Le bestiaire intérieur de l'humanité est-il en voie d'extinction?
À quelques jours d’intervalle, Donald Trump annonçait que son pays se retire de l’accord de Paris et la revue Nature publiait un rapport accablant sur la diminution de la biodiversité et plus précisément sur le rythme de l’extinction des espèces animales, un rythme comparable à celui des cinq grandes extinctions survenues au cours des dernières 500 millions d’années. D’où le titre de l’article de Nature. «Les humains s’engagent dans la sixième extinction de masse de la vie sur terre». Suivent des précisions, notamment sur les 700 espèces déjà en voie d’extinction dont le sort est aggravé par le changement climatique.
Le reflux universel de la vie
Malheureusement, dans les rapports de ce genre, le diagnostic n’est jamais complet. On ne précise pas que lorsque la vie s’éteint dans la nature elle s’éteint aussi dans les êtres humains. Hélas! si l’extinction dans la nature est mesurable, l’extinction à l’intérieur de chacun d’entre nous, étant d’ordre qualitatif, est invisible et indolore, sauf peut-être pour ceux qui habitent encore les deux mondes, qui vivent en symbiose avec la vie extérieure tout en subissant l’influence et l’empreinte des machines.
C’est mon cas. Depuis quelques années, je ne vois plus d’hirondelles dans la niche protégée où je prends congé de mon ordinateur. J’ai le sentiment qu’une partie de mon âme m’est enlevée. Les hirondelles illustrent par leur fragilité et leur souplesse des qualités de la vie qui existent aussi en moi, au moins à l’état d’ébauche et qui s’atrophient quand disparaît l’oiseau qui en est le symbole. C’est ainsi, je pense qu’il faut interpréter ce mot du psychiatre Henri F. Ellenberger : « Quand une espèce animale Adisparaît le bestiaire intérieur de l’humanité s’appauvrit. » Celui qui n’a jamais vécu dans l’intimité des hirondelles ne saura jamais de quoi leur absence le prive. C’est pourquoi à mesure que se répandent les modes de vie où l’on n’a de contacts qu’avec des machines ou des objets fonctionnels, l’indifférence et l’insensibilité à l’endroit des espèces vivantes s’accroissent, ce qui accélère l’extinction des dites espèces, etc., boucle de rétroaction positive sans fin.
Boucle dans laquelle s'inscrivent les animaux industrialisés de l'une des nouvelles vedettes de du non-art contemporain, Richard Orlinsky. À comparer au douanier Rousseau, un autre artiste populaire mort en 1910.
La greffe salvatrice
D’où l’importance de multiplier, pour les enfants d’abord, les occasions de vivre dans l’intimité des plantes et des animaux. Nous vous invitons donc à emprunter notre «Sentier des fleurs sauvages» avec l’espoir qu’il vous incitera à emprunter les sentiers réels de randonnée. Nous vous invitons aussi à participer au développement de l’éco psychologie. Renoue toi-même avec la vie et tu éprouveras le besoin de la défendre hors de toi.
Faut-il chercher dans cet ordre de choses l’explication du retrait américain de l’accord de Paris? L’habitant de ce pays des machines, qu’a si bien évoqué Günther Anders, serait-il devenu insensible à cette nature qu’il a jusqu’à ce jour si bien célébrée et protégée? La tendance représentée par Rachel Carson, auteur du Printemps silencieux, l’emportera-t-elle sur celle que représente en ce moment Donald Trump, dont les contacts avec la nature semblent se limiter aux terrains de golf aseptisés dont il est le propriétaire? L’image de cet homme est à jamais associée à un hélicoptère et un jet privés et à des gazouillis matutinaux n’ayant rien de commun avec des chants d’oiseaux!
Cela dit, l’accord de Paris n’est qu’un premier pas dans la bonne direction, un premier pas d’ailleurs dangereux dans la mesure où il renforce l’illusion que la croissance est compatible avec le retour de la vie en nous et hors de nous. Si elle ne s’accompagne pas d’une greffe de l’homme fonctionnel sur le milieu vivant, ce qui supposerait qu’elle change de nature, la croissance aggravera le mal. Le lien du foie avec l’ensemble du corps, par une multitude de petits vaisseaux, est une belle image de la greffe de l’homme entier à un milieu vivant.
Prédation écologique
Pour que Rachel Carson l’emporte, il faudrait aussi que le pays de Trump comprenne que son long passé de prédateur de la planète crée pour lui des obligations dont il ne saurait se libérer sans s’avilir irrémédiablement. Le pays prédateur est celui qui prélève plus que sa part des ressources non renouvelables de la planète et rejette plus que sa part de produits polluants. Il hypothèque ainsi l’avenir de tous les autres pays du monde. D’où l’obligation dans laquelle il se trouve de faire plus que sa part pour protéger la nature.