L'automne

Émile Verhaeren
Dans le bois d’or qui s’étiole,
Mille folles et babillardes folliolles
Langues jaunes, jonchent le gazon vert.

L’été s’est tu, les brouillards l’ont couvert.

Par la dernière porte,
Qui baillait bleue entre deux nues,
Ses feux éteints, et sans escorte,
L’été s’en est allé.

L’été s’en est allé vers l’aventure;
Et l’automne s’en est venu,
Lourde de pourriture,
Avec des oiseaux morts pendus à sa ceinture.

Automne ! Automne !
Une odeur d’eau, de bête et de fourrés
Emplit les bois jusqu’aux orées;
Automne mûre ! Automne lasse !
Une odeur molle, une odeur grasse
Circule aux champs dès que tu passes.
Écume et or et soie et velours;
Voici chevaux et cavaliers,
Battant les bois et les halliers,
De galops lourds;
Voici venir leur rythmique tonnerre
Et haleter le sol et trépigner la terre.
Et, comme un gong, vibrer et gronder l’air.
La chasse passe – et c’est l’éclair –
Et les feuilles, comme arrachées,
Et cravachées
Par l’ouragan des chevauchées,
Volent , en tourbillons
D’ailes mortes et de haillons.

C’est l’automne, l’automne lourde et saturée,
Les mains rouges de venaisons,
L’Automne épaisse et enivrée
Du sang qui coule aux horizons.

En bas, dans la vallée, auprès des eaux tranquilles,
Fours et granges restent blottis,
Petits clochers et villages petits
En jeux de quilles,
Chaumes pauvres et pauvres gens,
Frileux de vie et sans argent,
Que l’Automne en leur misère enlise,
Et qui fêtent la Toussaint grise
Et l’Octave des Trépassés,
Avec le vieux bourdon cassé
De leur église.

Automne ! Automne !
La chasse passe – et c’est l’éclair –
En des buissons crevés et des mares pourries
Saignent toutes les fleurs de la tuerie;
La chasse passe
Comme un tumulte d’or battant la forêt blême
La chasse passe aux sons des cors,
Folle de vent et folle d’elle-même,
La chasse passe,
Pendue aux crins des étalons cabrés;
La chasse roule et vole et puis bondit
Avec des heurts, avec des cris
En galops fous, vers l’incendie
Rouge et fumant de la curée.

Dans la clairière, où résines et poix
Allument un décor de meurtre et de luxure,
La bête meurt – Mais les gueules des chiens pantois
Saignent autant que ses blessures;
Avec de grands frissons, son corps
En vain s’efforce à secouer la mort;
Sa langue pourpre entre les dents se serre,
Ses yeux meurent cassés, sous leurs paupières,
Loin du soleil;
Le couteau luit fixe et vermeil,
Comme un arrêt planté dans la gorge fendue;
En un dernier tressaut, le cou raidit
Et puis s’affaisse, et puis s’abat, sans qu’un seul cri
Ne trouble encor les doux échos de l’étendue.

Et les cloches sonnent, là-bas,
Dans le village en deuil, leur glas;
Les cloches sonnent, monotones,
Pour les défunts et pour l’automne;
Les cloches sonnent, monotones,
Avec leurs sons longs et discords
Et sur les deuils et sur les fêtes
Et sur les gens et sur les bêtes
Et sur la vie et sur la mort.

Autres articles associés à ce dossier

La nature en deuil

Edmond-Joseph Massicotte


À lire également du même auteur

L’idée de vitesse
L'auteur se livre à une véritable apologie du mouvement et du changement, nécessaires, selon lui, au développement des sociétés humaines: "L’instabilité, l’ébranlement, l’angoisse sont nécessaires ici-bas. Dès qu’un ordre s’est fait et s’es

Pour celle qui vit à mes côtés
IC’était en juin dans le jardin;C’était notre heure et notre jourEt nos yeux regardaient, avec un tel amour,Les choses,Qu’il nous semblait que doucement s’ouvraientEt nous voyaient, et nous aimaientLes roses.Le ciel était plus pur qu’il ne le fut jamais.Les ins

Luther
Les monastères,On les voyait jadis ainsi que de grands frontsDu fond des bois, du bout des montsIlluminer la terre;Au-dessus d'eux les étoiles posaient leurs sceaux;Leurs tours les éclairaient comme autant de flambeaux, Et, sur les champs, les clos, les lacs et les vallées,Ils dardaient

Les villes
Oh! ces villes, par l'or putride envenimées!Clameurs de pierre et vols et gestes de fumées,Dômes et tours d'orgueil et colonnes deboutDans l'espace qui vibre et le travail qui bout,En aimas-tu l'effroi et les affres profondesÔ toi, le voyageurQui t'en allais triste et songeurPar les gare

