L'environnement humain dans nos sociétés technologiques
L'Harmonie darwinienne est constituée d'une relation mutuelle entre l'organisme et son environnement. De cette affirmation, l’Harmonie de l'environnement est un élément aussi essentiel que l'harmonie qui se dégage dans le processus de l'évolution organique.
L'idéal d'Harmonie que Henderson avait à l'esprit semble, malheureusement, complètement oublié des environnementalistes. Ils se sentent moins concernés par l'harmonie de l'environnement que par les dangers sociaux et biologiques qui sont la conséquence de la vie moderne - telle que la pollution, les perturbations comportementales causées par la foule, les conséquences pathologiques dues à des stimuli excessifs et antinaturels, les milliers de démons de la crise écologique. Pour la plupart des néophytes, mais non pour quelques scientifiques, le mot environnement évoque non l'harmonie mais un monde de cauchemars.
Nos sociétés prennent lentement conscience des problèmes environnementaux générés par la mauvaise gestion de la technologies; elles s'imaginent réussir en imaginant des techniques permettant d'en maîtriser quelques uns. Cependant, tandis que ce type de construction sociale, au coup par coup, développé actuellement par les environnementalistes pourra s'avérer utile, il ne permettra pas longtemps une solution de la crise écologique ou de résoudre les menaces planant sur la qualité de la vie humaine. Le dilemme technologique nécessite un peu plus que de boucher une digue avec un doigt, alors que ce dont ont besoin nos sociétés modernes est une philosophie cohérente de l'environnement.
Si le but de notre civilisation technologique est simplement de faire de plus en plus la même chose, en plus important et plus rapidement, demain ne sera qu'une épouvantable extension d'aujourd'hui et nous conduira presque inévitablement au désastre. Ce qui est actuellement appelé «amélioration de l'environnement» n'est en fait constitué que de mesures palliatives ad hoc destinées à retarder ou à minimiser l'amenuisement des ressources naturelles, le viol de la nature, la perte des valeurs humaines et les formes les plus atroces du chômage. De tels programmes sont des manifestations de peur plutôt que celles d'une pensée constructive. Au mieux, ils constituent des réponses à courte vue à des crises aiguës, mais ils ne vont jamais au cœur du problème.
L'expression «harmonie de l'environnement» constitue un cadre de travail en vue d’une conception beaucoup plus large de la science de l'environnement. Elle suggère que des changements subits et drastiques sont susceptibles de rompre l'harmonie adaptative et de ce fait perturber la santé physique et mentale. Sous un aspect plus intéressant, ceci signifie que les expressions évolutives et phénotypiques du corps et de l'esprit sont façonnées par les réponses adaptatives que les êtres humains rendent à leur environnement.
À terme, la plupart des formes d'adaptation à l'environnement nécessitent des changements génétiques. Dans mes propos, j'insisterai cependant sur les problèmes du futur immédiat et par voie de conséquence, sur la façon dont l'environnement exerce une influence sur les expressions phénotypiques de l'espèce humaine.
Les facteurs de la maturité
La prise de conscience que les caractéristiques humaines sont déterminées par les forces issues de l'environnement a été largement développée chez les philosophes et médecins grecs. Dans un passage saisissant de son traité «Espaces, Eaux et Lieux», Hippocrate affirme brutalement que le climat, la topographie, le sol, la nourriture et l'eau non seulement interfèrent avec la stature physique et la santé, mais aussi avec les aspects comportementaux, les prouesses militaires et même les structures politiques.
Cet aspect de la doctrine d'Hippocrate a été reformulée d'une façon plus générale par Ralph Waldo Emerson dans son essai «Coutumes des Grands Hommes»:
Il y a des défauts et des aberrations inhérentes à toutes les populations et à toutes les époques. Les hommes ressemblent à leurs contemporains beaucoup plus qu'à leurs géniteurs.
Nous ressemblons à nos géniteurs parce que nous avons reçu en héritage leur patrimoine génétique. Mais nous sommes bien plus semblables à nos contemporains, parce que, à l'intérieur d'un environnement social donné, la plupart des membres d'une génération donnée sont exposés aux mêmes influences dans les premiers moments de leur vie. Le génome humain reste essentiellement le même d'une génération à l'autre, mais ses manifestations phénotypiques changent rapidement, car l'entourage et les événements qui forgent les caractéristiques physiologiques et le comportement, diffèrent d'un lieu à l'autre et d'un individu à un autre.
