Luther aimait le beurre

Jacques Dufresne
Liens entre le protestantisme et la consommation du beurre.
Luther aimait le beurre. La crème avec laquelle on fait le beurre étant plus rare et donc plus coûteuse que le lait avec lequel on fait le fromage, il est normal que ce dernier, toutes questions de goût mises entre parenthèses, se soit plus répandu que le beurre. Les pays méditerranéens, par exemple, y compris la Grèce et la Rome antiques ont pratiquement ignoré le beurre. Dans ces pays, c'est l'huile végétale, l'huile d'olive surtout, qui a été et qui demeure la matière grasse favorite. Et si en Inde on utilise encore un beurre léger, si au Tibet le beurre est toujours un aliment sacré - ayant la couleur du soleil, il régénère le feu, lui-même source de vie - c'est dans les pays nordiques de l'Europe que le beurre est entré... comme du beurre dans les moeurs alimentaires. Sa diffusion commence avec l'arrivée des Vikings et des Normands sur le continent. L'historien Jean-Louis Flandrin délimite ainsi la zone du beurre dans l'Europe du XIVe au XVIIe siècle: «Elle couvrait tout ou partie des Alpes, la moitié ou les deux tiers nord de la France, l'Angleterre, les Pays-Bas, et jusqu'à des pays aussi septentrionaux que l'Islande. Les Bretons, les Flamands et les Islandais étaient même célèbres pour leurs exportations de beurre». Cette carte n'a pas changé depuis, si bien que l'un des problèmes que dut résoudre l'Europe contemporaine dans sa marche vers l'unité fut celui de l'intégration des pays méridionaux, consommateurs d'huile, dans un ensemble dominé par les nordiques consommateurs de beurre. L'attachement pour le beurre fut plus passionné, quoique moins répandu que celui que suscita le fromage. Cet attachement n'est pas étranger à la Réforme protestante. Si cette dernière eut lieu et si elle provoqua tant de guerres c'est, pour une part non négligeable, parce que l'église de Rome interdit la consommation de beurre pendant le carême. Elle fut d'ailleurs accusée de ne pas être tout à fait désintéressée dans cette affaire religieuse aux conséquences économiques évidentes. Les puissants dans l'Europe du Nord pouvaient obtenir, souvent à grands frais, des dispenses qui leur permettaient de manger du beurre toute l'année. Ce commerce apparenté à celui des indulgences alimenta la colère des réformateurs. Ce qui explique cette sortie de Luther: «À Rome, ils rient du jeûne pendant qu'ils nous forcent à manger d'une huile dont ils ne voudraient pas pour graisser leurs souliers. Puis ils nous vendent le droit de manger gras [...]. Mais cette liberté, ils nous l'ont volée par leurs droits ecclésiastiques. [...] Manger du beurre est plus grand péché que de mentir, blasphémer ou se livrer à l'impureté». (Correspondance à la noblesse chrétienne de la nation allemande). L'auteur de l'Histoire naturelle et morale de la nourriture, Mme Toussaint-Samat, termine son chapitre sur le beurre par cette note: «Depuis quelque temps, avec la mode du lait écrémé, est venue celle du beurre... "débeurré", un produit qui n'a pas trouvé d'autres noms que ceux des marques sous lesquelles il est vendu, fabriqué à base de babeurre ou petit lait, de lécithine et de soja, et qui n'offre aux obsédés du cholestérol que 50% de matières grasses. Ne supportant pas la cuisson, il est idéal pour beurrer les tartines à tremper dans le café décaféiné... C'est ça le progrès. Comme le carême n'existe plus, on l'a réinventé». Ce produit est innommable, et pour cause! La présence du soja en lui en fait un hybride du beurre et de la margarine. Il est normal qu'un tel monstre n'ait de nom en aucune langue. Mais dans le soja il y a tous les herbicides, pesticides et engrais chimiques qu'on utilise pour le produire à bon compte. Voilà un carême bien polluant!

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