Paul Hawken
PAUL HAWKEN (1946- )
Parmi les conditions de la réussite de la conférence de Paris, ( du 30 nov. 2015 au 11 déc. 2015) il y a la connaissance des auteurs qui, depuis un siècle, ont sonné l’alarme à propos de divers aspects de la crise que traverse l'humanité. Nous avons regroupé ces pionniers en trois catégories: critique du progrès, écologie, pensée systémique.
PROJET 50 PIONNIERS : ENC. LAUDATO SI', CONFÉRENCE DE PARIS |
SECTIONS : CRITIQUE DU PROGRÈS, ÉCOLOGIE, PENSÉE SYSTÉMIQUE |
PAUL HAWKEN (1946), ÉCOLOGIE |
Entrepreneur, environnementaliste et philosophe américain
Il prit le risque d'associer des signes de $ au capital naturel. Suite à ses travaux et à ceux d'Amory Lovins et J.Hunter Lovins co-auteurs de Natural Capitalism, on connaît la valeur en $ des services que rendent les abeilles. On sait qu'un pot de miel fabriqué entièrement à la main par des humains coûterait aujourd'hui 182,000$.
Paul Hawken avait publié auparavant un livre intitulé The Ecology of Commerce (L’écologie de marché) où il expose les avantages qu'il y aurait pour les commerçants à s'inspirer de la biologie. Ce que fera plus tard son ami Ray Henderson, patron d'Interface, pour créer des couvre planchers recyclables.
L'ENTREPRENEUR ET L’ENVIRONNEMENTALISTE
«L’humanité a hérité d’un capital naturel accumulé pendant 3,8 milliards d’années. Ce capital comprend toutes les ressources naturelles que nous utilisons: le sol, les minéraux, les métaux, le pétrole, les arbres, l’eau, les poissons, l’air, etc. Ces ressources se trouvent dans toutes sortes d’écosystèmes: prairies, savanes, marécages, estuaires, océans, terrains riverains, toundras ou forêts, qui abritent diverses communautés d’êtres vivants: humus, champignons, bactéries, amphibiens, fougères, arbres, insectes, oiseaux, étoiles de mer ou fleurs, qui rendent possible la vie sur terre et la rendent agréable. Plus nous imposerons de contraintes à ces systèmes vivants, plus notre prospérité sera liée à l’état de notre capital naturel plutôt qu’à nos prouesses industrielles.
Actuellement, les matières premières semblent peu coûteuses parce que leur coût de production ne tient pas compte des conséquences de leur exploitation et de leur transformation: destruction des forêts, déchets toxiques déversés dans les cours d’eau, pluies acides, smogs urbains, érosion et nitrification des sols, eutrophisation des lacs, disparition des cultures indigènes, appauvrissement des communautés, etc. De plus, un environnement sain ne fournit pas seulement de l’air pur et de l’eau claire, il accomplit des tâches beaucoup plus complexes et moins valorisées, comme le traitement des déchets, la protection contre les conditions climatiques extrêmes et la régénération de l’atmosphère. Ainsi, une forêt n’est pas simplement qu’une réserve de bois, elle offre aussi des services de stockage de l’eau, prévenant les inondations, elle utilise le gaz carbonique, principal gaz à effet de serre, et produit de l’oxygène, etc. Le physicien Amory Lovins aime bien commenter l’expérience de Biosphère II (1992), réalisée dans le désert de l’Arizona et qui consistait à créer un écosystème viable à l’intérieur d’un immense dôme fermé. Malgré un budget de 200 millions de dollars américains et beaucoup de technologies de pointe, les scientifiques n’ont même pas réussi à produire de l’air, de l’eau et de la nourriture pour huit personnes pendant trois ans. Notre «Biosphère I» en fournit chaque jour gratuitement à six milliards d’individus... Quand les scientifiques essaient d’attribuer une valeur pécuniaire à tous les services rendus par la biosphère, ils aboutissent à un chiffre qui approche le produit mondial brut.
