L'éco-nationalisme

Jacques Dufresne

La Coalition Avenir Québec, la CAQ, qui vient d'être portée au pouvoir au Québec, a finalement pris acte de l’importance que les Québécois attachent à l’écologie. À son projet de réduire le fardeau économique des prochaines générations, elle devra associer celui de réduire leur fardeau écologique. C’est ainsi qu’elle assurera le mieux son propre avenir, les autres partis ne pouvant que la suivre dans cette voie. C’est ainsi également que son nationalisme patient prendra sens et force.

Proximité, bassins versants, énergie verte, écosystème, simplicité, subsidiarité, enracinement, tous ces thèmes chers aux écologistes nous invitent à opérer un rapprochement entre le milieu naturel, le milieu socio-culturel et la structure politique. C’est ce qui a amené le journaliste et géographe américain Joël Garreau à distinguer neuf nations en Amérique du Nord dans un livre paru en 1981, un an après le premier référendum québécois.

En 1978, avait paru aux États-Unis et au Québec en Français, un livre de Ernest Callenbach intitulé Écotopie, un roman futuriste sur une Côte Ouest devenue indépendante du reste de l’Amérique du Nord. Il faudrait revenir à ce livre ne serait-ce que pour y puiser des idées plus pertinentes que jamais aujourd’hui, sur la question des sports par exemple. En Écotopie, on ne tolère plus ces pullulements d’avions et de voitures transportant joueurs, journalistes et spectateurs à des matchs de baseball, de football et de hockey qui sont un non-sens sur les plans écologique et physiologique et qui, même en tant qu’événements sociaux, pourraient être avantageusement remplacés par des compétitions de proximité.

Dans le modèle de Joël Garreau, c’est le Québec d’abord, la Côte Ouest ensuite qui présentent le plus grande unité. Dans chacun de ces deux cas, le lien entre l’économie et l’écologie, comme entre la nation et la planète est manifeste. Nous nous limiterons au Québec.

Économie et écologie

L’écologie est non seulement identique à l’économie par l’étymologie et par ses fins, elle est aussi l’économie de demain. Le nouveau paradigme nécessaire à la survie de la planète et de l’humanité implique l’association permanente, dans tous les esprits, des impératifs écologiques et des impératifs économiques. Raison pour laquelle, à la fondation de notre encyclopédie, il y a 20 ans, nous avons réuni écologie et économie dans une même catégorie.

Personne ne s’aviserait aujourd’hui de construire un édifice quelconque sans se soucier des lois et règlements dans ce domaine. Il nous faut accéder rapidement à une mentalité où le souci de la maison (oikos) commune sera associé à toutes les décisions privées et publiques. Chaque ministre doit tenir pour acquis que l’environnement est son deuxième ou troisième portefeuille.

Pour un gouvernement comme celui de la CAQ, qui veut éliminer bien des règlements et en assouplir d’autres, cela représente un défi considérable. Il lui faudra exercer partout le discernement permettant de distinguer les règlements résultant d’un mauvais fonctionnement de l’appareil d’État de ceux qui sont nécessaires au respect de la nature et à la beauté des lieux. On sait par exemple que dans la gestion des grands projets, le sérieux et la durée des consultations peuvent être une excellente chose. La consultation dans le cas de l’aéroport de Mirabel a été brève et bâclée, avec les résultats que l’on sait. Elle a été longue et sérieuse dans le cas du nouvel aéroport de Nantes, ce qui a entraîné la décision la plus sage. Au cours des dernières décennies l’Allemagne a fourni de bons exemples de longues et fructueuses consultations.

Au début du vingtième siècle, aurait-on laissé les automobiles proliférer si on s’était donné la peine et le temps d’étudier leur impact. Le seul fait de savoir qu’on brûlerait en un an l’énergie fossile ayant mis des milliers d’années à s’accumuler sous terre, aurait normalement dû rendre les décideurs prudents. C’était là une démesure qui aurait fait craindre aux anciens Grecs les pires représailles de la nature. Voici un domaine où la vitesse est mauvaise conseillère, car elle permet à des entreprises privées de faire passer leurs intérêts immédiats avant les intérêts collectifs et durables. Avis aux promoteurs impatients de la voiture électrique individuelle, des nouvelles infrastructures routières et du nouveau lien de Québec avec la Rive-Sud.

Dans bien d’autres cas, on ne le sait que trop, c’est la lenteur qui est mauvaise conseillère : dans ceux du recyclage, de la réduction des GES, de la lutte contre l’obsolescence programmée, de la vente en vrac des aliments, etc. On notera que c’est la même recherche du profit immédiat qui explique la vitesse d’un côté et la lenteur de l’autre.