En tant que moraliste, Emerson se sentait concerné par les qualités intellectuelles et émotionnelles des êtres humains, mais son aphorisme s'applique de la même façon aux qualités anatomiques et physiologiques. Quelques exemples suffiront pour illustrer que des changements spectaculaires, dans de multiples caractéristiques des êtres humains, peuvent intervenir au cours des générations successives.
Les adolescents japonais sont beaucoup plus grands que leurs concitoyens d'avant-guerre et se différencient par leur comportement - non en raison de différences génétiques, mais parce que les conditions de vie au Japon ont profondément changé durant ces 20 dernières années. De la même manière, les adolescents des kibboutz israéliens dépassent largement leurs parents, qui sont nés et ont été élevés dans les ghettos des pays de l'Europe de l'Est.
L'accélération de la croissance au Japon et en Israël ne constitue qu'un cas particulier d'une tendance vers une maturité plus précoce des enfants, maturité qui s'est révélée évidente depuis des dizaines d'années dans la plupart des pays occidentaux. Ceci s'est manifesté par les poids et les tailles plus élevés des enfants pour chaque année d'existence, et par l'âge plus précoce de la première menstruation. Ainsi, pendant les cent dernières années, en Norvège, l'âge moyen de la puberté est tombé de 17 à 13 ans. Des faits similaires ont été reportés en Suède, Grande Bretagne et aux États-Unis et dans d'autres pays développés.
La croissance n'a pas été seulement accélérée; les poids et tailles définitifs des adultes sont plus importants. Il y a quelque cinquante ans, la taille définitive n'était pas, d'une façon générale, atteinte avant l'âge de 29 ans; il est courant aujourd'hui qu'elle soit atteinte aux environs de 19 ans chez les garçons et 17 ans chez les filles.
On ne connaît rien ou presque des conséquences à long terme des facteurs de la maturité, mais on peut supposer qu'un développement, précoce ou non, influence de nombreux aspects du comportement. Considéré sous cet angle, il est préoccupant que nos sociétés tendent, d'une façon croissante, à traiter jeunes hommes et jeunes femmes comme des enfants, et, leur refuse toute chance de s'impliquer dans des activités sociales, alors que paradoxalement leur développement biologique s'est accéléré.
L'homme et la nature
L'accélération du développement anatomique et sexuel et l'accroissement de la taille des adultes ont été aussi évidents dans les villes que dans les campagnes -et peut-être même plus. Cependant, prévaut toujours l'idée que la vie à la campagne est plus saine que dans les villes parce qu'elle est plus naturelle. Cette croyance a pu se trouver justifiée dans le passé. De nos jours, cependant, les différences existant entre la vie à la campagne ou dans les villes s'estompent rapidement dans la plus grande partie du monde occidental. Qu'il vive dans une ville, une banlieue ou une ferme, l'homme moderne acquiert des caractères établis qui sont presque universellement distribués, car déterminés par des impératifs technologiques. L'espérance de vie et les problèmes de santé - les soi-disant soucis de la civilisation - sont pratiquement les mêmes pour les habitants de New York, Londres, Paris, Moscou ou Sidney que pour les fermiers, les forestiers ou les pêcheurs de n'importe quelle partie du monde - leurs activités s'étant trouvé mécanisées.
La modification des modes de vive et la modification de l'environnement par la technologie sont tellement récentes que leurs conséquences biologiques à long terme ne peuvent être prévues. Néanmoins quelques uns des ces problèmes inhérents à ces changements peuvent être désormais définis, tout du moins sous forme de questions pour lesquelles les connaissances qui en découleront ne pourront être obtenues que par des recherches biologiques spécifiquement orientées.
L'Homme, ayant évolué sous l'influence des forces cosmiques, a été «conditionné» par les nombreux rythmes de la nature - s'échelonnant depuis les battements du cœur maternel jusqu'à ceux associés aux cycles journaliers et saisonniers. Même lorsque l'homme devient un citadin, soumis à l'air conditionné et aux automates, ses processus physiologiques restent reliés aux forces cosmiques. Les périodicités biologiques essentielles qui ont été reconnues sont naturellement celles liées à la rotation quotidienne de la terre sur son axe, à sa rotation annuelle autour du soleil et à la rotation mensuelle de la lune autour de la terre.