Notre modèle économique néglige de comptabiliser les plus grands stocks que nous utilisons: les ressources naturelles et les écosystèmes, aussi bien que les systèmes sociaux et culturels qui constituent la base du capital humain. Nous liquidons notre capital naturel en l’inscrivant dans la colonne des «revenus». Mais cette «erreur comptable» ne peut être corrigée simplement en assignant une valeur pécuniaire au capital naturel, car plusieurs des services que nous recevons des systèmes vivants n’ont pas de substituts connus. L’évaluation des services rendus par la biosphère est, au mieux, un exercice difficile et imprécis, car tout ce qui nous est essentiel pour vivre et que nous ne pouvons remplacer à aucun prix devrait avoir une valeur infinie. Soulignons, en outre, que le mot «services» doit être utilisé avec prudence puisque les écosystèmes effectuent leur travail naturellement et non pour servir l’humanité. Si nous voulons déterminer les coûts réels de la production industrielle, il nous faudra donc trouver un moyen de tenir compte du capital naturel et des services écosystémiques, notamment en appliquant progressivement une fiscalité verte.
Dans Natural Capitalism, Paul Hawken, Amory Lovins et sa femme L. Hunter Lovins proposent une stratégie en quatre volets pour fonder le capitalisme naturel:
1. Accroître radicalement la productivité des matières premières : L’utilisation plus efficace des ressources présente trois bénéfices importants: elle ralentit l’appauvrissement des ressources à un bout de la chaîne, diminue la pollution à l’autre bout, et peut abaisser le niveau mondial du chômage en offrant des emplois significatifs.
(Par exemple, 80% de l’énergie du carburant utilisés par une voiture est perdue, principalement en chaleur, et seuls 20% environ servent à faire tourner les roues. Sur ces 20% restant, 95% sont utilisés pour mettre la voiture en mouvement, contre 5% pour le conducteur, proportionnellement à leur poids respectif. Cela représente une perte de 99% de l’énergie dégagée par le carburant.)
2. Pratiquer le biomimétisme : En imitant la nature, on peut éliminer jusqu’au déchet. Il suffit d’inventer des matériaux, des procédés et des produits qui permettront de former des boucles s’intégrant dans les grands cycles naturels et favorisant la constante réutilisation des matières premières et l’élimination des matières toxiques.
3. Instituer une économie de services et de location : Le capitalisme naturel appelle un changement fondamental dans les relations entre le producteur et le consommateur, un déplacement d’une économie de biens et d’achats en une économie de services et de location. Dans le capitalisme conventionnel, l’acquisition des biens donne une mesure de la richesse; dans le capitalisme naturel, la jouissance continue de la qualité, de l’utilité et de la performance des produits donne une mesure du bien-être.
(Au lieu de vendre des produits dont ils ne se sentent plus responsables après leur vente, les producteurs les loueront et les reprendront une fois que leurs clients les auront utilisés.
Ces produits demeureront des actifs (assets) pour le producteur, créant une incitation importante à minimiser l’utilisation de matériaux et à maximiser la durabilité des produits afin de garder ces actifs le plus longtemps possible.
4. Investir dans le capital naturel : Il est urgent de réinvestir dans la restauration, le maintien et l’accroissement de notre plus importante forme de capital - notre propre habitat naturel et les bases physiques de la productivité et de la diversité naturelles.
En 1998 seulement, le mauvais temps a déplacé 300 millions de personnes et causé plus de $90 milliards de dommages, ce qui représente plus de destruction reliée à la température que tout ce qui a été rapporté pendant toute la décennie des années 80. Les réassureurs européens essaient de diminuer les pertes dues aux tempêtes en faisant des pressions en faveur de l’adoption de politiques internationales pour protéger le climat et en investissant dans des technologies qui, tout en étant profitables, sont sans danger pour le climat.
Sans un réinvestissement immédiat dans notre capital naturel, la pénurie dans les services rendus pas la biosphère deviendra le principal facteur limitant la prospérité au cours du prochain siècle. Le monde des affaires ne réalise pas encore qu’un important réseau écologique sous-tend la survie et le succès des entreprises. L’enrichissement du capital naturel ne sert pas seulement le bien public, il est vital pour la longévité de chaque organisation.»
