Le Génie du Lieu
Le mot environnement évoque désormais des cauchemars. Nous revient à l'esprit l'épuisement des ressources naturelles, l'accumulation des déchets, les diverses formes de pollution, la surpopulation, le bruit et les milliers de démons de la crise écologique. Cependant, est-il dangereux de ne penser à l'environnement qu'en termes aussi négatifs, malgré qu'il s'avère exact que l'environnement se dégrade d'une façon aussi importante et aussi traumatisante à la campagne que dans les villes. Si nous limitons notre intérêt à une correction des imperfections de l'environnement, nous devrions nous comporter comme des bêtes traquées, s'efforçant d'éviter un danger après l'autre, nous abritant derrière des séries infinies de barrières protectrices - à ce jour des dispositifs de postcombustion sur nos voitures et des systèmes sophistiqués de traitement des déchets, et demain des masques à gaz sur nos visages et des filtres sur nos robinets. Si de telles pratiques technologiques présenteront une utilité temporaire, elles compliqueront de façon croissante notre vie et ruineront sa qualité. La solution réelle à la crise écologique devra venir d'un changement dans nos modes de vie et dans le développement de valeurs positives liant la nature humaine à la Nature. J'avais ces valeurs positives à l'esprit lorsque j'ai choisi «Le Génie du Lieu», comme titre de ma conférence.
Ces valeurs positives peuvent parfois provenir de l'extérieur. Mais d'une façon universelle, les valeurs qui sont les plus susceptibles de l'emporter, au sein d'un système donné, sont celles qui sont inhérentes au système lui-même et qui font partie de son «génie», de son «esprit»; j'emploie, à dessein ces mots, enrobés du sens qu’ils possédaient dans la tradition gréco-romaine, classique.
Les Anciens personnifiaient une localité par un dieu ou une déesse spécifique, symbolisant ses qualités et ses potentialités. Nous avons cessé de croire aux dryades, nymphes ou génies. Mais rationalistes comme nous le sommes, nous sommes toujours sensibles à des expressions telles que «le génie de la Nouvelle Angleterre» ou «l'esprit du Far-West». Ces expressions supposent que nous reconnaissions que tout lieu est caractérisé par un ensemble d'attributs qui le rend différent des autres et qui le rend unique.
Tout visiteur peut ressentir, en quelques instants, l'esprit de Londres dans un pub, ou l'esprit de Paris à la terrasse comble d'un café étudiant. Il lui suffit simplement de traverser la frontière entre la Suisse et l'Italie pour réaliser, d'un seul coup d’œil, quelle est la différence entre les génies opposés de ces deux pays. Bien plus que je ne suis tenté de le faire, je n’engagerai pas la discussion sur les différences qui existent entre une ville et une autre, ou un pays et un autre pays - même si ce sujet passionnant fournissait des exemples frappant sur le génie du lieu. Encore faut-il mettre en exergue que le mot génie, dans notre contexte, n'implique nullement un jugement de valeur ou une quelconque notion de supériorité. Il se réfère simplement à l'ensemble des attributs qui donnent son caractère singulier à un lieu et lui permettent d'évoluer d'une façon telle que, tout en en se modifiant, il conserve son entière singularité.
Un des célèbres aphorismes d'Aldo Léopold est que la préservation de la Nature nous montre ce qu'un lieu pourrait être, ce qu'il devrait être et ce qu'il doit être. Selon moi, une telle affirmation suppose que l'on pratique une philosophie interrogative sur la Nature, car elle semble démontrer qu'une sorte de main invisible guide celle-ci sur le parfait et unique chemin de l'harmonie écologique qui existe entre les différents constituants de la Nature. En fait, comme nous le verrons, il est possible, dans la plupart des parties du monde, de trouver des voies sûres en vue d’une restauration écologique. De surcroît, l'aphorisme de Léopold sous-entend une vision défaitiste de la relation entre l'homme et la Nature. Il considère l'homme comme un intrus dont les inventions désagrègent, d'une façon pratiquement inévitable, l'ordre écologique et par voie de conséquence, sont susceptibles de conduire à la destruction de la Nature.
Cette forme de pessimisme, tel que l'affiche Léopold, a eu pour conséquence curieuse, auprès des traditionalistes de la préservation de la nature, de rendre l'enseignement biblique responsable de l'influence destructrice que l'homme a pu avoir sur la nature. Je consacrerai un peu de temps à cette affirmation, non seulement parce qu'elle ne se trouve pas confirmée par des faits historiques et par la pratique courante, mais aussi parce que, se trouvant largement acceptée, elle menace de détourner l'attention des réels problèmes de relation entre la terre et le genre humain.
