes contre l’extraction effrénée des ressources ont déjà abouti et posé les jalons de l’économie à venir.

Naomi Klein soutient ici que le changement climatique est un appel au réveil civilisationnel, un puissant message livré dans la langue des incendies, des inondations, des tempêtes et des sécheresses.

Nous n’avons plus beaucoup de temps devant nous.
L’alternative est simple : changer... ou disparaître.

Tant par l’urgence du sujet traité que par l’ampleur de la recherche effectuée, l’auteur de No Logo et de La Stratégie du choc signe ici son livre le plus important à ce jour.» France Culture

L’étrange alliance de Naomi Klein et du Vatican

 « [...]Rien ne me permet de douter de la parfaite conformité des interventions du pape François avec la doctrine de l’Église, tant sur le plan social que sur le plan moral.

La militante féministe et écologiste canadienne Naomi Klein, essayiste bien connue et féroce critique du capitalisme, ne se dissimule pas cette réalité. Ce qui ne l’empêche toutefois pas de travailler de concert avec le pape François. Invitée, les 2 et 3 juillet dernier, au Vatican lors d’un colloque sur le climat organisé par le réseau international des ONG catholiques pour le développement (CIDSE), elle « a souhaité (…) la diffusion la plus large possible de l’encyclique du pape François sur la protection de la nature, prenant fait et cause pour elle et saluant les « alliances improbables » qui se nouent face aux climato-sceptiques. » (7) « Lisez l’encyclique telle qu'elle est, non pas les résumés mais l'ensemble. Lisez-la et laissez-la pénétrer dans votre cœur! », a-t-elle dit.

L’intellectuelle de gauche prône une convergence des forces vives préoccupées par le sort de la planète : « Syndicats, communautés autochtones, groupes confessionnels et verts travaillent de manière plus étroite que jamais », même si « à l’intérieur de ces coalitions, nous ne sommes pas d'accord sur tout, loin de là » (8) Klein de préciser qu’il s’agit d’une « alliance concernant un enjeu spécifique. Il n’est pas question de fusion. (...) Mais nous sommes confrontés à une crise d’une ampleur telle que chacun doit sortir de sa zone de confort » (9). Une telle approche, bien sûr, n’est pas sans rappeler celle déployées par les “radicalités convergentes”, qui constituent l’un de nos axes privilégiés de réflexion.

On peut comprendre, à la lumière de ce que nous avons vu plus haut, l’aisance du pape à collaborer avec toutes les bonnes volontés, de quelque allégeance qu’elles soient, pour une cause commune, même si cela lui est reproché par les membres les plus conservateurs de l’Église. Étant assuré de l’orthodoxie de sa doctrine, le chef de l’Église catholique ne se sent nullement menacé en embrassant cette stratégie qui est, à mon sens, la seule porteuse d’avenir.» Stéphane Stapinsky, Encyclopédie de l'Agora.


Danger d’un fascisme d’État

Naomi Klein souligne cependant un risque réel, l’émergence d’un fascisme d’Etat : « Il y a une vraie menace de voir la situation se dégrader à un tel degré que cela entraînerait des solutions imposées par l’Etat de manière autoritaire, sous forme de mesures d’urgence. La fenêtre temporelle est étroite pour traiter le problème du réchauffement de façon démocratique. » Dans son précédent livre « The Shack Doctrine » (La doctrine du choc), Noami Klein examinait la montée de l’intégrisme du marché dans le monde. Le « capitalisme de catastrophe » comme l’appelle Noami Klein, est un système violent qui justifie le recours à la terreur en cas de choc extrême. La crise asiatique de 1997 a fourni au Fonds monétaire international (FMI) l’occasion de mettre en place des programmes de privatisation de nombreuses entreprises publiques. Le tsunami de décembre 2004 a donné aux autorités srilankaises la possibilité de chasser les pêcheurs du front de mer pour vendre des terrains à des groupes hôteliers. Les attentats du 11 septembre 2001 ont permis à G.W.Bush de lancer une guerre destinée à convertir l’Irak à l’économie de marché. Notons qu’il ne s’agit pas là de fascisme vert, mais bien de totalitarisme capitaliste. Or les dictatures sont très fortes pour éviter de traiter l’urgence écologique : on préfère faire la chasse à des boucs émissaires, la dictature des autres, le terrorisme international, la montée du fondamentalisme religieux, la horde des immigrés, etc.Le Monde