Durant les deux dernières décennies, une grande variété de rythmes biologiques a été décrite aussi bien pour l'homme que pour les animaux. Ces rythmes affectent des caractéristiques aussi différentes que le taux du sang en éosine, en corticostérone, en sucres et en fer; les taux de chlore et d'urée contenus dans l'urine; la quantité d'adrénaline; l'activité mitotique épidermique; l'activité fibrinolytique du plasma; la pression oculaire; et la température interne du corps et le flux sanguin dans les membres. Le fait que les rythmes circadiens persistent même pour les tissus en cours de régénération, représente un intérêt tout particulier.
Les caractéristiques essentielles de l'environnement interne chez les animaux et chez l'homme se confinent dans des limites étroites; néanmoins, quelques unes des plus importantes activités biochimiques montrent des variations saisonnières prononcées. Un exemple saisissant d'une telle périodicité saisonnière est démontrée par les taux de « fasting ketonuria » chez les rats vivant en absence de nourriture depuis 48 H. Mesurée de mai à octobre, aux États-Unis comme en Angleterre, la quantité de dérivés acétoniques sécrétée par ces animaux, résultant de leur diète, était bien plus élevée que celle obtenue au cours des mois d'hiver. La sécrétion des dérivés acétoniques demeurait à un bas niveau au cours de l'hiver, même si les rats étaient placés dans un pièce maintenue à une température estivale. En conséquence, il apparaît clairement, que des facteurs autres que la chaleur se trouvaient responsables du taux élevé de « fasting ketosis », observé pendant les mois d'été. La quantité de glycogène trouvée dans le foie des rats après une diète de 24 H se trouvait modifiée en fonction de la saison choisie; elle était plus élevée en hiver qu'en été.
Sans la moindre contestation possible, les rythmes biologiques représentent l'extériorisation du comportement de la physiologie humaine due à notre environnement cosmique. Cependant, ces rythmes ne sont pas immuables et peuvent se trouver modifiés par des changements dans les modes de vie ou en fonction de l'endroit où l'on réside. De tels changements provoquent habituellement de profondes perturbations, comme ceci est ressenti par les travailleurs qui passent d'un poste de jour à un poste de nuit, ou par les personnes se déplaçant sur de longues distances au moyen des transports aériens. Due à plusieurs de ces perturbations, on a pu démontrer une relation de cause à effet, dans les modifications de certaines fonctions physiologiques, telle que l'activité endocrinienne.
Si la technologie permet d'éliminer de notre environnement certaines modifications des rythmes, sous lesquels l'évolution humaine s'est déroulée, elle ne permet cependant pas d'éliminer les rythmes qui se sont profondément enracinés dans le tissu humain, tout au cours de l'évolution. Cette dissociation entre ces deux types de rythmes est tout à fait nouvelle pour la race humaine. Si a priori, ses effets à long terme ne sont nullement prévisibles, par contre, ils pourront être étudiés à l'aide de modèles expérimentaux appropriés.
L'air conditionné, une exposition constante à la lumière tout au long de l'année, l'adaptation aux variations climatiques saisonnières et les autres aspects de la vie dans l'environnement technologique, engendrent des problèmes physiologiques impliquant des facteurs tels que les cycles cosmiques, les rythmes biologiques et des modifications hormonales, qui pourraient alors se trouver incorporés dans des modèles expérimentaux. L'étude de ces problèmes s'avère essentielle pour le développement de méthodes rationnelles pour la gestion de l'environnement. De la sorte, la connaissance des réactions physiologiques aux changements de températures, à différentes saisons de l'année, pourrait certainement apporter une contribution au développement de conditions plus rationnelles et plus efficaces dans l'utilisation de la climatisation.
Adaptations à la surpopulation
Une des conséquences de la technologie est que, pour les prochaines décennies, la plupart des gens vivront dans de larges zones urbaines. Surpopulation et exposition au bruit et autres types d'agressions sont les compagnons de l'urbanisation, considérés de façon commune, comme les stress les plus sérieux de l'environnement moderne.
