Enjeux
Le français dans le monde et sur Internet
"Deuxième langue internationale après l’anglais, dixième langue du monde par le nombre de locuteurs, le français est aussi l’une des six langues de travail de l’
Organisation des Nations unies. Présent sur les cinq continents, il est enseigné dans tous les pays du monde. Mais le maintien du français comme langue de
communication mondiale dépend aussi de sa capacité à dire la
modernité, notamment à travers les technologies de l’information et de la communication.
Peu de langues connaissent une extension comparable à celle du français dans le monde. On compte aujourd’hui cent soixante-dix millions environ de locuteurs, répartis essentiellement en Europe, en Afrique subsaharienne, au Maghreb et en Amérique du Nord. Le français est surtout, après l’anglais, la langue étrangère la plus enseignée dans le monde. Il a également le statut de langue officielle dans vingt-huit pays. Il occupe, sur le plan de la superficie, 15,2 % du territoire mondial, après l’anglais (29,6 %) et avant le russe (13,1 %), l’espagnol (8,9 %) et le chinois (7,2 %).
Le prestige et le rayonnement remarquables qu’a connus le français comme langue d’enseignement, d’administration et de communication internationale tendent à faiblir. Cette situation est perceptible dans les organisations internationales, notamment à l’ONU où le nombre de pays s’exprimant en français devant l’Assemblée générale est passé, entre 1992 et 2000, de trente et un à vingt et un.
Au sein des institutions de l’
Union européenne, la langue française se trouve aujourd’hui, avec les diverses phases d’élargissement, menacée de perdre ce statut. A titre d’exemple, la part des documents d’origine rédigés en français à la Commission européenne est passée de 40,4 % en 1997 à 30 % en 2001 et au Conseil de l’Union européenne de 42 à 28 %.
Le français sur Internet
Malgré la difficulté d’obtenir des données fiables sur les utilisateurs et les utilisations d’
Internet, on recense aujourd’hui près de 22,4 millions d’internautes francophones. 75 à 85 % d’entre eux consultent des sites en français et ne se tournent vers des sites dans d’autres langues que lorsqu’ils ne trouvent pas satisfaction. Par ailleurs, la place du français sur Internet est passée de 1,5 %, en juin 1997, à 5 %."
Source : 20 mars 2003, journée internationale de la Francophonie : dossier de presse (Agence intergouvernementale de la Francophonie)
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La langue française serait en mutation qu'elle ne serait pas le lieu d'une plus grande effervescence, tant en ce qui concerne ses règles de base qu'en ce qui a trait à son lexique. Sans vouloir porter de jugement de valeur sur ce phénomène, force nous est d'observer que des énergies puissantes sont à l'oeuvre, et qui ont pour effet que ce que nous tenions pour acquis semble désormais aléatoire. Rares, en effet, sont les personnes qui respectent rigoureusement encore la grammaire française classique avec ses difficultés, voire ses caprices et ses pièges. Voilà du moins ce que donne à penser l'usage qui est fait de notre langue en Amérique du Nord.
Peut-être métamorphose semblable est-elle en gestation en France aussi, notamment dans cette Ville Lumière qui se flatte d'être l'objet et le point de départ de toutes sortes de courants et de modes plus ou moins avouables; mais chez nous, en Amérique, dans les régions où le statut de minorité des collectivités francophones frise l'immersion, comme dans l'ouest du Canada, dans les Maritimes et en Louisiane, le mouvement de transformation est si bien engagé que le français s'en trouve souvent méconnaissable.
Le linguiste appellera contamination et corruption cette imprégnation de la langue par des éléments qui ne lui appartiennent pas, qui bousculent ses structures et supplantent sa syntaxe -- et qui torpillent la communication avec les cousins des pays de langue française d'outre-mer. À l'éloignement géographique se greffe l'embargo du non-sens. Des formules comme « il appartient toute la rue », « tiens-moi serré » ou « partez pas bananes » sont impénétrables pour un Sénégalais, un Parisien? ou un Québécois! Elles sont pourtant d'usage courant en Acadie, dans l'Outaouais et dans l'ouest canadien, où elles côtoient nombre de barbarismes qui sont autant de signes de l'invasion de notre langue par des corps étrangers qu'elle n'arrive pas à naturaliser, comme elle savait si bien le faire au temps où elle avait assez de dynamisme pour assimiler les mots qu'elle empruntait aux autres langues du monde pour leur donner une forme et une intelligence françaises.
Est-il à prévoir qu'à plus ou moins brève échéance, toutes choses étant égales par ailleurs, la langue des « francophones hors Québec » sera réduite à l'état de folklore et finira par disparaître? La jeune génération de ces contrées s'identifie plus volontiers à la majorité étrangère qu'à celle dont elle est issue. Les liens se défont entre l'ancien et le « nouveau ». Les enfants ne parlent plus guère leur langue maternelle qu'à la maison ou à l'école (quand ils fréquentent l'école française, bien sûr). Il arrive qu'ils parlent anglais à leurs parents, qui leur répondent en anglais, et il est encore plus fréquent qu'ils parlent anglais entre eux. Pour le reste, c'est l'anglais qui prévaut. Au Nouveau-Brunswick, par exemple, seule province du Canada qui soit officiellement bilingue, il n'est pas rare de se faire recevoir par un «hello!» bien accentué en anglais lorsqu'on téléphone chez des amis de souche francaise -- quand ce sont les enfants qui répondent. Ceux-ci, en effet, semblent ne pas avoir d'amis francophones ou en compter si peu qu'ils répondent instinctivement en anglais lorsqu'ils soulèvent le combiné. Quant au répondeur, il vous débite un message d'accueil en anglais seulement. Le bilinguisme officiel n'a guère de prise dans la vie quotidienne.