Une critique à la hauteur des éloges

«Le dernier livre de Naomi Klein, « Tout peut changer« , se base sur la prémisse selon laquelle le capitalisme serait la cause de la crise climatique, et qu’afin d’éviter la catastrophe, le capitalisme devait disparaître. La solution proposée est un mouvement de masse qui triomphera à l’aide d’arguments sapant le système capitaliste en le rendant moralement inacceptable.

Cette prémisse comporte nombre de défauts. Elle ne parvient pas à reconnaître les vraies racines du capitalisme et du changement climatique, les considérant comme des problèmes distincts pouvant être transformés sans agir sur les causes sous-jacentes. Le changement climatique ne peut être évité par la construction de plus d’infrastructures et une réforme de l’économie, comme suggéré dans le livre. La crise climatique n’est qu’un symptôme d’une crise plus profonde, et des solutions superficielles agissant sur les symptômes ne feront qu’empirer la situation. Le changement climatique provoqué par l’homme a commencé il y a des milliers d’années avec l’avènement de l’agriculture et du défrichage, bien avant que le capitalisme ne voit le jour. La cause profonde — une culture qui valorise la domination des gens et de la terre, et les structures physiques et sociales qu’elle a créées — doit être affrontée afin que toute action sur le capitalisme ou le climat puisse être efficace.

Je suis épaté depuis longtemps par le mouvement pour le climat. Alors que 200 espèces s’éteignent chaque jour, que les océans et les rivières sont vidées des poissons et de toute vie, que l’eau potable non polluée est un vestige du passé, qu’une nourriture nutritive est quasiment inaccessible, le climat est-il vraiment ce sur quoi nous devrions nous concentrer? Cela semble être une distraction, une sorte de « regarde, c’est quoi ça dans le ciel? » émanant de ceux qui cherchent à tirer profit du prélèvement de tout ce qui supporte la vie sur la seule planète que nous ayons. En orientant nos pensées, nos discussions et nos actions vers les gaz présents dans l’atmosphère et les théories chaudement débattues, plutôt que sur les besoins immédiats nécessaires à la survie élémentaire de tous les êtres vivants, ceux qui sont au pouvoir tentent de nous détourner de la formation d’un mouvement de résistance qui pourrait garantir la continuation de la vie sur Terre.

Ce livre est un enchevêtrement de contradictions. C’est pour essayer de démêler les contradictions et de comprendre la pensée derrière ces arguments que j’ai voulu le lire, mais au final la confusion est restée, sorte de mélange d’idées discordantes, d’objectifs vagues et de propositions pour continuer avec les mêmes tactiques incohérentes qui n’ont jamais fonctionné par le passé.

« Tout peut changer » fait la promotion du socialisme, puis explore les raisons pour lesquelles le socialisme n’arrêtera pas les extractions de combustibles fossiles. Il est contre le capitalisme, cependant insiste sur le fait « qu’il y a largement assez de place pour faire du profit dans une économie à carbone zéro ». Les énergies renouvelables sont présentées comme une alternative, cependant les objections de ceux dont la terre et les moyens de subsistance sont détruits par ce type de développement sont reconnues et respectées. Le livre fait la promotion des droits des indigènes de vivre sur leurs terres selon leurs traditions, et en même temps prétend qu’ils ont besoin d’emplois et de développement. Il considère l’extraction et la combustion des carburants fossiles comme la cause principale de la crise climatique, et cependant recommande des solutions qui en requièrent aussi. Il soutient le développement économique tout en s’opposant à la croissance économique. Il dit que « les solutions-compromis, attrayantes pour les conservateurs, ne fonctionnent pas », et pourtant c’est exactement ce qu’il vend.