Bien qu'il soit à la mode de se plaindre de la surpopulation, c'est un fait que d'innombrables êtres humains semblent avoir choisi de vivre parmi les foules tout au long des époques anciennes, et même préhistoriques. Les sites néolithiques, Rome tout au long de la période impériale, les villes médiévales fortifiées et les cités de la Révolution Industrielle, présentaient dans leur ensemble, des densités de population qui n'ont pas été dépassées à notre propre époque. Les villes modernes sont plus grandes, mais d'une façon générale elles sont moins peuplées que celles du passé.
On a même la certitude que les individus sauront mieux s'adapter au surpeuplement, par le fait qu'ils auront été imprégnés du mode de vie citadine au cours des premières phases de leur développement. Si en définitive, cette adaptation peut entraîner des modifications génétiques au sein de la race humaine, à ce jour, elle est grandement déterminée par les expériences dues à la vie personnelle.
Dans la plupart des cas, les effets néfastes de la surpopulation ne proviennent pas tant de la densité élevée de population, que des perturbations sociales associées aux subits accroissements de la densité. L'effroyable proportion de maladies physiques et mentales, au cours de la première phase de la Révolution Industrielle, avait différentes origines - telles que la grande carence médicale et la malnutrition - mais un de ses plus importants facteurs provient indiscutablement du fait qu'un nombre immense de non-citadins migrèrent, en quelques décennies, vers les centres industriels. Ils durent vivre et survivre dans les logements et les emplacements surpeuplés des cités-champignon industrielles avant que physiologiquement et psychiquement, ils puissent commencer à s'adapter à leurs nouveaux modes de vie. Et là encore, cela prit quelques décennies supplémentaires pour que ces populations rurales se transforment en populations urbaines - qui désormais se trouvent satisfaites par l'environnement surpeuplé qui générait des maladies, il y a un siècle. Il n'est plus possible de renvoyer les enfants à la ferme, alors qu'il ont goûté à la grande ville.
Limites non définies de la sécurité
Les conséquences du peuplement ne peuvent pas se juger au niveau de la densité de population; elles dépendent de l'organisation collective et de la nature des interrelations entre les individus. Hong Kong et la Hollande font partie des secteurs les plus peuplés du monde; mais leurs populations font preuve d'une excellente santé physique et mentale, car, pendant des siècles de confrontation avec le surpeuplement, elles ont tranquillement développé des faisceaux de relations humaines qui estompent les conflits sociaux et permettent aux individus de conserver une forte proportion de liberté individuelle. Ce qui ne signifie, en aucune façon, que l'homme peut indéfiniment accroître la densité de sa population, mais que les garde-fous n'ont pas été bien définis.
Pour la plupart des gens vivant dans le monde contemporain, les contacts entre les multitudes d'êtres humains en sont arrivés à constituer le mode de vie normal. Ce changement a certainement causé toutes sortes d'adaptations phénotypiques aux environnements collectifs, qui constituaient des terreurs biologiques et émotionnelles dans le passé. Mais les conséquences à long terme de cette adaptation nous sont inconnues. Si une surpopulation extrême et persistante, présente des effets pathologiques, ceux-ci auront un cours pernicieux; leurs manifestations ne sont pas déterminées par l'effet initial de la pression due à la surpopulation sur un organe-cible spécifique, mais plutôt par des réactions secondaires complexes, suscitées de l'organisme dans son ensemble et du groupe social.
Modèles expérimentaux
Les réponses à la densité de population impliquent des phénomènes, qui concernent si spécifiquement l'homme, qu'elles ne peuvent être totalement reproduites au sein des populations animales. De ce fait certains aspects des problèmes liés à la surpopulation devront être étudiés au travers de modèles expérimentaux. Ainsi, chez l'animal comme chez l'homme, la surpopulation affecte la sécrétion de diverses hormones, mais ces effets sont eux-mêmes fonction de la façon dont une densité élevée de population est atteinte. Si des animaux adultes (jeunes ou âgés), de provenances différentes, se trouvent rassemblés en un lieu, ils montrent un comportement agressif. A l'inverse, s'ils sont nés et si on les a laissé se multiplier, en un emplacement fermé déterminé, ils atteignent une organisation sociale qui minimise les conflits violents. En définitive de plus en plus d'animaux font preuve d'un comportement anormal lorsque la pression sur leur population s'accroît au-delà de certaines limites. Les inadaptés ne sont pas organiquement malades, mais ils se comportent en ignorant la présence de leurs compagnons de captivité. Leur comportement est asocial plutôt qu'anti-social, comme l'illustre le film présenté, il y a deux ans, par Alexander Kessler lorsqu'il a soutenu sa thèse: «Interrelations entre l'Écologie et la Physiologie collectives, la Génétique et l'Évolution des Populations».
