Du désir de PMA et autres désirs technologiquement éclos
Où il s'agit moins d'approuver ou de condamner, que de comprendre.
Oublions le débat sur la légalisation de la « procréation médicalement assistée » (PMA) !
Car ce débat est fonction de la pression sociale d’un désir de PMA. Et c’est parce que ce désir est communément jugé dans le sens de l’histoire que l’on va vers la légalisation de la PMA pour toutes.
C’est bien son désir personnel d’avoir un enfant par une médiation technique où c’est la main et l’appareillage du bio-technicien qui réalise la rencontre entre le spermatozoïde et l’ovocyte, et non l’étreinte sexuelle avec un partenaire de sexe différent, qu’il faut interroger.
Certes, on peut désirer avoir un enfant alors que les conditions physiologiques ne peuvent être réunies pour un raison ou une autre. Mais qu’est-ce qui peut avaliser un tel désir lorsqu’il ne peut se réaliser qu’en passant par les lourdes contraintes impliquées par toutes les techniques de procréation médicalement assistée ?
Autrement dit, en deçà de la question de la légalisation, il importe d’aller vers des critères d’estimation de la recevabilité de son propre désir de PMA.
Cela requiert d’abord que l’on dépasse la mystification idéologique contemporaine concernant le désir.
Aujourd’hui, le désir est traité comme une évidence : « Si tel est mon désir, bien sûr qu’il m’est légitime de vouloir le satisfaire ! ». Le présupposé de vision du monde qui fonde cette quasi sacralisation du désir ? Le Bien, c’est profiter le plus possible de la vie, et profiter le plus possible de la vie c’est se mettre en capacité de satisfaire au mieux ses désirs ! Au point que la personne qui affirme « C’est mon désir ! » croit pouvoir donner la justification ultime à son comportement.
En réalité, vivre c’est autant écarter ses désirs que les affirmer. Être conscient, c’est d’abord être affecté par ce qui nous arrive. Autrement dit, ce qui fait le fond de notre conscience est une succession de sentiments qualitativement déterminés, c’est-à-dire qui constamment oscillent selon la polarité bon/mauvais. Et chacun de ces sentiments pose nécessairement un désir : celui d’aller vers le bon, ou de faire obstacle au mauvais.
Ainsi, nous ne cessons jamais, même en dormant, de micro-désirer. Et la plupart de ces désirs sont congédiés sans même attirer notre attention. On peut inférer que la pression dans le même sens d’une constellation de ces micro-désirs, de même que quelque événement qui émeut particulièrement, amènent à la formulation explicite de ce que l’on reconnaît comme son désir ; d’autant mieux d’ailleurs qu’interviennent des facteurs extérieurs opportuns : un message de propagande, un choix fait par autrui valorisé comme modèle, etc.
Vivre c’est choisir ses désirs pour en faire des projets de comportement, donc c’est en écarter innombrablement.
Mais peu importe ceux que l’on écarte, puisque l’enjeu est bien ceux que l’on choisit. Comment être assuré que l’on choisit les désirs dont la satisfaction sera finalement bonne. « Finalement », parce que la satisfaction humaine va bien au-delà du simple plaisir d’un moment, elle est la plus pleine et la plus durable – ce que désigne le mot « joie » – lorsqu’elle oriente sa vie vers sa plus grande valeur, ou, pour le dire avec les mots de Spinoza, « La joie est le passage de l’homme d’une moindre à une plus grande perfection. » (Éthique, III, def. 2)
D’autre part, on sait que régulièrement le sentiment de manque de l’objet désiré se renforce avec le temps jusqu’à devenir irrépressible dans son exigence du comportement adéquat. Cela signifie qu’il manifeste une nécessité physiologique. C’est alors qu’il faut parler de besoin. Il s’ensuit que, parmi tout ce qui nous incline à nous comporter pour une satisfaction (les désirs au sens large, qu’on appelait naguère plus justement «inclinations »), les besoins doivent être de toutes façons pris en compte.
Mais dans son ordinaire, le désir n’a pas du tout cette nécessité. J’ai très soif, tel est mon besoin présent, et j’aspire à commander telle boisson gazeuse dans un bar. Tous les bars sont fermés ? Hé bien je boirai de l’eau à la fontaine avec autant de soulagement physiologique, sans que le renoncement à mon désir entraîne quelque dommage !