Un chapitre est consacré à la promotion du désinvestissement des compagnies de combustibles fossiles, bien qu’il soit ouvertement reconnu que cela n’a aucun effet économique. Apparemment cela va « entraîner la faillite de leur réputation » plutôt qu’une réelle faillite. Cette stratégie a peu de chances de fonctionner, étant donné que les corporations dépensent des millions dans les campagnes de relations publiques, contrôlent les médias, et donc quiconque hors de ce système aura beaucoup de mal à affecter leur réputation. Et puis, les corporations sont dirigées par l’argent et non par la morale, donc des campagnes morales ne pourront pas en elle-même entraîner la fermeture d’une compagnie. Et même si c’était le cas, ce ciblage de compagnies spécifiques, plutôt que du système économique entier, ne ferait que créer un espace où d’autres prendraient leur place.

Un autre chapitre explique pourquoi les « milliardaires verts » ne nous sauveront pas, ce qui paraît superflu dans un livre censé argumenter pour le démantèlement du capitalisme — il est évident que plus de capitalisme ne sera d’aucune aide. Étrangement, Klein est déçue que le PDG de Virgin, Richard Branson, malgré son investissement de plusieurs millions de dollars afin d’inventer ou découvrir un « combustible miracle » pour alimenter sa compagnie aérienne en expansion, ne soit pas parvenu à atteindre cet objectif impossible. Quelle différence son succès aurait-il entraîné? Peu importe ce que ce combustible puisse être, il aurait quand même fallu l’extraire de quelque part, et l’utiliser. À moins que l’argent ne puisse réellement acheter un miracle religieux, et même alors, l’industrie aéronautique requiert d’immenses quantités de terre, d’extraction minière et de manufacture, et une économie mondialisée. Si le coût des carburants n’était pas une limitation, ces processus industriels se développeraient encore plus rapidement, détruisant quiconque et tout ce qui se trouverait sur leur passage. Un combustible miracle nous laisserait toujours sur les bras une culture du voyage-à-travers-le-monde-à-grande-vitesse, au lieu d’une culture locale de dialogue et de relation avec la nature. Voilà la pensée déconnectée qui émerge lorsqu’on se concentre sur le climat comme un problème isolé.

Ce livre se termine par un appel à former un mouvement de masse non-violent, et à dépenser des « trillions [de dollars] pour payer pour des transformations sociétales zéro-carbone anti-désastres ». Les transformations exigées sont une transition vers les énergies renouvelables, et la construction de plus d’infrastructures. Elles n’arrêteront pas le capitalisme et le changement climatique, et ne feraient qu’empirer la situation. Un mouvement de masse nécessiterait une masse de gens qui partagerait à la fois ces objectifs et penserait qu’un mouvement de masse soit la manière d’y arrive. Étant donné les buts conflictuels et les compromis, et l’influence corporatiste sur le mouvement du climat récemment, il y a peu de chances pour que cela arrive.

Les mouvements de masse n’utilisant que des arguments moraux n’ont jamais changé les systèmes de pouvoir par le passé. Le mouvement mondial Occupy en est un exemple récent. Bien que beaucoup ait été accompli, le système capitaliste est toujours avec nous, et il faudra plus que des manifestations pacifiques pour provoquer son effondrement. L’infrastructure du capitalisme doit être démantelée physiquement, à l’aide de diverses tactiques, et la culture de domination qui légitimise les extractions et l’exploitation doit être affrontée, et remplacée par des cultures ancrées dans la Terre et valorisant les relations entre tous les êtres vivants.»Par Kim Hill / Deep Green Resistance Australia.»

Le documentaire

Le documentaire Tout peut changer, du réalisateur Avi Lewis, reprend le propos d'un livre de la militante canadienne Naomi Klein en faveur d'une économie verte pour faire face aux changements climatiques. Tourné dans neuf pays et sur cinq continents, le film suggère que la crise climatique est l'occasion d'améliorer la société. Le chroniqueur François Cardinal et l'auteure Annabel Soutar exposent leurs avis divergents sur cette oeuvre.

 

« [Naomi Klein] n'allait pas assez loin dans le livre, alors que le film est fichtrement efficace pour sensibiliser, surtout les militants », dit François Cardinal, qui considère le documentaire comme une suite logique d'An Inconvenient Truth, de Davis Guggenheim. « On s'attarde aux choses qui comptent, alors que dans le livre, elle se perd en chemin. Radio-Canada.

 

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