La tradition judéo-chrétienne
La crise écologique dans le monde occidental, comme cela se dit parmi les écologistes et les traditionalistes de l'environnement, trouve son origine dans le premier chapitre de la Genèse:
l'homme s'y voit confier la domination sur toute la création. En trouvant une excuse toute prête dans ce passage des Écritures, les peuples d'origine judéo-chrétienne n'ont aucun scrupule - ainsi qu'il l'est établi - à exploiter la nature pour leur simple bénéfice personnel. Il en a résulté une série de désastres écologiques - allant de l'érosion des terres jusqu'à l'épuisement des ressources naturelles. Assez bizarrement, traditionalistes et écologistes, qui certainement le savaient bien, ont à peine même fait mention que de nombreux peuples, hors de la tradition judéo-chrétienne, ont, eux-mêmes, été impitoyables vis-à-vis de la nature, en de multiples occasions - alors même que la Bible n'avait pas encore été écrite. L'érosion, conséquence de l'activité humaine, s'est manifestée dans la Chine ancienne et a certainement causé la fin de la civilisation de Teotihuacan dans l'ancien Mexique. Platon a explicitement exprimé, dans son dialogue Critias, sa croyance que l'érodement de la Grèce était survenu, bien avant son époque - et - avait pour cause la déforestation et un sur-pâturage. Les alignements majestueux de cèdres et de cyprès au Liban ont été massivement exploités non seulement par Salomon mais également par les rois assyriens et les empereurs romains.
La civilisation judéo-chrétienne ne s'est montrée ni meilleure ni pire que les autres, dans ses rapports avec la nature. Tout au long de l'histoire, les hommes ont déstabilisé l'équilibre écologique, d'une façon quasiment générale, par ignorance et essentiellement parce qu'ils s'étaient sentis plus concernés par un profit immédiat que par des objectifs à long terme. Les chèvres ont aidé de façon considérable les êtres humains à survivre car elles possédaient l'aptitude à tirer de la nourriture de terres arides; mais très vraisemblablement elles ont contribué, sans doute bien plus que les bulldozers modernes, à la destruction des terres et à l'accroissement de la désertification.
Considérer que l'enseignement biblique s'est trouvé responsable de l'exploitation et du viol de la nature par l'homme moderne, nous a récemment conduit à un plaidoyer pour un retour à l'attitude d'humilité des premiers Franciscains. Puisque François d'Assise se trouvait en adoration devant tous les aspects de la nature, cela nous suggérait que nous devrions nous efforcer de marcher dans ses pas et abandonner toute attitude agressive envers elle. Dans un de ses articles fascinant et souvent cité, le Professeur Lynn White avait suggéré que François d'Assise soit déclaré le Saint Patron des écologistes. Cependant, même les premiers Franciscains abandonnèrent rapidement l'attitude romantique et irréaliste du Saint. Jamais l'Homme n'a pu être un simple adorateur de la Nature ou un témoin passif des phénomènes naturels. Dans les faits, il a développé son humanité par l'acte même de se comporter de façon constructive avec le monde qui l'entourait; et en façonnant la nature, selon ses désirs, afin de la rendre conforme à ses besoins, à ses souhaits et à ses aspirations. Stonehenge, Angkor Vat, le Parthénon et tous les innombrables autres temples construits par l'homme avant l'ère judéo-chrétienne, représentent l'expression de la volonté humaine, qui exploita pareillement la nature, autant que le firent la construction des cathédrales gothiques ou celle du pont George Washington.
Parmi tous les leaders religieux, Saint Benoît de Nubie se rapproche bien plus de la condition humaine que ne le fait Saint François. Saint Benoît et ses adeptes enseignèrent et mirent en pratique une doctrine fondée sur le second chapitre de la Genèse, dans lequel il est écrit que le Seigneur donna à l'homme, l'ordre de diriger ses pas vers le Jardin d'Eden et de le mettre en valeur. Leur attitude envers la nature fut celle d'une intervention active, mais leur gestion avisée de la terre a montré qu'elle se trouvait compatible avec le maintien d'une qualité de l'environnement.