Le besoin est nécessaire, le désir est contingent (lié à des circonstances qui auraient pu ne pas être). Le besoin est rigide en ce qu’il reste rivé à un objet déterminé (quelque chose à boire ou à manger, un lieu pour dormir, etc.), le désir est plastique en ce qu’il peut faire évoluer son objet selon les circonstances. Car le désir s’appuie sur des représentations imaginaires mouvantes de sa satisfaction, alors que le besoin s’éprouve physiquement comme sensation d’inconfort qui peut s’accroître jusqu’à la douleur.
Le besoin est assuré quant à la satisfaction attendue. Par contre la satisfaction d’un désir garde un certain degré d’incertitude : on n’est pas du tout sûr de trouver dans l’accès à son objet la satisfaction que l’on fantasmait à son propos.
Concernant l’accouplement humain, on parle volontiers de désir sexuel, et à juste titre car la motivation est essentiellement nourrie de contenus imaginaires contingents. C’est bien pourquoi la sexualité humaine peut prendre un nombre indéfinie de formes. Mais on ne peut nier qu’il y a aussi une dimension de besoin dans le mouvement vers l’accouplement – c’est pourquoi la tension vers l’accouplement devient particulièrement insistante en certaines périodes de la vie, comme au printemps au sortir de l’adolescence.
On peut appeler génitalité le besoin d’accouplement, et sexualité, tous les mouvements de l’âme et du corps liés au désir d’accouplement.
Alors que la génitalité apparaît quasiment exclusive chez l’animal, elle est marginalisée chez l’humain qu’accapare une sexualité envahissante.
Mais même s’il fallait admettre la possibilité humaine d’une pure génitalité, elle ne serait qu’un besoin d’accouplement, et non pas un besoin de faire un enfant, puisque ce sont alors des mécanismes naturels qui amènent à une union des corps telle qu’elle favorise la probabilité d’une fécondation. D’ailleurs, il est attesté que, souvent dans le passé, des sociétés ont méconnu le lien entre accouplement et fécondité féminine.
C’est pourquoi il faut accorder que, depuis toujours, la majorité des enfants naissent comme conséquence physiologique de l’accomplissement du désir d’accouplement, plutôt que l’accouplement soit recherché comme moyen de faire un enfant.
Cela a été un considérable progrès de l’humanité que son accès à la conscience de la relation accouplement/fécondité telle qu’elle a permis une maîtrise de la fécondité.
Il reste que l’inclination à avoir un enfant est bien proprement un désir, avec ses dimensions d’imaginaire, de contingence – on peut choisir délibérément de ne pas avoir d’enfant – et d’incertitude quant à la satisfaction que l’on peut en attendre.
Cette contingence peut amener à un désir d’enfant des personnes qui ne sont pas en situation de le satisfaire par un accouplement fécond, que ce soit pour des raisons physiologiques, psychologiques ou sociales.
Il semble bien qu’historiquement, pour ces personnes, un tel désir a presque toujours été écarté en tant que tel, en arrivant quand même la plupart du temps à trouver une satisfaction oblique par un attachement privilégié à un enfant d’une lignée de sa famille proche ou de son voisinage social.
Par ailleurs, une réponse franche à ce désir, a priori déplacé, a régulièrement été trouvée dans l’adoption, dans le cadre des règles de la société, d’un enfant en défaut de parents.
Ce n’est que très récemment – depuis les années 70 – que sont apparues progressivement une batterie de techniques bio-médicales, celles qui rentrent sous l’appellation globale de Procréation Médicalement Assistée (PMA), qui donnent de nouvelles possibilités de satisfaire son désir d’enfant lorsque la voie naturelle est impossible.
Pourquoi ne pas en tirer bénéfice ? Ce qui revient à poser la question : en quoi son désir de PMA pourra-t-il être jugé, finalement, bon ?
