Martine Ouellet, la Bernie Sanders du Nord
IComme Bernie Sanders, Martine Ouellet défend la même vision du monde depuis ses jeunes années. Ce n’est donc pas en raison de son contenu, qui ne nous apprend rien de nouveau aujourd’hui, mais en raison de la constance de l’engagement de son auteure que L’Agora a décidé de vous offriir ce texte de Martine Ouellet, publié pour la première fois en 1994.
Certains lui ont reproché de ne pas être un bon joueur d’équipe. Ça veut dire quoi « jouer en équipe » quand on défend la même vision depuis plus de 25 ans alors que nos adversaires accordent plus d’importance à la stratégie politique qu’à cette vision cohérente du monde dont, pourtant, ils se réclament… Le développement durable, tout le monde en parle, mais aucun gouvernement ne semble vraiment y croire si on en juge par les faits. La souveraineté, au contraire, personne ne veut en parler tout en prétendant y croire. Martine Ouellet a une vision claire de l’un et de l’autre et n’hésite pas à défendre ses convictions haut et fort sur la place publique. Elle se refuse à contempler l’échec avant d’avoir tenté la victoire. En cela, elle ressemble à Bernie Sanders qui défend les mêmes idées depuis plus d’un demi siècle2 et qui n’a pas hésité à continuer à les mettre de l’avant au cœur même de la course à la candidature démocrate en vue des élections présidentielles.
On a aussi reproché à Martine Ouellet d’avoir paraphé à contrecœur l’entente sur l’exploration des hydrocarbures de l’île d’Anticosti et de s’être ensuite absentée lors du vote sur la motion du PQ à ce sujet car elle a reconnu qu’elle n’était pas d’accord avec son parti sur le libellé de la motion. Auraient-ils préféré qu’elle vote contre ? On veut qu’elle « joue en équipe » oui ou non ? De même que Bernie Sanders a fait un compromis en endossant la candidature de Hillary Clinton pour faire avancer ses idées, Martine Ouellet a paraphé l’entente pour pouvoir continuer à faire progresser ses idées au sein du Conseil des ministres, tout en réclamant un BAPE générique sur l’île d’Anticosti. Sur les ondes de Radio Canada, elle a dit avoir consulté des experts en droit en l'environnement et a affirmé qu'il y a possibilité de retirer les permis sans compensation en vertu d'une loi sur la protection de l'eau..
Le Québec à l'heure du développement durable, par Martine Ouellet
La présidente (avril 1994)du Comité nationalsur l'écologie et l'environnement, du parti québécois présent les nouvelles orientations de son parti.
On a longtemps considéré qu’environnement et économie s’opposaient. Les partisans de l’écologie percevaient le développement économique comme une source de problèmes environnementaux et les promoteurs économiques considéraient les normes environnementales comme un ensemble contraignant et superficiel. On sait maintenant, depuis la publication du rapport de la Commission mondiale sur l’environnement, le rapport Bruntland, qu’il est devenu indispensable, pour toutes les sociétés modernes, de revoir et de repenser la place accordée à l’environnement dans la conception et l’organisation des systèmes économiques, sociaux et politiques. Cette prise de conscience conduit directement à favoriser l’émergence du principe de développement durable et rend nécessaire son application la plus rapide et la plus large possible.
Le développement durable est un principe qui repose sur l’interaction des trois pôles essentiels que sont le respect de l’environnement, la prospérité économique et l’équité sociale. Ce concept multidimensionnel a pour but essentiel d’assurer la viabilité à long terme de notre mode de développement et vise à créer un équilibre harmonieux entre le développement économique, la préservation des écosystèmes et l’amélioration de la qualité de la vie. Il souligne également l’importance de l’équité entre les générations, entre les pays développés et ceux en voie de développement, et entre les citoyennes et les citoyens à l’intérieur de ces mêmes pays.