L’éco-nationalisme

Avec ses bassins versants qui s’alignent de part et d’autre du St-Laurent, le Québec constitue une unité géographique presque parfaite et se prête par là-même à une solidarité concrète entre tous ses habitants. Dans la mesure où elle déjà favorisée par des valeurs communes qui se sont précisées au cours de l’histoire cette solidarité se prête à son tour au respect du territoire. Rien de plus naturel ensuite et de plus logique que de combiner ces tendances réciproques dans un mouvement politique éco-nationaliste. Tout effort pour conserver pure l’eau de la rivière des Outaouais au Témiscamingue améliore la qualité du poisson pêché et consommé à Rimouski.

Cet éco-nationalisme est une idée simple et claire dont on s’étonne qu’elle ne soit pas plus répandue. Je croyais qu’une recherche sur ce sujet dans Internet allait me révéler des merveilles. Voici tout ce que j’ai trouvé en français dans un embryon d’article de Wikipedia:

« L’éco-nationalisme est une forme émergente de nationalisme qui se manifeste dans les deux sphères économiques et écologiques. Le nationalisme économique (également appelée le protectionnisme) peut se manifester par un désir de protéger la classe ouvrière d'une nation de la perte d'emploi des tendances liées à la mondialisation, tels que les accords sur l'immigration et le commerce. Le nationalisme écologique se manifeste par une volonté d'éliminer le recours à des sources étrangères de carburant et d'énergie par la promotion des sources d'énergie de remplacement qui peuvent être créés de manière adéquate et maintenues avec la frontière d'un pays. Le Brésil affiche un exemple de ce cas en devenant complètement autonome en énergie ».


J’ai vite découvert qu’il s’agissait en grande partie d’une traduction automatique du premier paragraphe de l’article de Wikipedia en anglais sur le même sujet :

«Eco-nationalism (or ecological nationalism) manifests as a desire to eliminate reliance on foreign sources of fuel and energy by promoting alternate energy sources that can be adequately created and maintained with a nation's boundary. Brazil displayed an example of this by becoming completely energy self-reliant.»

Le Québec, avec l’énergie bleue qu’il possède en abondance, applique cette définition quand il facilite l’achat de véhicules électriques, mais il s’inscrit aussi dans la définition plus large que nous donnons de l’éco-nationalisme, et ce d’autant plus que son développement de l’hydroélectricité, adaptée à son territoire, repose sur des accords avec les premières nations.

Bien des partis de droite on fait une mauvaise réputation à l’éco-nationalisme en séparant la question de l’indépendance énergétique de celle de la propreté des sources d’énergie comme de celle de la nature du territoire. Autant par exemple, l’indépendance énergétique a du sens à tous égards au Québec, autant elle en est privée pour le Canada dans son ensemble. Si l’on tient à tout prix à continuer d’exploiter le pétrole ensablé de l’Alberta, il faudrait au moins qu’on le destine aux régions voisines plutôt que de lui faire faire un voyage de milliers de kilomètres vers l’Est. Soit dit en passant, assurer l’unité d’un pays comme le Canada par des moyens de transport, trains, voitures et avions est une aberration sur le plan écologique et elle en deviendra bientôt une sur les plans économique et écologique au fur et à mesure que l’on progressera dans la transition vers une planète plus verte. Mieux vaudrait tout compte fait faire reposer l’unité sur le cannabis : a mari usque ad mari.

Flirtons un instant avec l’utopie, cela féconde l’imagination. Nos lacs et nos rivières sont remplis de poissons encore épargnés par les polluants dans une large mesure, ces poissons pourraient redevenir ce qu’ils ont déjà été, une de nos principales sources de protéines. Nous aurions ainsi des raisons supplémentaires de protéger leurs habitats et notre solidarité avec les habitants des régions en serait renforcée. Moyennant des investissements dérisoires et propres par rapport à ceux qu’exigent les infrastructures routières, les cours d’eau pourraient redevenir des moyens de transport et des hauts lieux de sports de plein air. Les moteurs électriques existent depuis longtemps pour les petites embarcations. Il va de soi, dans le contexte actuel, que l’on interdise immédiatement les moteurs à explosion. Si j’habitais Repentigny j’aimerais bien pouvoir me rendre au centre de Montréal dans un bateau-minibus silencieux et bien aéré plutôt que d’emprunter le boulevard métropolitain enfermé dans une cage à peine mobile. Il nous faut aménager bien des rivières en vue de réduire les risques d’inondation, ne pourrions-nous pas le faire du même coup en vue de faciliter le transport des marchandises et des personnes? Montréal deviendrait ainsi la Venise aux grandes eaux.

