Le magasinage global

Jacques Dufresne
À l'ère de L'experience economy, on n'achète pas tel produit ou tel service, on achète une expérience globale qui incite à acheter n'importe quoi y compris un produit ou un service déterminés.
«A constantly experimental attitude toward everything- that'a all we need.» «Une attitude constamment expérimentale en toute chose- voilà tout ce dont nous avons besoin.» B.F. Skinner, Walden Two.

Autour des lieux où les êtres humains se réunissent pour prier, discuter de la chose publique ou voir un spectacle, les commerces de tous genres sont nombreux. Il en est ainsi depuis qu’il existe des villes. Il n’y a rien de plus normal. Tout vendeur veut offrir ses produits là où il y a le plus de chalands. Le charme de nombreuses grandes villes tient à cette association, dans un même espace, entre les symboles des activités les plus élevées et ceux des activités les plus terre à terre. À Strasbourg, par exemple, l’imposante cathédrale gothique est entourée d’une myriade de boutiques.

On assiste en ce moment à un renversement de cette façon traditionnelle de faire : ce sont désormais les boutiques qui s’entourent de cathédrales, comme cette Chapel of Love, située à côté d’un magasin de robes de mariées à l’intérieur du Mall of America, à Bloomington, Minnesota.

Chapelle, cirque, aquarium, université tout ce qui attire des titulaires de cartes de crédits est bon pour le commerce. Les villes ne peuvent pas plus se passer d’un centre qu’une cellule d’un noyau. Là où le centre n’existe pas au centre, on le crée à la périphérie.

L’achat pour l’achat ressemble à l’art pour l’art. On s’en lasse vite. On ne se lassait pas des vieux marchés ou des halles parce qu’ils reproduisaient au coeur des villes la luxuriance et la convivialité des la campagne et parce qu’ils rapprochaient le producteur du consommateur. Au fur et à mesure que les gens se lassent des centres d’achats, on transforme ces casernes de l’utile, en temples de l’inutile, en parcs d’attractions. Parfois même on recrée une ville, Venise par exemple, avec ses multiples attraits, dans le but unique d’attirer des consommateurs. Pour faire concurrence à un tel super-super marché on n’a pas hésité à recréer, sous le nom de Desert Passage, une civilisation entière, celle du Maghreb, autour de quelques boutiques semblables à celles de la Nouvelle Venise.

Aux États-Unis, chaque décennie a son Toffler. Le dernier s’appelle Joseph Pine II. Il est le théoricien-praticien de l’experience economy. C’est le titre de l’un ses livres. Si vous n’avez pas déjà deviné sa doctrine c’est que vous n’avez pas le sens de l’histoire. Après l’économie centrée sur les produits, il y eut l’économie centrée sur les services ; il y aura déormais, il y a déjà l’économie centrée sur l’expérience : on n’achète plus un produit ou un service, à la seule fin de satisfaire un besoin précis ; on achète une expérience globale, qui met en cause tous les sens, et en scène tous les clients, devenus acteurs, dans le cadre d’un grand théâtre : le marketing. Voici l’ère du shoppertainment. Demain, le travail lui-même sera entouré d’une bulle paridisiaque. Ce sera l’accomplissement du meilleur des mondes, tel que le psychologue B.F. Skinner l’a présenté dans Walden Two. Car, on l’avait compris, l'architecture behavioriste en général et le renforcement positif en particulier sont la clé de tous ces succès. L'architecture behavioriste est celle où le souci de la beauté est remplacé par celui de l'efficacité. Les premiers intéressés l'admettent: «dans ces centres d'achats, tout est kitch, quétaine, faux, disproportionné, laid en un mot, mais ça marche». Les gens viennent nombreux et restent longtemps.

Clé éphémère, car le propre des renforcements positifs est de s’affaiblir avec le temps. On reconstruira donc le Mall of America dans cinq ans, un peu plus loin encore dans la campagne, ce qui aura pour effet de stimuler la vente d’automobiles.

Cette architecture efficace gagnera-t-elle les autres continents? Elle est déjà présente dans la région parisienne, à Madrid et à Séoul.


Merci à la Société Radio-Canada pour son reportage du 26 décembre 2002 sur ce sujet.

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Charles-Pierre Baudelaire


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