La valeur d’un désir d’enfant peut être un savoir d’intuition. Comprenons-le sur le modèle du savoir de celui qui tombe amoureux. Il est évident que Romeo savait qu’il ne pouvait envisager de vivre sans Juliette, car dès qu’il l’eut rencontrée il avait compris que sans elle sa vie n’aurait plus de sens. On peut savoir avec tout autant d’assurance vouloir être parent d’un enfant pour une raison qui tient également au sens de sa vie : « Sans cet enfant ma vie aura quelque chose d’inaccompli ! »
On peut rattacher ce savoir intuitif qui entérine son désir d’enfant à la conscience qu’a l’individu humain de sa finitude. Il se sait mortel d’un part, mais d’autre part il se veut partie prenante de l’aventure humaine qui continuera après lui et dont l’enjeu est son sens historique : l’histoire fera-t-elle advenir la valeur de l’humain ? Et nous savons que c’est la culture comme domaine d’investissement collectif qui sédimente ce souci. Le sens du désir d’avoir un enfant qu’on « élève » (que le mot est juste !) serait alors de laisser son empreinte (génétique, mais aussi culturelle) dans la poursuite de cette aventure.
Un tel désir, intuitivement impératif, peut-il se concevoir dans la modalité d’une PMA ? Oui, dans la mesure où elle ne contredit pas ses présupposés.
Cela implique que ce désir soit compatible avec les valeurs d’humanité d’une part, et qu’il réalise la transmission de cette empreinte de soi-même vers le futur qui permet de parler de « son » enfant, d’autre part.
Le recours à une mère porteuse (GPA) dont le corps est simplement utilisé comme moyen ne remplit aucune de ses conditions. Par contre si la mère porteuse est une proche des aspirants parents qui le fait par amour pour eux, cela est concevable, mais laisse un problème quant au désir de transmission, puisque, aux côtés du couple d’homosexuels, la mère porteuse restera la vraie mère.
Le problème de transmission se retrouve dans les modes de PMA qui s’appuient sur le don anonyme de sperme, ou d’embryon, tout simplement parce que l’enfant a toutes chances de le poser un jour en s’interrogeant sur la (ou les) personnes à l’origine de ses gènes.
À ce point, on peut faire trois remarques :
1– Hors l’insémination artificielle des spermatozoïdes du père dans l’utérus de la mère, le bio-technicien à un rôle important, décisif même, dans la naissance de l’enfant – c’est lui qui choisit les spermatozoïdes, ou l’embryon. C’est pourquoi, malgré les dénégations répétées rituellement – « C’est votre projet ! C’est votre bébé ! » – , il garde nécessairement, même si cela est peu conscient, un rôle de père symbolique. Ce qui altère l’investissement de transmission des parents déclarés.
2– Dans les cas de couples homosexuels de recours à la PMA, la fertilité naturelle n’est pas en cause et est inutilisée. Il y a donc un choix théoriquement possible entre la voie technicienne et la voie naturelle, puisque, dans l’un ou l’autre cas, il faudra bien mettre en jeu des gènes étrangers au couple parental. Abstraction faite de la longueur, de la lourdeur et du coût financier du processus technique, la voie naturelle est préférable du point de vue objectif puisqu’il y a un « parent-fantôme » en moins pour l’enfant : le bio-technicien. D’ailleurs dans la voie naturelle le géniteur (trice) de convenance peut ne pas rester fantôme et être reconnu comme tel, ce qui allégera, pour l’enfant, l’appropriation de son identité. C’est le problème de chacun d’examiner si son détournement de l’hétérosexualité tolère l’exception d’une étreinte pour réaliser son désir d’enfant, compte-tenu de la qualité de la personne qui accepterait ce rôle de donneur de gamètes ou de bébé.
3– Il faut relativiser l’importance des gènes dans son désir de transmission. On sait en effet que l’on peut donner un plein sens humain à sa vie sans avoir un enfant portant ses gènes. C’est ce que font les créateurs dont les œuvres s’inscrivent dans le patrimoine culturel, c’est ce que font tout autant les éducateurs – et il est certain qu’une vie humaine prend toujours du sens dès lors qu’elle consacre une part de son énergie à l’éducation des nouvelles générations. De cela on peut conclure que l’adoption est toujours une bonne solution à ce désir d’avoir un enfant qui s’impose en dépit de l’impossibilité de sa solution naturelle. Et, si ce n’est l’adoption, le parrainage, si universellement pratiqué dans l’histoire humaine, est une authentique solution au désir de transmission. Il faut déplorer qu’il soit si négligé aujourd’hui, dans nos sociétés qui ont laissé se désagréger les relations familiales.