La Coalition Avenir Québec Planète

Au sens que ce terme pourrait prendre au Québec, l’éco-nationalisme est parfaitement compatible avec l’éco-mondialisme. Dans un tel cas, penser et agir localement c’est penser et agir globalement. Quand il a placé le St-Laurent au centre de ses plans d’aménagement, le premier ministre François Legault avait-il pressenti la pertinence d’un grand projet de société éco-nationaliste déjà annoncé par les travaux hydroélectriques du siècle passé et porté symboliquement par les œuvres de Frédéric Back. L’image d’un Québec résolument vert, en s’imposant à l’échelle mondiale deviendrait un critère déterminant pour les candidats à l’immigration, ce qui par voie de conséquence les inciterait à adopter l’ensemble des valeurs des Québécois. Parmi les questions qu’il faudrait leur poser avant de les admettre ici, il y aurait celle-ci : Êtes-vous prêts à renoncer à certains avantages économiques pour jouir d’avantages écologiques ?

 Annexe

L’écologie a toujours été une dimension essentielle de mon nationalisme. Voici un extrait d’un article que je signais dans la revue Critère en 1980, juste avant le référendum.

Une terre colorée


Vue d'un satellite, la terre ressemble à un fruit multicolore, qui réchauffe le cœur au milieu des planètes mortes et grises. Cette vision contemporaine du monde, qui n'a pourtant rien de visionnaire, rappelle celle des pythagoriciens, où un feu central fait écho aux foyers des maisons et des temples.

Grâce aux dernières prouesses techniques, la terre est redevenue poétique, fragile objet d'attachement comme tout ce qui est vivant, comme tout ce qui est menacé.

Dans cette cosmologie embryonnaire, dans ce nouvel ordre du monde, il y a la promesse d'un nouvel ordre humain. Et cette promesse contient même des indications. La terre est vivante. Or la vie, c'est la variété, c'est littéralement la couleur locale. Au cours de la période uniformisante qui s'achève, il faut l'espérer, la terre, était perçue comme une machine, comme un objet inerte à transformer, fausse perception qui avait déteint jusque sur la conception des sociétés et du microcosme humain.

Or voici que la terre renaît, voici que le feu central s'anime de nouveau. Et partout dans le monde des groupes d'hommes veulent recréer des sociétés ayant leurs couleurs propres.

 

«Toutes les civilisations anciennes ont exprimé, chacune à sa manière, un sentiment d'admiration devant la beauté de la terre. Aristote essaya d'imaginer comment des hommes vivant comblés de richesses, mais dans des cavernes, auraient réagi s'ils avaient eu pour la première fois l'occasion de contempler le ciel, les nuages et les mers. Assurément, écrit-il, « ces hommes penseraient que des dieux existent, et que toutes les merveilles du monde sont leur œuvre ». L'un des aspects les plus négatifs de la civilisation, technologique est l'oblitération progressive de cet attrait qu'exerce la beauté de la terre. En tant qu'hommes les savants sont aussi portés que quiconque à apprécier les qualités sensibles de notre planète. Mais dans leurs recherches, ils tendent à éprouver moins d'intérêt pour le caractère unique de la terre, du fait qu'elle se meut dans l'espace en fonction des mêmes lois physiques que les autres planètes. Il est possible que cette banalisation de la terre en tant qu’objet céleste ait joué un rôle dans la dévaluation de la nature et de la vie humaine. Or la terre a cessé d'être un simple objet astronomique dû 'jour où, voici plus de trois milliards d'années, elle a commencé à engendrer la vie. La preuve visuelle fournie par l'exploration spatiale donne aujourd'hui sa pleine signification à l'image d'Aristote. Bien que la terre ne soit qu'une île minuscule dans l'indifférence illimitée de l'espace, elle est la seule à se présenter, dans le système solaire, comme un jardin enchanté dont les fleurs — les myriades de créatures différentes ont ouvert la voie aux êtres humains capables de réflexion. »(René Dubos, Les dieux de l’écologie, Fayard, Paris 1975,p .13)


Et, sans déformer la pensée de René Dubos, nous pouvons ajouter que ces êtres humains capables de réflexion ont besoin d'un milieu humain qui soit un organisme et non une simple organisation.

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