Les médecines douces (2ème partie)
Dans un dossier paru il y a quelques mois dans le cahier Plus de LA PRESSE on estimait à $1 milliard le chiffre d'affaires des nouvelles thérapies. Ce chiffre est-il vraisemblable? Si c'est le cas, les médecines douces ne sont déjà plus un phénomène marginal puisque l'ensemble des dépenses de santé s'élève à environ $7 milliards au Québec.
Mais comment chiffrer le phénomène des médecines douces avec précision puisque tout s'y passe encore dans une semi-clandestinité? Connaît-on seulement le nombre de thérapeutes en exercice?
Les seules données officielles sûres que l'on possède sont celles des quelques groupes organisés et reconnus légalement: les chiropraticiens, les podiatres et les naturopathes. Selon le sociologue Gilles Dussault(l) il y avait 394 chiropraticiens en 1975 et 569 en 1982; les podiatres seraient passés de 68 à 116 et les naturopathes de 34 à une centaine. e qui frappe dans ce tableau c'est d'abord la croissance des effectifs, qui est de 50% et plus.
Elle est sans aucun doute beaucoup plus forte dans le cas de l'acupuncture, de l'homéopathie, de l'ostéopathie, des médecines énergétiques. Il y a par exemple au moins trois cents acupuncteurs au Québec. Certains avancent le chiffre de six cents. Mais il est bien difficile d'être précis dans tous ces cas, notamment parce que de nombreux praticiens peuvent avoir recours à plusieurs techniques.
Les thérapies et les écoles connaissant elles-mêmes une croissance très forte, on peut avancer à titre d'hypothèse le chiffre de 2,500 thérapeutes pour l'ensemble des médecines douces. Si l'on ajoute à cela quelques centaines de médecins qui ont de plus en plus souvent recours à l'une ou l'autre des nouvelles approches, le chiffre de $1 milliard paraît encore exagéré, mais pas tout à fait invraisemblable.
Ce qu'il faut surtout noter c'est que l'ensemble du secteur est en très forte croissance. Comme le nombre des médecins a lui-même presque doublé depuis 1971, passant de 7,945 à plus de 14,000, il faut s'attendre à une compétition féroce au cours des prochaines années.
Du côté du publie consommateur un grave problème se pose déjà : les médecines douces seront-elles réservées aux riches? N'étant pas reconnues, elles ne peuvent évidemment être gratuites. La chose paraît d'autant plus regrettable que les maladies en cause sont le plus souvent ces maladies dites de la civilisation, dont on peut présumer qu'elles frappent plus les pauvres que les riches.
Mais dans l'état actuel des finances publiques quel gouvernement oserait, pourrait prendre le risque d'accroître les coûts du système de santé de 5, peut-être de 10%, et de faire face à une croissance encore plus forte que dans les autres secteurs de la médecine ?
L'hypothèse inverse est-elle vraisemblable? Se pourrait-il qu'en raison du fait qu'elles ne nécessitent aucun équipement coûteux, qu'elles sont souvent
préventives, qu'elles misent sur l'autonomie des clients, les médecines douces aient pour effet de réduire les coûts globaux de la santé? Auquel cas, il serait peut-être avantageux de les intégrer au système ? Certains ministres, dont monsieur Gérald Godin, ont déjà fait un pari semblable. Si les compagnies privées d'assurances remboursent les frais d'ostéopathie, comme c'est fréquemment le cas aux États-Unis, on peut en conclure que les régimes publics ne perdraient rien en les imitant. C'est sans doute pourquoi les frais d'homéopathie sont remboursés en France. Le simple bon sens nous rappelle toutefois que de tels effets positifs sur les finances publiques ne pourraient se faire sentir qu'à long terme.
Mais, dira-t-on, de toute manière, en France, il faut être médecin pour avoir le droit de pratiquer l'homéopathie. Les médecines douces ne pourront-elles être gratuites au Québec que dans la mesure où elles seront pratiquées par des médecins?
Le problème se pose déjà et il est au coeur du débat. On peut actuellement recevoir des traitements gratuits d'acupuncture, d'homéopathie ou d'ostéopathie chez certains médecins. Il se peut que les praticiens en question se fassent rembourser pour les examens, ou pour une thérapie de soutien, et offrent le traitement bénévolement, mais ni le client ni le thérapeute non médecin ne sont en mesure de faire ces distinctions. De leur point de vue, il y a deux poids deux mesures: un même service est gratuit dans un cas, coûteux dans l'autre.
Certes le médecin conserve toujours le privilège de pouvoir offrir un traitement officiel en complément. À quoi l'ostéopathe ou l'acupuncteur répondront que le médecin ne peut pas exceller dans tout, et que ce qu'il gagne par la variété de ses approches, il le perd au plan de la qualité de chacune d'elle.
Le débat sur les médecines douces ne s?imposait-il pas?
(1) Traité d'anthropologie médicale, P.U.Q. et IQRC, Québec 1985.