Philippe Couillard et les vieux : Good bye, Charlie Brown…
À la mémoire de Solange Denis
On connaît le cliché, qui comme tout cliché, a sa part de vérité : on juge une société à la manière dont elle traite ses personnes âgées. Au Québec, chose certaine, l’âge d’or est loin d’être au paradis…
Le chroniqueur économique du Journal de Montréal Michel Girard révélait en effet il y a quelques jours que le gouvernement de Philippe Couillard réserve, dès cette année, une bien mauvaise surprise aux plus de 65 ans. Sa chronique a été partagée sur Facebook plus de 35 500 fois et a généré un très grand nombre de critiques.
Les personnes nées à partir de 1951, c’est-à-dire celles qui atteignent 65 ans à partir de 2016 et les années suivantes, devront vivre avec une hausse de l’âge d’admissibilité au «crédit d’impôt en raison de l’âge» que le gouvernement accorde depuis 1972 aux personnes âgées de 65 ans ou plus. Ce crédit peut atteindre près de 500 dollars, une somme qui est loin d’être négligeable pour bien des aînés qui peinent à joindre les deux bouts. Par ailleurs, est prévue une hausse graduelle de l’âge d’admissibilité audit crédit d’impôt jusqu’en 2020. Cette année-là, il faudra avoir 70 ans pour être en droit de l’obtenir. En somme, pour cette catégorie de personnes âgées qui a 65 ans cette année, une perte nette de 300 millions de dollars de crédit d’impôt d’ici 2021.
Le gouvernement dit vouloir utiliser l’argent ainsi économisé « pour financer la bonification de l’incitation au travail à l’égard des travailleurs d’expérience âgés de 63 ans ou plus ». Ce qui fait dire à Michel Girard que « le gouvernement Couillard a décidé d’appauvrir Jean pour enrichir Paul ».
Les deux oppositions à l’Assemblée nationale ont pris à partie le gouvernement pour cette mesure. François Legault, de la CAQ, a évoqué une réalité que semble avoir oublié le gouvernement : « Les travailleurs manuels sont comme pénalisés. On vous échange le crédit d'impôt contre un crédit incitatif pour continuer à travailler jusqu'à 70 ans, mais pour certains, travailler manuellement jusqu'à 70 ans, là, c'est physiquement impossible. ». Pour Nicolas Marceau, du PQ, le gouvernement s’attaque «aux gens les plus vulnérables. 500 $ par année pendant cinq ans, ça n'a pas de bons sens».
Mais le gouvernement s’obstine et martèle encore et encore les justifications à sa politique . «Il faut multiplier les mesures non pas pour garder les personnes à l'écart du marché du travail plus tôt, mais les garder plus longtemps au marché du travail». Donc, à moins que ne survienne une mobilisation des personnes âgées et des organismes qui les soutiennent, nos vieux les plus vulnérables devront consentir à une baisse de leur niveau de vie, gracieuseté du médecin-politicien Philippe Couillard.
Il faut dire que ce gouvernement libéral n’a jamais brillé par sa défense des plus démunis. On n’a qu’à penser aux modifications apportées aux conditions d’attribution de l’aide sociale. En fait, ce que nous révèle ces changements de politique, si infimes soient-ils, c’est le manque total d’empathie des libéraux à l’égard des plus pauvres. Évoquant la situation difficile des travailleurs manuels, François Legault disait : « On dirait que ni M. Couillard ni M. Leitao ne comprennent ça ». Et il a raison. Comment Philippe Couillard, neurochirurgien, et Carlos Leitao, ex-banquier, qui ont toujours baigné dans le luxe, pourraient-ils comprendre quoi que ce soit à la réalité de nos personnes âgées les moins bien nanties?
Au lieu de faire de misérables économies sur le dos de nos vieux, le gouvernement Couillard devrait récupérer au plus vite les sommes empochées illégalement par des médecins, qui sont sans doute bien plus considérables que ces 300 millions. On pense ici au cas de cette clinique d’ophtalmologie près de Montréal. Ce n’est sans doute pas la seule à agir de la sorte et il serait temps que le gouvernement se montrent bon gestionnaire et fasse cesser cette dilapidation des fonds publics.
Ce qui choque aussi dans l’argumentaire du gouvernement, c’est le relent de moralisme qui s’y lit en filigrane. C’est comme si les seules personnes âgées dignes d’être appuyées par le gouvernement sont celles qui travaillent. Les autres, forcées à l’inactivité, n’ont qu’à prendre leur mal en patience et attendre d’arriver à 70 ans pour bénéficier du crédit d’impôt en question.
François Legault a raison. Ce n’est pas tout le monde qui a la capacité et physique et psychologique de travailler après 65 ans. Et cela ne s’applique pas qu’aux travailleurs manuels. A partir d’un certain âge, on est évidemment davantage sujet aux problèmes de santé. Pourquoi pénaliser des personnes qui, dans leur très grande majorité, ont contribué à l’effort collectif pendant des décennies en travaillant? Une telle mesquinerie de la part de ceux qui nous dirigent est proprement scandaleuse.
Philippe Couillard affectionne, paraît-il, la lecture de biographies historiques. Il devrait se pencher sur celle de Solange Denis, décédée en 2004. Ce n’est pas Napoléon, ni même Frontenac, mais elle a réussi, par ses mots, à faire reculer un gouvernement engagé dans une dérive du même ordre que celle qui emporte l’équipe Couillard.
Rappelez-vous. Solange Denis avait apostrophé le premier ministre Brian Mulroney en 1985 au sujet du régime de la sécurité de la vieillesse. Le chef conservateur voulait alors désindexer les pensions. « «Touche pas à nos pensions ou c'est Good Bye, Charlie Brown!», lui avait-elle lancé. Et Mulroney s’était abstenu de poursuivre dans cette voie.
À l’instar de Solange Denis, je puis dire à Philippe Couillard, me faisant le porte-voix de milliers d’aînés : « Touche pas au crédit d’impôt en raison de l’âge ou c'est Good Bye Charlie Brown en 2018! »
NOTE : J'ai appris, après la rédaction de cet article, que le ministre Leitao a déclaré entendait faire adopter "des mesures fiscales visant à dédommager, au moins en partie, les personnes âgées « les plus vulnérables » qui ne sont plus admissibles au crédit d'impôt en raison de l'âge". Il prétend ne pas agir à la suite des pressions de l'opposition et de l'opinion publique. Il faut noter, toutefois, que "M. Leitao n’a (...) pas voulu garantir que cette compensation n’entraînera aucune perte de revenu pour les contribuables touchés, soit ceux qui ont atteint 65 ans en 2016 ou qui franchiront ce seuil dans les prochaines années. « Je ne peux pas vous donner cette garantie-là, béton, à 100 % », a-t-il admis." Les Solange Denis de 2017 doivent donc demeurer vigilantes...