Les concepts de Saint Benoît
Lorsque Saint Benoît créa, au cours du 6ième siècle, le premier grand monastère de l'Europe Occidentale - au Mont Cassin, en Italie - il décida que les moines ne devraient pas seulement prier Dieu, mais devraient aussi travailler; de plus il recommanda que les monastères se suffisent à eux-mêmes. Dans ce but, les moines bénédictins développèrent une grande habileté concernant l'agriculture et l'architecture. Ils apprirent à gérer leurs biens selon des principes écologiques essentiels, de sorte que leur terre conserva sa productivité en dépit d'une exploitation intense et ainsi, permit, pour très longtemps, de fournir au monastère les produits alimentaires, les matières premières pour l'habillement, et la richesse. Les moines développèrent également un type d'architecture convenant à la fois à leurs activités religieuses et séculières, mais également adaptée au type de pays dans lequel ils vivaient; l'architecture bénédictine a ainsi fait preuve d'une telle beauté fonctionnelle qu'elle constitue une des réalisations essentielles des premières époques de la civilisation médiévale.
L'ordre bénédictin a montré une telle réussite, au cours du Moyen Age, qu'il a érigé de nombreux monastères dans presque toute l'Europe, et par voie de conséquence, a largement contribué à la création de l'agriculture et des paysages européens - sous la forme que nous connaissons de nos jours.
Bien plus influente, considéré sous cet angle, fut la branche cistercienne de l'ordre bénédictin qui établit ses monastères au sein des vallées boisées des rivières et dans les marais. Les Cisterciens devinrent rapidement maîtres dans l'art du drainage, développèrent l'usage de la force motrice de l'eau et transformèrent des forêts, où régnait la malaria, en terres habitables et fertiles. Ils acquirent une telle renommée dans la maîtrise de la malaria, qu'un Pape leur confia la responsabilité d'assécher la Campagna Romana.
La transformation par les moines bénédictins, des forêts en fermes ne représente qu'un des exemples historiques qui pourrait être cité pour illustrer que l'homme dispose d'une grande latitude pour modeler la face de la Nature. Avant l'ère chrétienne, les populations celtiques de la Grande Bretagne vivaient pratiquement exclusivement sur des plateaux calcaires, tel que la Plaine de Salisbury - vraisemblablement parce que les emplacements bas et boisés, étaient inhospitaliers et trop difficiles à cultiver. A l'opposé les Romains et ensuite les Saxons, qui disposaient d'une technologie plus élaborée, réussirent à coloniser les vallées boisées de la Tamise et de la sorte préparèrent le terrain pour l'un des plus grands centres de la civilisation. La partie hollandaise de la Pennsylvanie nous fournit un exemple frappant du fait que les terres, issues de la forêt, ne pouvaient être longtemps maintenues dans un état sain et productif. De la sorte, la transformation de la terre par l'homme n'a pas nécessité d'être destructrice; en réalité, dans de nombreux cas, cela a représenté un acte créatif.
La crise écologique, que traverse notre époque, n'a rien à voir avec la tradition judéo-chrétienne mais vient plutôt de la tendance qui prévaut dans le monde entier, d'utiliser les terres et l'eau, les montagnes et les estuaires en vue de profits économiques à courte vue. La solution à la crise économique ne sera pas trouvée par une marche en arrière de la civilisation technologique, mais plutôt par sa transformation éclairée, fondée sur une compréhension écologique. Nous devons apprendre à reconnaître les limites et les potentialités de la terre et à la traiter de telle façon qu'elle reste un lieu enviable et productif pour la vie humaine.
Les «vocations» d'une région
Une gestion réussie de la terre exige que nous identifions les «vocations» de ses différentes parties. En Latin, le mot vocatio se réfère à un appel divin pour un certain type de fonction. A l'identique, chaque partie de la terre a, pour ainsi dire, une ou plusieurs vocations et, c'est du devoir des chercheurs de les identifier et aux hommes positifs de les faire s'épanouir.
Certaines parties de la terre, de même que certaines personnes, peuvent n'avoir qu'une seule vocation. Ainsi, peut-être n'y a-t-il qu'une chose qui puisse être entreprise pour certaines régions arctiques, pour les territoires tropicaux ou pour les régions désertiques. Mais d'une façon générale, la plupart des régions, comme la plupart des personnes, disposent de plusieurs vocations potentielles; l'imprécision résultant de ces options multiples apporte beaucoup à la richesse de la vie.