Le vent
Sur la bruyère longue infiniment,Voici le vent cornant Novembre,Sur la bruyère, infiniment,Voici le ventQui se déchire et se démembre,En souffles lourds battant les bourgs, Voici le vent,Le vent sauvage de Novembre.Aux puits des fermes,Les seaux de fer et les poulies Grincent.Aux citerne

Le moulin
Le moulin tourne au fond du soir, très lentement,Sur un ciel de tristesse et de mélancolie;Il tourne et tourne, et sa voile couleur de lieEst triste et faible et lourde et lasse, infiniment.Depuis l’aube, ses bras, comme des bras de plainte,Se sont tendus et sont tombés; et les voiciQ

Le banquier
Sur une table chargée, où les liasses abondent, Serré dans un fauteuil étroit, morne et branlant, Il griffonne menu, au long d'un papier blanc; Mais sa pensée, elle est là-bas au bout du monde.Le Cap, Java, Ceylan vivent devant ses yeux Et l'océan d'Asie, où ses mille navires

La neige
La neige tombe, indiscontinûment,Comme une lente et longue et pauvre laine,Parmi la morne et longue et pauvre plaine,Froide d’amour, chaude de haine.La neige tombe infiniment,Comme un moment,Monotone, dans un moment,La neige choit, la neige tombeMonotone, sur les maisonsEt les granges et le




L'Agora - Textes récents

  • Vient de paraître

    Lever le rideau, de Nicolas Bourdon, chez Liber

    Notre collaborateur, Nicolas Bourdon, vient de publier Lever de rideau, son premier recueil de nouvelles. Douze nouvelles qui sont enracinées, pour la plupart, dans la réalité montréalaise. On y retrouve un sens de la beauté et un humour subtil, souvent pince-sans-rire, qui permettent à l’auteur de nous faire réfléchir en douceur sur les multiples obstacles au bonheur qui parsèment toute vie normale.

  • La nouvelle Charte des valeurs de Monsieur Drainville

    Marc Chevrier
    Le gouvernement pourrait décider de ressusciter l'étude du projet de loi 94 déposé par le ministre de l'Éducation, Bernard Drainville. Le projet de loi 94 essaie d’endiguer, dans l’organisation scolaire publique québécoise, toute manifestation du religieux ou de tout comportement ou opinion qui semblerait mû par la conviction ou la croyance religieuse.

  • Billets de Jacques Dufresne

    J'ai peur – Jour de la Terre, le pape François, Pâques, les abeilles – «This is ours»: un Texan à propos de l'eau du Canada – Journée des femmes : Hypatie – Tarifs etc: économistes, éclairez-moi ! – Musk : danger d'être plus riche que le roi – Zelensky ou l'humiliation-spectacle – Le christianisme a-t-il un avenir?

  • Majorité silencieuse

    Daniel Laguitton
    2024 est une année record pour le nombre de personnes appelées à voter, mais c'est malheureusement aussi l’année où l'abstentionnisme aura mis la démocratie sur la liste des espèces menacées.

  • De Pierre Teilhard de Chardin à Thomas Berry : un post-teilhardisme nécessaire

    Daniel Laguitton
    Un post-teilhardisme s'impose devant l'évidence des ravages physiques et spirituels de l'ère industrielle. L'écologie intégrale exposée dans les ouvrages de l'écothéologien Thomas Berry donne un cadre à ce post-teilhardisme.

  • Réflexions critiques sur J.D. Vance du point de vue du néothomisme québécois

    Georges-Rémy Fortin
    Les propos de J.D. Vance sur l'ordo amoris chrétien ne sont somme toute qu'une trop brève référence à une théorie complexe. Ce mince verni intellectuel ne peut cacher un mépris égal pour l'humanité et pour la philosophie classique.

  • François, pape de l’Occident lointain

    Marc Chevrier
    Selon plusieurs, François a été un pape non occidental parce qu'il venait d'Amérique latine. Ah bon ? Cette Amérique se tiendrait hors de l'Occident ?

  • L'athéisme, religion des puissants

    Yan Barcelo
    L’athéisme peut-il être moral? Certainement. Peut-il fonder une morale? Moins certain, car l’athéisme porte en lui-même les semences de la négation de toute moralité.

  • Entre le bien et le mal

    Nicolas Bourdon
    Une journée d’octobre splendide, alors que je revenais de la pêche, Jermyn me fit signe d’arrêter. « Attends ! J&

  • Le racisme imaginaire

    Marc Chevrier
    À propos des ouvrages de Yannick Lacroix, Erreur de diagnostic et de François Charbonneau, L'affaire Cannon

  • Le capitalisme de la finitude selon Arnaud Orain

    Georges-Rémy Fortin
    Nous sommes entrés dans l'ère du capitalisme de la finitude. C'est du moins la thèse que Arnaud Orain dans son récent ouvrage, Le monde confisqué