Désormais, une utilisation appropriée de l'espace, pour tout ce qui concerne l'habitat humain constituera un des plus importants aspects de la science de l'environnement. A ce stade, quoique les études expérimentales, entreprises sur cette question, sont peu nombreuses et ne donnent que peu de résultats, elles ont cependant largement contribué à une meilleure compréhension des effets que la surpopulation exerce sur les êtres humains. Et ce d'autant plus, qu'elles ont mis en évidence, que ce qui détermine si une densité de population donnée constitue une expérience plaisante, ennuyeuse ou dangereuse, fait intervenir des facteurs autres que la densité de population.
On peut facilement envisager le développement d'une science de l'utilisation de l'espace, fondée sur l'étude de caractéristiques physiologiques telles que les troubles hormonaux, les modifications de la fertilité, l'acquisition ou la perte de différents aspects comportementaux. L'interprétation de ce qui découlera de ces études devra tenir compte du développement évolutif du modèle expérimental. A tous les niveaux d'une densité de population, le passé de l'organisme individuel et de son groupe conditionne la façon selon lequel l'espace est ressenti.
L'homme et son alimentation
J'ai retenu les questions de cycles biologiques et d'utilisation d'espace pour illustrer deux aspects de la science expérimentale pour lesquels les réponses de l'organisme aux stimuli expérimentaux sont plus nettement conditionnées par l'histoire de l'espèce et du groupe. J'aborderai maintenant les problèmes d'alimentation et de pollution de l'environnement en tant qu'exemples pour lesquels les réponses aux stimuli environnementaux sont plus précisément l'expression des propres caractéristiques de l'organisme individuel.
Les situations de sous-alimentation ou de manque de nourriture ne sont plus aussi répandues que par le passé. Mais néanmoins est apparue, dans le monde occidental, une nouvelle forme de mal-nutrition qui se trouve, sans aucune contestation possible, liée à certains aspects de la vie au sein de nos sociétés technologiques.
Les besoins métaboliques fondamentaux de l'homme n’ont naturellement pas varié; mais en quantité, ils dépendent des éléments environnementaux. Il y a deux générations, les besoins alimentaires se déterminaient à partir d'études métaboliques, réalisées sur de jeunes adultes vigoureux, en pleine activité physique. Les données, ainsi déterminées, sont vraisemblablement très différentes de celles que nous obtiendrions d'individus vivant, bien à l'abri, au sein de notre environnement moderne automatisé. En dépit de notre connaissance sophistiquée du métabolisme intermédiaire, nous nous trouvons particulièrement ignorants du type d'alimentation qui conviendrait aux modes de vie prévalant au sein de nos sociétés technologiques.
Un aspect du problème, directement lié à notre discussion, réside dans le fait que la nature des régimes alimentaires des sociétés technologiques peut devenir dangereux, lorsque ces régimes se trouvent associés à certaines habitudes et à certains stimuli qui prédominent dans ces sociétés. Les discussions perpétuelles sur l'étiologie des maladies vasculaires provoquent la confusion, même parmi les experts, car elles doivent tenir compte de nombreux facteurs autres que l'alimentation. Ainsi, alors qu'une consommation élevée de lipides semble liée à un taux élevé de maladies vasculaires, l'alimentation ne représente qu'une partie d'un système étiologique complexe. Les facteurs génétiques, le manque d'exercice physique, les prétendues tensions dues à la lutte pour la vie et très vraisemblablement une multitude d'autres états non reconnus, conditionnent la façon selon laquelle un individu réagit à un régime alimentaire déterminé. Les influences qui affectent la vie intra-utérine et les premiers jours de la vie après la naissance peuvent constituer un des facteurs jouant un rôle dans l'apparition de maladies vasculaires.