Considérez, par exemple, ce qui est arrivé aux forêts primitives dans les pays tempérés. La plupart d'entre elles ont été transformées en fermes, chaque région ayant développé sa propre spécialisation agricole, sa propre structure sociale et sa propre valeur esthétique. Mais d'autres destins peuvent attendre la forêt tempérée. En Écosse et dans l'Est de l'Angleterre, elle s'est progressivement transformée en landes, en raison des activités d'abattage et de pâturage. Ces landes ne sont en aucun cas productives, d'un strict point de vue agricole, mais leur charme a enrichi la vie de la Grande Bretagne et sa littérature. Dans le Nord de l'Amérique, la plus grande partie de la forêt s'est trouvée transformée en prairies, conséquence des feux allumés par les Indiens de l'époque pré-agraire. Et bien que les prairies aient été désormais transformées en terres arables, elles ont marqué d'une empreinte indélébile la civilisation américaine.
Des considérations utilitaires ne représentent qu'un aspect de la relation de l'homme à la terre. L'intérêt largement répandu dans la préservation de l'état sauvage naturel et de l'état naturel primitif représente une évidence suffisante que l'homme trouve dans la nature à l'état sauvage, un type de satisfaction qui transcende son utilité économique - peut-être veut-il de la sorte conserver un certain type de contact avec ses lointaines origines.
Mais dans la réalité, la seule chance qu'ont la plupart des gens d'acquérir une expérience de la nature et de l'apprécier, réside dans ses aspects humanisés - champs cultivés, parcs, jardins et établissements humains. Ceci s'avère vrai dans le monde entier, même aux États-Unis, où tant est fait pour préserver la Nature dans son aspect sauvage. Pour cette raison, il n'est pas suffisant de sauver les Séquoias, les Everglades, et autant de Nature primitive que possible; à l'identique, il est essentiel de protéger la qualité esthétique des fermes et de procéder à un aménagement de Coney Island.
Il existe différents types de magnifiques paysages. Quelques uns tirent leur attrait de leurs proportions majestueuses, de leur caractère unique ou de leur splendeur. Les parcs nationaux aux États-Unis fournissent de nombreux exemples, variés, de paysages auxquels la présence humaine n’apporte rien de plus. Cependant, dans la plupart des cas, la qualité du paysage réside dans une sorte d'harmonie entre l'homme et ce qui l'entoure. Cette harmonie réside pour beaucoup dans le charme des anciennes implantations, aussi bien dans le Nouveau Monde que dans l'Ancien. Les implantations le long du fleuve en Côte d'Ivoire, les cités à flanc de colline de la Méditerranée, les pueblos du Rio Grande, les teintes vertes des villages de la Nouvelle Angleterre et les vieilles villes établies le long des rivières tranquilles, tout autour du monde, sont autant de différents et multiples types de paysages qui tirent leur qualité, non tant de leur spécificité topographique ou climatique, que d’une association intime entre l'homme et la nature.
Vivant, ainsi que nous le faisons, au sein d'une société industrielle et tournée vers le commerce, nous avons tendance à donner une importance primordiale aux rôles des facteurs technologiques et économiques pour la détermination de la qualité de notre environnement. Mais il existe bien d'autres facteurs qui exercent une influence subtile sur la vie humaine. Ainsi, l'histoire et le climat jouent des rôles moteur dans la détermination de l'architecture et des matériaux, destinés à nos habitats et à nos églises, dans celle de la forme et de la composition de nos jardins et de nos parcs.
Les jardins classiques de l'Italie et de la France ne se trouvèrent pas dessinés par le simple caprice d'hommes fortunés ou par le génie d'architectes paysagistes. Ils constituèrent une réussite, car ils étaient en harmonie avec l'atmosphère physique, biologique et sociale qui régnait en Italie et en France, au moment de leur création. Jardins et parcs classiques fourmillent aussi en Angleterre, mais l'école anglaise a montré sa singularité en dessinant un type de parc tout à fait différent, bien mieux adapté aux conditions locales. De magnifiques arbres, regroupés sur des prairies ou de vastes pelouses, sont la caractéristique des grands parcs anglais des 17 ième et 18ième siècles. Ce style convenait au climat humide des Iles Britanniques. En France, de nombreuses tentatives furent entreprises au 18ième siècle, en vue de créer des jardins et des parcs de style anglais; mais avec un succès mitigé. Ainsi qu'Horace Walpole le remarquait dans une lettre rendant compte de sa visite sur le continent: «En résumé, ils (les Français) ne pourront jamais arriver à avoir un paysage aussi beau que le nôtre, tant qu'ils n’auront pas un aussi mauvais climat».