À l'aube du XXIe siècle, faute de pouvoir compter sur les jeunes générations pour se perpétuer, des centaines de langues sont menacées d'extinction, n'étant plus parlées que par un petit nombre de locuteurs âgés. Les experts prédisent la disparition de la moitié des 6000 langues répertoriées dans le monde au cours du prochain siècle. Des pertes d'une telle ampleur sont catastrophiques pour la mémoire et la diversité intellectuelle et culturelle de l'humanité.
Est-ce le sort qui attend notre langue au Québec, foyer de convergence et de rayonnement de la culture française en Amérique? Est-il permis de supposer que le statut de majorité dont bénéficie le peuple québécois francophone à l'intérieur de ses frontières politiques suffira encore longtemps à protéger sa langue des séductions de la mondialisation anglophile? Peut-on vraiment penser que la langue française, au Québec, est à l'abri des dangereuses influences qui ne manqueront pas de s'exercer sur elle en raison de son état de voyageur solitaire au coeur de cette Amérique au parfum d'impérialisme culturel? Que dire du relâchement gênant et de l'ignorance crasse dont témoignent certains communicateurs professionnels (journalistes et chroniqueurs de la presse électronique, animateurs d'émissions de radio et de télévision)? Que penser de la langue délabrée de ces artistes de la scène qui se prétendent drôles mais qui sont pauvres en esprit et tout aussi vulgaires que le seul niveau de langue qu'ils semblent connaître et « maîtriser » -- de la méfiance entretenue dans certains milieux à l'égard de tout ce qui prend des airs d'élitisme ou semble accorder trop d'importance à l'excellence, à la rigueur, à la politesse, aux belles manières de langage? Que faut-il penser d'un système d'éducation qui décerne un diplôme universitaire à des étudiants qui ne savent ni lire, ni écrire?
Peut-être les vrais ennemis de notre langue portent-ils le masque de l'amnésie, de l'oubli de nos racines françaises, des efforts déployés par nos ancêtres pour survivre à l'isolement de la mère-patrie après la cession du Canada à l'Angleterre, puis à deux siècles d'occupation et de domination anglaise. Peut-être les ennemis de notre langue ne sont-ils pas ces attaques répétées d'un certain nationalisme pancanadien contre les lois linguistiques destinées à la protéger. Peut-être les pires ennemis de notre langue sont-ils l'absence de fierté, le manque de rigueur, la nonchalance, l'ivresse du « moment qui passe », comme le disait Baudelaire, et qui conduisent à succomber à la tentation de la facilité, à abandonner toute prudence et à décliner toute responsabilité quant à l'usage que nous faisons de notre langue. Peut-être le plus grand péril est-il celui qui nous incite à perdre conscience de l'avenir?
Peut-être enfin le plus grand danger qui nous guette est-il celui de céder au découragement devant l'ampleur de la tâche à accomplir pour mettre de l'ordre dans le chaos qui caractérise l'enseignement du français, langue maternelle, dans nos écoles, enseignement qui, si l'on juge l'arbre à ses fruits, compromet gravement les chances d'épanouissement de notre culture sur notre propre territoire.
Pourtant, il se trouve des personnes pour affirmer que ce qui, pour nous, est une dénaturation de notre langue (une phrase comme «la semaine de prévention des enfants victimes de la guerre» n'a aucun sens en français, pas plus que n'en ont «elle craint ce que nous on craignait quand on s'est rajouté de l'horaire» ou «les ponts Champlain et Victoria ont atteint leur capacité de saturation ») -- il se trouve des gens pour affirmer que cette défiguration de notre langue ne serait rien de moins que le ferment d'une renaissance du français, le signe d'un dynamisme nouveau -- et que les «puristes» feraient bien de mettre leur pendule à l'heure.
Malheureusement, l'horizon contre lequel il est possible de se prononcer en connaissance de cause est trop lointain. Quatre cent cinquante ans nous séparent de la rédaction du manifeste «Défense et illustration de la langue française», par Joachim Du Bellay. Prétendre que le «joual» d'aujourd'hui sera le français classique de l'an 2500 tient tout simplement de l'astrologie de feuille de chou.
Quoi qu'il en soit, au coeur de toute évolution, transformation, métamorphose ou mutation, il y a une dynamique, une énergie. Saurons-nous harnacher cette énergie ou nous emportera-t-elle dans le maelström de son aveugle puissance? Une chose est certaine, toutefois: se fermer les yeux ne fera rien pour arranger les choses. Nier l'existence d'un problème, c'est se priver de la possibilité d'y apporter un remède. Il est imprudent d'en atténuer la gravité, car on s'expose alors à lui trouver une solution inefficace. Ainsi, comme on connaît le mal, on connaît le remède.