Vraisemblablement l'accélération de la maturité anatomique et physiologique, constatée dans les pays occidentalisés, provient, pour une grande part, des changements dans le comportement alimentaire au cours des premiers jours de la vie et, de la maîtrise des maladies infantiles. Personne ne peut objecter que la malnutrition et les maladies infectieuses sont inacceptables, mais il peut s'avérer également vraisemblable qu'une maturité extrêmement rapide puisse provoquer des résultats non souhaités, à long terme. Le beau bébé qui devient un bel adolescent ne fait pas obligatoirement un adulte en pleine forme.
À partir d'observations réalisées sur l'homme, confortées par des études expérimentales sur des animaux, on a supposé qu'une alimentation riche et abondante pendant les premières années de la vie conditionne, d'une façon telle, les caractéristiques métaboliques et comportementales, que les exigences nutritionnelles demeurent importantes par la suite - peut être même tout au long de la vie. En ce qui concerne les individus qui vivent dans un monde protégé et automatisé, la conséquence alimentaire indélébile, découlant d'une alimentation riche au début de la vie, pourrait bien conduire à des conséquences métaboliques et comportementales, indésirables.
Dans un tel cas, des expériences sur des animaux de laboratoire, pourraient de nouveau fournir des modèles qui rendraient possible d'analyser les mécanismes au travers desquels, les régimes alimentaires, dans les premiers temps de la vie, affectent de façon permanente le destin de l'organisme.
Les effets des polluants
Toutes formes de pollution de l'environnement, y compris le bruit et d'autres agressions excessives, représentent évidemment des aspects dommageables dues à l'environnement technologique. En fait, toutes ces formes de pollution sont, d'une façon générale, aussi détestables à l'extérieur qu'au centre des villes - ainsi sur les autoroutes hautement fréquentées ou sur les cours d'eau surchargés de bateaux de transport. Les effluents urbains pollués, les produits chimiques, les engrais minéraux tels que les phosphates et les nitrates, polluent non seulement les approvisionnements en eau potable des villes mais également les voies d'eau naturelles et les lacs. Les gaz d'échappement des voitures, les fumées des usines et des incinérateurs s'ajoutent aux «smogs» qui sont presque aussi intenses au-dessus des banlieues qu'au-dessus des villes. En fait, les smogs se répandent de façon progressive sur tout les territoires et même au-dessus des océans.
Aucune étude systématique n'a été envisagée sur l'activité biologique des différents types d'agents polluants contenus dans l'air et dans l'eau. Par contre, les oxydes de fer et d'azote et le monoxyde de carbone ont fait l'objet de nombreuses publications.
À l'inverse, qui s'est préoccupé, par exemple, des particules colloïdaux provenant des pneus des automobiles par abrasion sur la chaussée, ou de l'amiante libérée des plaquettes de frein et des matériaux utilisés pour l'isolation dans la construction immobilière. Alors que ces produits spécifiques constituent un pourcentage très élevé de la masse totale des polluants atmosphériques, et que leur taille leur permet de profondément pénétrer dans la trachée pulmonaire.
Les expériences entreprises avec des radiations ionisantes et avec la fumée des cigarettes ont montré, d'une façon évidente, que de nombreux effets de la pollution de l'environnement sont très longs à se manifester. Dans de nombreux cas, ceci exclut pratiquement la possibilité d'établir des relations étiologiques absolues de cause à effet. Il en résulte qu'il est difficile de créer le type de pression collective nécessaire en vue d’une amélioration de l'environnement.
Et puisque la plupart des types de polluants de notre environnement, produits par la technologie moderne, n'avaient pas atteint des niveaux suffisants jusqu'à il y a une ou deux décennies, leurs pires effets doivent être encore appréhendés.
En se référant au passé, on peut envisager quelques tendances générales dans l'approche du public à la maîtrise de l'environnement. En tous lieux appropriés, la pollution chimique de l'atmosphère, de l'eau et de la nourriture sera suffisamment maîtrisée pour prévenir les types d'effets toxiques qui provoquent des troubles immédiats, évidents. Les êtres humains seront alors à même de tolérer sans se plaindre des concentrations de polluants, dans leur environnement, à un taux suffisamment bas pour ne pas entraver leur vie sociale et économique. Une exposition prolongée, à des niveaux aussi bas, à des agents toxiques amèneront cependant une grande variété de manifestations pathologiques décelées dans le temps; elles ne seront pas décelées au moment de l'exposition, et pourraient ne pas se révéler avant plusieurs décennies.
