Paracelse et les sorcières
Approche globale, systémique, sentiment que l'être humain est une totalité et que la maladie est la pertubation de cette totalité et non le simple dysfonctionnement d'un organe isolé, toutes ces idées qui connaissent une certaine vogue aujourd'hui sont apparentées à celles que défendait Para-celse. Pour ce dernier, l'homme était un petit monde (microcosme) "non par la forme et la substance du corps, mais par toutes les forces et vertus dont est fait le grand monde (macrocosme)". Nous voici très près de ces médecines primitives, de ces médecines de la communication où le traitement est la réactualisation des grands mythes fondateurs.
On doit à Paracelse le principe de la similitude, qui sera le fondement de l'homéopathie. La nature, pensait celui qu'on dénommait le Magus, contient les substances qui peuvent guérir toutes les maladies, mais au lieu de chercher des remèdes paraissant contraires au mal, il convient de rechercher l'entité substantielle qui est associée au mal. Le mercure est l'une des entités à laquelle Paracelse s'est intéressé. Il y voyait un facteur de paralysie, de tumeurs. "Ce poison, affirmait-il, peut devenir un remède si on en amoindrit la vie".
Poison qui peut devenir remède! Cela rappelle le monde de la magie et de la sorcellerie, où la même personne peut tantôt jeter un mauvais sort sous forme de maladie, tantôt susciter la guérison.
Paracelse a reconnu qu'il avait puisé une large part de son savoir chez les sorcières, lesquelles connaissaient le secret des plantes. Faut-il rappeler que les sorcières ont été longtemps persécutées, surtout au XVe siècle, et que le mauvais sort les a poursuivies jusqu'en Amérique du Nord au XVIIe siècle? Si la légende n'a retenu qu'un frémissement d'horreur, la réalité est complexe, comme l'historien Jules Michelet nous l'a donné à entendre après Paracelse.
"La sorcière risquait beaucoup. Personne alors ne pensait qu'appliqués extérieurement, ou pris à très faible dose, les poisons sont des remèdes. Les plantes que l'on confondait sous le nom d'herbes aux sorcières semblaient des ministres de mort. Telles, qu'on eût trouvé dans ses mains l'auraient fait croire empoisonneuse... Elle se hasarde, cependant, va chercher la terrible plante...
Il est certain que la plante effraie... C'est la jusquiame [...], la belladone... qui guérit de la danse en faisant danser. Audacieuse homéopathie, qui d'abord dut effrayer, c'était la médecine à rebours".36
Montaigne
Si Paracelse prolonge la médecine des temples et annonce les médecines douces d'aujourd'hui, à la même époque, Montaigne donne corps à une conception radieuse de la santé de même qu'à une acceptation de la maladie teintée de stoï-cisme et marquée par une profond scepticisme à l'égard de la médecine. Cette philosophie lui vaudra, par delà les siècles et les continents, l'amitié de l'un des plus grands médecins contemporains, l'amé-ricain Lewis Thomas. Le parti - pris amical de Lewis Thomas pour Montaigne est d'autant plus attendrissant que le penseur de la Renaissance est l'auteur des plus belles pages qui soient sur l'amitié.
Une âme saine dans un corps sain, ou plutôt un corps rendu sain par une âme saine! Cette idéal emprunté aux Anciens, Montaigne le placera au coeur de sa philosophie. Vivre en philosophe, pense-t-il, c'est faire de sa vie un chef-d'oeuvre de façon spontanée, légère. Le souci de la santé risque toujours de devenir une triste entreprise. Chez Montaigne, il se confond avec la plus élémentaire joie de vivre.
"L'âme qui loge la philosophie doit par sa santé rendre sain encores le corps. Elle doit faire luire jusques au dehors son repos et son aise; doit former à son moule le port extérieur, et l'armer par conséquent d'une gratieuse fierté, d'un maintien actif et allegre, et d'une contenance contente et debonnaire. La plus expresse marque de la sagesse, c'est une esjouïssance constante: son estat est comme des choses au dessus de la lune: toujours serein".40
Notes:
36. MICHELET, Jules, La Sorcière, cité dans PRÉCLAIRE, Madeleine, «Retrouver la santé en passant par Paracelse», Critère, no. 13, p. 173.
40. cité par FRIEDRICH, Hugo, Montaigne, Paris, Gallimard, 1968, p. 13. Dans Critère, no. 13, Juin 1976, p. 222.