Dossier capitalisme naturel, Andrée Mathieu
LE PHILOSOPHE
Dans son dernier livre, Blessed Unrest, (2007) il ébauche pour inciter ses lecteurs à l'action, une vision du monde centrée sur la vie.
«Ayant observé la myriade de petits groupes – des millions peut-être – qui, de par le monde, se portent à la défense de la nature, il voit dans leur action le début d’une révolution qui pourrait sauver l’habitat humain. Pour donner plus d’unité à ce mouvement, encore informel et anarchique, il ébauche une vision du monde centrée sur la vie, une vie qui englobe les communautés humaines. «La façon nous maltraitons la terre affecte tous les hommes et la façon dont nous nous traitons les uns les autres a des répercussions sur celle dont nous traitons la terre.»
Paul Hawken, Blessed Unrest, Viking Press, New-York, 2007 p.2
Entre autres auteurs du passé, Hawken se réclame de Ralph Waldo Emerson et de sa philosophie centrée sur les leçons que l’homme peut tirer de l’étude de la nature et de la vie. Il nous apprend que l’auteur de Nature a lu les œuvres complètes de Goethe et qu’il leur est resté attaché toute sa vie, – une référence dont on mesure la signification quand on sait l’importance de Goethe dans l’histoire des idées non mécanistes sur la vie.
Hawken n’hésite pas à présenter Emerson, de même que Henry David Thoreau, son célèbre disciple, comme des écologistes avant l’heure, comme des penseurs ayant compris que l’homme fait partie du web of life. Et il indique de diverses autres manières, par une allusion à Wendell Berry notamment, l’auteur de Life is a miracle, ses réserves à l’endroit de la conception mécaniste de la vie, d’origine cartésienne. Après avoir fait état de l’infinie complexité de ce qu’on peut en connaître, il conclut que la vie, en elle-même est inconnaissable et il évoque le caractère sacré de son origine.
Dans Blessed Unrest, Paul Hawken va même jusqu’à préciser les qualités communes à tous les organismes vivants qui sont aussi applicables aux communautés : «La nature recycle tout, la nature tend à tout optimiser plutôt qu’à tout maximiser. Etc.» Tout en élargissant ainsi le champ d’application du concept de vie, Hawken prend ses distances par rapport à la conception mécaniste de la vie qui a dominé la biologie, au cours des quatre derniers siècles, au point d’en faire une science borgne, une science à laquelle échappe la partie qualitative, mystérieuse de son objet. Il nous ramène à ce qui est pour lui de l’ordre de l’évidence : au souffle initial de l’Esprit sur ces organismes qui défient les principes rationnels de l’organisation.
Toutes les formes de vie, y compris l’art, et la haute morale fait partie de l’art, sont liées entre elles comme les éléments d’un écosystème de telle sorte que lorsque la vie n’a plus sa place dans une culture, elle se retire de toutes ses manifestations, des communautés et des écosystèmes aussi bien que des personnes et des œuvres d’art, à l’instar de la mer qui, à marée descendante, se retire uniformément de toutes les baies. Le retour de la vie ne peut s’opérer que de la même manière, simultanément dans toutes les manifestions de la vie.
Mais ce retour de la vie nous ne pouvons pas l’assurer par les moyens, d’ordre technique, qui ont eu pour effet de l’éloigner. C’est à la vie elle-même qu’il faut faire appel pour obtenir la vie. « La vie crée les conditions conduisant à la vie».
Nous ne pouvons même pas maîtriser la vie consciemment sans la dénaturer, ajoute Hawken : «si nous tentions de le faire, nous mourrions, comme la Planète meurt. Nous ne gérons pas nos corps, parce que nous ne pouvons pas le faire. Nous pouvons toutefois les protéger, les nourrir, les écouter, veiller sur eux au moyen de la nourriture, du sommeil, de la prière, de l’amitié, du rire et de l’exercice. » (7)