Au cours d'expériences récentes, on a trouvé que, si pendant la période néonatale, des souris recevaient une seule injection de particules polluantes, présentes dans l'atmosphère urbaine, une fréquence très élevée d«'hepatomas» était constatée pendant leur vie adulte. Cette constatation suggère que les pires effets de ce type de pollution, à laquelle nous sommes confrontés, peuvent ne se manifester que dans le futur. Mais ce que suggère plus largement ces expériences est l'évidence que les jeunes organismes sont bien plus réactifs aux conditions environnementales que ne le sont les adultes.
Notre environnement et notre avenir
Les réactions de l'organisme aux agressions de l'environnement, au cours des toutes premières phase de son développement, y compris la période intra-utérine, méritent une attention spéciale, car elles exercent des effets profonds et durables sur les caractéristiques physiques, physiologiques et comportementales de l'adulte. Dans la réalité, de tels effets perdurent souvent si longtemps qu'ils peuvent être considérés comme une expression d'un Freudianisme biologique.
De façon identique, des expériences ont montré que, chez les animaux, les conditions précoces conditionnent la croissance, la longévité, le comportement, la résistance au stress et la capacité d'assimiler certaines connaissances. On peut cependant étudier les effets exercés par les premières influences, sur la vie humaine, au travers de modèles exprimentaux, d'une façon bien similaire à ce qui a été fait dans le cas d'autres problèmes biologiques.
J’ai employé l'adjectif humain pour décrire le mot «environnement» dans mon titre, car il était dans mes intentions de me préoccuper non de l'environnement per se, mais plutôt comment les facteurs environnementaux influent sur la vie humaine. En particulier, j'ai mis en avant que les effets de l'environnement, aussi bien physiologiques que comportementaux, dépendent du passé évolutif et individuel de l'organisme et de son aptitude à s'adapter. Une température de 13° C nous paraîtra idyllique, en plein hiver, et froide en plein été. Un ciel qui semble bleu à un New Yorkais, paraîtra grisâtre à un fermier du Montana. Main Street à Gropher Prairie, Minnesota, pourra sembler noire de monde à un fermier de passage, alors que l'homme des vieux quartiers la considérera comme déserte.
Les facteurs environnementaux affectent non seulement notre bien-être et la productivité, à un moment donné. Mais, ce qui est plus grave, ils conditionnent nos réactions à presque n'importe quel stimulus. Le temps se trouve être cependant un facteur essentiel dans l'évaluation des effets de notre environnement. En agissant sur l'enfant pendant ses années de formation, son environnement le modèlera physiquement et mentalement et, de la sorte, influera sur ce qu'il deviendra et comment il se comportera en adulte. Pour cette raison, une conception de l'environnement aura un rôle essentiel et permettra aux êtres humains de développer toutes leurs facultés.
Bien qu'ayant insisté, par mes observations, sur la formation des attributs mentaux et physiques dus à la puissance de l'environnement, ceci ne signifie nullement que je considère l'homme comme l'aboutissement d'une certaine forme de prédestination. Au contraire, je voulais insister sur le fait que choisir ou créer son environnement est un acte qui nous affecte immédiatement, mais qui de plus impose un cadre à notre avenir. A la lumière de ceci, la conception d'un environnement idéal devient irréaliste, car cela suppose une vision figée de l'homme. Une réflexion appropriée nous aidera grandement à déterminer où nous désirons nous diriger et ce que nous voulons devenir; par voie de conséquence, il existe des paramètres aussi importants qu'objectifs, mesurables, pour nous permettre d'évaluer la qualité de l'environnement.
Que des critères biologiques doivent être rajoutés à une profonde réflexion se trouve illustré par les types de changements «indésirables» dans la vie humaine, qui sont susceptibles d'intervenir dans l'hypothèse où l'homme, biologiquement, s'adapterait à des densités de population extrêmement élevées. La complexité des structures sociales rendront alors, inévitable, une certaine forme d'embrigadement; liberté et vie privée pourraient constituer des luxes anti-sociaux, et y parvenir nécessitera un vrai combat. En conséquence, les individus ayant la plus grande volonté de prospérer seront ceux qui accepteront un vie embrigadée, au sein d'un monde grouillant et pollué, dont toute nature à l'état sauvage et toute fantaisie auront disparu. Les animaux domestiqués de la ferme et les rongeurs en laboratoire, sous régime alimentaire contrôlé, au sein d'un environnement maîtrisé, deviendront alors les modèles véritables destinés à l'étude de l'homme.