La boutade de Walpole exprime la vérité biologique selon laquelle le style d'un paysage donné ne peut constituer une pleine réussite, que s'il s'avère compatible avec les impératifs écologiques du pays. C'est ce que Alexander Pope résumait dans sa phrase fameuse, «En chaque chose, respectez le génie du lieu».
Comme le climat, dans la plupart des régions de France, est pratiquement incompatible avec la magnificence verdoyante des parcs anglais, de même l'atmosphère qui règne dans certaines villes américaines est inadaptée à certains types de plantes. Ce ne signifie nullement que la vie de la plante est déplacée dans ces conglomérats urbains, mais seulement qu'il faudrait accomplir des efforts supplémentaires pour déterminer et pour faire croître, au sein de toute ville spécifique, les types d'arbres, de fleurs et de pelouse qui s'épanouiront en fonction de tous types de contraintes externes, y compris climatiques. La pelouse classique semble si pathétique dans de nombreuses villes et les rangées de platanes si monotones, que botanistes et forestiers devraient être encouragés à rechercher ou à créer d'autres plantes, adaptées à l'environnement urbain. Des études sur l'écologie des plantes pourraient devenir plus urgentes au sein de villes qu'au sein de la nature sauvage.
L'écologie et le génie du lieu
Le génie du lieu est ainsi constitué de forces physiques, biologiques, sociales et historiques qui, associées, confèrent sa singularité à tout lieu ou à toute région. Toutes les grandes villes possèdent leur propre génie, qui transcende leur situation géographique, leur importance commerciale et leur taille. Il en est de même pour chaque région du monde. L'homme ajoute toujours quelque chose à la nature, et par voie de conséquence la transforme; mais ses interventions ne s'avèrent réussies que dans la mesure où il respecte le génie du lieu.
La transformation par l'homme, des terres - d'un stade écologique à un autre - n'a pas toujours représenté une réussite. Comme nous en avons parlé, les célèbres alignements de cèdres et de cyprès au Liban ont presque tous disparus et une grande partie du bassin méditerranéen s'est trouvée défigurée par l'érosion. Les changements écologiques ont conduit à des résultats souhaitables, essentiellement dans des situations où ils se produisaient si lentement qu'ils s'avéraient compatibles avec les processus adaptatifs de nature biologique et sociale. La déforestation, qui s'est prolongée progressivement sur plusieurs siècles, a donné de magnifiques fermes et des landes romantiques en Grande Bretagne. Mais, à l'opposé, la déforestation, résultat d'un abattage massif et précipité, a conduit à des villes fantômes et a provoqué l'érosion des terres, en de nombreuses régions de l'Amérique du Nord.
Puisque la plupart des transformations à la surface de la terre se produiront désormais rapidement, il y a nécessité de disposer d'une nouvelle forme de connaissance écologique permettant de prévoir les conséquences vraisemblables d'interventions technologiques et de fournir un «modus operandi» rationnel, substitut aux ajustements empiriques que le temps avait rendu possibles. L'écologie fournira la base scientifique à la compréhension et à l'épanouissement du génie du lieu.
Mais une connaissance écologique académique n'est pas suffisante. Et, en définitive, toutes décisions relatives à l'environnement doivent tenir compte des questions de goûts et par voie de conséquence doivent inclure des jugements de valeur.
Au cours du 18ième siècle, les goûts concernant l'architecture des paysages furent profondément influencés par le style artistique de quelques peintres - et tout particulièrement, Salvadore Posa, Claude Lorrain et Nicolas Poussin. Chacun, à sa façon, utilisa les scènes italiennes pour créer un tableau idéalisé du mode de vie pastoral; rapidement cet idéal fit son chemin et conduisit au dessein des parcs et des jardins dans toute l'Europe et particulièrement en Angleterre.
La nature et le climat en Angleterre sont fort différents de ce qu'ils sont en Italie. Mais les architectes paysagistes anglais réussirent néanmoins, en faisant appel au génie de leur pays, à développer un type de paysage exprimant les valeurs émotionnelles et esthétiques que la peinture du 17ième siècle leur avait inculquées. En agissant de la sorte, ils ont créé la beauté des paysages de l'Angleterre que nous apprécions toujours aujourd'hui.
Les succès de l'école anglaise d'architectes paysagistes illustre que l'intervention de l'homme sur l'environnement peut engendrer de nouvelles valeurs. Cela peut prendre la forme d'une interrelation créatrice, donnant naissance à un épanouissement progressif des potentialités cachées au sein de la nature humaine et au sein de la Nature.