On peut donc conclure que, pour satisfaire son désir d’enfant dont la valeur s’impose intuitivement comme donnant sens à sa vie – lorsqu’on ne peut pas le faire naturellement – la solution PMA n’est surtout pas celle vers laquelle il faut se tourner d’emblée, comme l’idéologie régnante semble la présenter aujourd’hui. Il y a d’autres solutions bien plus fidèles à la promesse que signifie cet investissement pour un enfant.
C’est seulement comme solution de dernier recours que la PMA peut être raisonnablement valable.
Il arrive également qu’en des couples stériles ou des personnes seules un désir d’enfant se forme quoiqu’il ne s’impose pas avec la profondeur et l’impériosité des cas examinés ci-dessus. Ce désir est alors lié aux circonstances et aurait pu ne pas apparaître, c’est pourquoi il doit être réfléchi.
Pour bien réfléchir un désir, plutôt que de se lancer dans des développements sur sa satisfaction et ses conséquences, ce qui amène à abonder dans le sens de l’imaginaire qui le sous-tend, il est préférable de s’interroger sur son origine. Car c’est là que se joue la liberté de l’individu :« Telle est cette liberté humaine que tous les hommes se vantent d'avoir et qui consiste en cela seul que les hommes sont conscients de leurs désirs et ignorants des causes qui les déterminent. C'est ainsi qu'un enfant croit désirer librement le lait, et un jeune garçon irrité vouloir se venger s'il est irrité … » (Spinoza).
De ce point de point de vue, il faut s’interroger sur la dimension collective de l’affirmation d’un désir de PMA. Elle est certes liée à l’apparition d’une offre bio-technique crédible depuis la fin du siècle dernier. Mais elle est surtout le fait d’associations représentant les personnes non hétérosexuelles revendiquées (les groupes « LGBT » pour lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) au nom d’une égalité de traitement par la loi avec les personnes hétérosexuelles.
La réflexion devrait amener à invalider un désir de PMA procédant d’une telle démarche dans la mesure où elle le révèle réactif et mimétique.
Le désir est réactif en ce qu’il est déterminé par réaction à la souffrance subie dans le passé par la personne ayant dû cacher l’anormalité de son inclination sexuelle. Un tel désir ne relève en effet pas d’une aspiration propre à la personne, mais est déterminé par les conditions sociales oppressives éprouvées : «Je dis que nous agissons (…) lorsque, en nous ou hors de nous, il suit de notre nature quelque chose qui peut être clairement et distinctement compris par cette seule nature. Mais je dis au contraire que nous sommes passifs lorsqu'il se produit en nous, ou lorsqu'il suit de notre nature, quelque chose dont nous ne sommes que la cause partielle.» (Spinoza, Éthique, Partie III, déf. 2). Qui veut se lancer dans une PMA dans le cadre social évoqué ci-dessus doit sérieusement réfléchir si elle/il n’est pas seulement « la cause partielle » de cette décision.
Il se trouve que, le plus souvent, ce type de désir réactif est aussi mimétique : il prend sa forme dans l’imitation du désir de l’autre. Il est simple à comprendre qu’alors il n’est pas libre. Vouloir, pour un couple homo, être parent comme un couple hétéro peut l’être est une ambition vaine. Le droit et les jongleries de langage auront beau faire ça ne pourra jamais coller. C’est pourquoi si, après réflexion, on choisit la PMA, il est préférable d’admettre clairement, aussi bien pour soi-même que pour l’enfant, qu’on est dans une parentalité complexe, très différente de la parentalité hétéro – difficulté du processus menant à la naissance, rôle de la technique et du bio-médecin, origine des gènes, distribution des rôles parentaux à réinventer, etc. Car c’est bien la pire situation que l’on vive, et que l’on fasse vivre, que de rester dans la fausseté qui oblige le langage sans cesse à réaffirmer une fiction pour essayer d’empaqueter une réalité qui lui résiste.
Il semble que, là encore, une réflexion menée sincèrement devrait faire voir les avantages de l’adoption sur le recours aux artifices techniques d’une PMA. Le seul avantage d’une PMA semble être la possibilité de l’investir du fantasme que ce sera « son » enfant. Certes, ce sera un enfant que l’on aura chèrement payé. Mais cela ne change rien au fond : c’est un fantasme irréaliste.
Pourquoi alors les diverses techniques de PMA n’ont-elles pas été laissées à la solution de situations très exceptionnelles ? Pourquoi sont-elles devenues cet enjeu de société que l’on connaît aujourd’hui à travers le monde ?