Il faut en convenir, il est tout à fait possible d'élever et d'habituer des enfants à une vie, dans des conditions hyper socialisées, - à un point tel que ceux-ci ne se sentiraient pas en sécurité et heureux hors d'une population qui leur ressemble. Mais ceci n'anéantit pas la vision qu'un danger potentiel réside même, à ce jour, à notre niveau de surpopulation. Enfants comme adultes peuvent être accoutumés à accepter, comme souhaitable, pratiquement toute forme de perversion -physiologique, comportementale ou intellectuelle.
En définitive, l'environnement humain se traduit par ce qui est expérimenté par l'homme et c'est la qualité de ces expériences qui donne sa valeur à la vie. Pour cette raison, je ressens de la tristesse et de l'indignation en voyant les enfants des villes américaines se trouver conditionnés par le bruit, la laideur et les détritus dans les rues - et de ce fait conditionnés à accepter la misère publique comme un état normal des choses.
Une expérience personnelle m'a enseigné la sagesse des mots de Winston Churchill: «Nous façonnons nos bâtiments et à leur tour ceux-ci nous façonnent». J'ai passé mes années scolaires à Paris, jusqu'à l'âge de 24 ans. À cette époque, les monuments historiques de Paris étaient sombres, recouverts de suie noire. Nous avions l'habitude de croire que cette teinte grisâtre - dont la cause était la saleté donnait un raffinement, à l'ancienne, à l'atmosphère parisienne. De ce fait, il y eut des clameurs de colère lorsque André Malraux émit l'idée que les monuments de Paris devraient être ravalés. Ce fut alors un miracle. Après élimination de la suie des monuments du 18ième siècle, leurs façades révélèrent la nuance dorée de leur pierre, aussi subtile et chaude qu'une jeune chair humaine. Pendant plus d'un siècle, les Parisiens et le reste de la Planète, s'étaient habitués à l'atmosphère maussade générée par la suie et la saleté provenant de la Révolution Industrielle. La vie affective s'en est trouvée appauvrie, en raison de cette accoutumance. Combien je désire désormais, en tant que jeune enfant, pouvoir avoir vu les cathédrales gothiques quand elles étaient toujours claires et les monuments du 18ième siècle quand ils présentaient orgueilleusement leurs pierres coloriées et leurs marches de marbre rose.
Les êtres humains peuvent si facilement s'adapter, qu'ils peuvent survivre, vivre et s'accroître en dépit de la malnutrition, de la pollution de l'environnement, d'agressions sensorielles ahurissantes, de la laideur et de l'ennui, de la densité excessive de population et de son embrigadement consécutif. Mais alors que l'adaptation biologique constitue un actif pour la survie d'Homo Sapiens, en tant qu'espèce biologique, elle peut saper les attributs qui rend la vie humaine différente de la vie animale. Du point de vue de l'homme, la réussite de l'adaptation doit être jugée en termes de valeurs spécifiques à l'homme.
Les aspects strictement biologiques de l'interaction de l'homme avec son environnement peuvent être à la fois étudiés, sur site et sur des modèles de laboratoire, selon les méthodes de la science expérimentale. Il semble évident que les connaissances ainsi acquises ne permettront pas de définir une politique de l'environnement, car la science, per se, ne peut ni déterminer, ni imposer les valeurs qui guideront notre comportement. Cependant, la science peut aller loin, jusqu'à prédire les conséquences biologiques vraisemblables d'applications technologiques et, de ce fait, peut contribuer à l'émergence de valeurs, en fournissant une base plus réelle pour le choix de différentes options. La Science environnementale sera dépassée lorsque la connaissance technologique et biologique sera utilisée pour anticiper les conséquences lointaines des réactions humaines aux entourages et aux événements; de la sorte elle aidera l'homme à se façonner lui-même, comme il façonne son environnement.