Cela ne peut se comprendre si l’on n’admet pas un investissement très particulier de la technique propre à l’homme moderne – ce qu’on pourrait appeler un désir de technique.
Ordinairement, on a besoin d’une technique comme moyen nécessaire pour atteindre un but. Quand nous parlons de désir de technique, nous exprimons le fait que la technique apporte une satisfaction pour elle-même, dans le seul fait qu’on y ait recours, abstraction faite de la réalisation du but dont elle est le moyen.
Sans doute faut-il caractériser la modernité par ce rapport à la technique comme valeur en soi. C’est d’ailleurs le ressort nécessaire de la société industrielle comme dynamique de croissance indéfinie dans la production de biens. Qu’est-ce qui donne sa valeur à une marchandise en situation d’abondance de biens ? Son différentiel technique : cette lessive lave plus blanc, ce téléphone a plus de capacités et de fonctionnalités ! Par contre les marchandises qui ne peuvent pas proposer de différentiel technique sont négligées. Ainsi en est-il, par exemple, des productions agricoles – c’est bien pourquoi il faut de toutes forces techniciser l’agriculture, et qu’il y a une telle pression marchande pour faire sauter le verrou des interdictions de cultures OGM.
Tout se passe comme si la société industrielle de croissance ne pouvait fonctionner qu’en s’appuyant sur le fantasme qu’acheter une marchandise (technicisée donc) c’est acquérir de la puissance. Ce fantasme n’est pas en général explicite (c’est l’utilité de la marchandise qui est invoquée explicitement). Cependant il opère puissamment dans la motivation d’achat, constamment alimenté par la propagande publicitaire. Mais un fantasme ne prospère ainsi socialement que s’il trouve une résonance dans l’imaginaire de chacun. Et les traits d’imaginaire commun qui mettent en scène la technique comme lieu de jouissance de sa puissance renvoient nécessairement à un vécu passé de l’espèce en lequel on peut déjà inférer des souffrances de se sentir impuissant par rapport à la nature[1].
C’est dans cette configuration d’investissement de la technique qu’il faut interpréter l’avènement des techniques de PMA comme enjeu de société. La PMA consiste à soustraire à la nature ce bien qu’est la capacité de reproduction. Elle semble donner réalité à un fantasme de pouvoir se reproduire n’importe où, n’importe quand, entre n’importe qui. C’est le fantasme de la puissance humaine qui outrepasse les limitations naturelles de la reproduction. Ce fantasme renvoie au vieux rêve démiurgique que les humains arrivent à créer un homme artificiel.
Lorsqu’il met en œuvre une PMA, l’humain peut donc magnifier son vécu comme s’il réalisait son fantasme de puissance par la technique à un autre niveau, supérieur à tout ce qu’il a réalisé auparavant[2].
* * *
La PMA pourrait n’être qu’une solution coûteuse, à la fois socialement et affectivement, pour répondre à des situations d’empêchement de la reproduction naturelle tout-à-fait exceptionnelles. À ce titre, elle ne serait qu’une technique marginale, laquelle, en particulier, n’aurait pas recours à une gestion quasi industrielle de spermatozoïdes et d’embryons.
Si elle ne l’est pas, n’est-ce pas essentiellement parce qu’elle est investie comme manifestation de puissance ?
Si la réponse est positive, alors il faut admettre que la PMA est une marchandise. Comme toutes les marchandises, elle s’avance vers l’individu parée de son différentiel technique afin de susciter un désir qui va bien au-delà de son utilité.
La PMA serait cette marchandise catalysant un débat social particulièrement vigoureux parce qu’elle créerait une tension entre des motivations antagonistes fortes : d’une part un investissement dans un très archaïque fantasme de puissance, d’autre part une irrationalité manifeste dans un choix essentiel pour l’orientation de sa vie.
Pour le désir de PMA, comme pour d’autres désirs technologiquement éclos, il suffit d’un peu de réflexion pour échapper à de pseudo-solutions fort coûteuses.
[1] Voir P-J Dessertine, Pourquoi l’homme épuise-t-il sa planète ?, chap 13, La puissance technique, où l’on montre la surdétermination de cet investissement irrationnel de la technique.
[2] Ce n’est pas encore le couronnement de cette fantasmatique. Celui-ci serait dans une technique qui réaliserait l’immortalité.