L’insuffisance des critères économiques
On a trop souvent cru, jusqu’à présent, que les indicateurs économiques étaient suffisants pour mesurer l’état de santé de notre société. On lisait des indices comme le Produit intérieur brut (P.I.B.), le revenu moyen par habitant, le niveau d’endettement, le taux d’inflation, la balance commerciale ou les indices boursiers et on en concluait que si la croissance progressait, c’est que tout allait bien. Or, la croissance a beau augmenter, chacun sait pertinemment que les problèmes sociaux et environnementaux ne manquent pas. De plus, on s’imagine encore, à tort, qu’une croissance de l’activité économique stimulera automatiquement la création d’emplois et fera diminuer la pauvreté, alors que ce raisonnement est maintenant totalement discrédité par l’apparition d’une nouvelle croissance économique qui ne suscite aucune création d’emploi. Au contraire, jamais le précieux acquis de la sécurité d’emploi n’a paru autant menacé. Enfin, parallèlement,
l’épuisement et le gaspillage des ressources renouvelables et non renouvelables, la surconsommation d’énergie, la gestion irresponsable des déchets et rejets polluants, la perte des sols arables, la dégradation de la qualité de l’eau potable et l’érosion de la biodiversité sont autant d’indices qui soulignent l’urgence de revoir nos priorités et nos politiques.
Il apparaît donc clairement que l’approche économique traditionnelle est trop peu sensible aux problèmes sociaux et environnementaux. Les graves problèmes envi- ronnementaux que connaît notre époque mettent en évidence les lacunes du système économique préconisé jusqu’à aujourd’hui. En effet, une augmentation du P.I.B. ou une stabilisation du taux d’inflation ne contribuent aucunement à résoudre des problèmes environnementaux tels que les pluies acides, l’accumulation de déchets dangereux ou la dégradation de la couche d’ozone. Dès lors, il faut bien se résoudre à admettre l’insuffisance d’une évaluation de l’état de santé de notre société fondée sur les seuls critères économiques et qui néglige de ce fait la viabilité à long terme de l’environnement et du tissu social, dont dépend également notre qualité de vie. Il apparaît donc clairement qu’une nouvelle méthode d’évaluation et d’intervention s’impose. Cette nouvelle méthode devra tenir compte non seulement de l’aspect économique, mais aussi d’éléments comme le taux de renouvellement des ressources naturelles ou le taux de recyclage des matières recyclables; elle interviendra ainsi sur tous les fronts à la fois pour venir à bout d’une crise globale dont les répercussions touchent à parts égales le chômage, la pauvreté, la pollution, l’endettement, etc.
Une réponse globale à une crise globale
Le succès de toute stratégie globale pour l’implantation d’une politique de développement durable doit donc nécessairement reposer sur un équilibre dynamique entre prospérité économique, respect de l’environnement et équité sociale. C’est sur cette triple base qu’il faut fonder les critères d’évaluation qui, seuls, nous donneront une image fidèle de la réalité et sur lesquels nous pourrons faire reposer nos futurs choix politiques et économiques. Cette approche multiple se justifie d’autant plus que dans les faits ces trois pôles sont en constante interaction et que toute intervention sur l’un d’entre eux entraîne forcément des répercussions sur les deux autres. Continuer à les considérer séparément, plutôt que conjointement, ne pourrait que mener à de fausses conclusions, à instituer de mauvaises priorités et à perpétuer la crise actuelle.
Il n’est pas besoin d’aller chercher très loin pour trouver maints exemples de cette interdépendance entre les trois pôles. Les conséquences de la crise économique n’entraînent-elles pas une disparité de revenus, un écart grandissant entre les classes sociales, des problèmes de pauvreté et de délinquance qui sont autant de retombées sur le plan social? L’accroissement de la violence, du décrochage scolaire, la nécessité d’indemniser les victimes et de faire appel au système judiciaire ne sont-ils pas autant de facteurs qui font augmenter le coût des services sociaux et qui ont donc une répercussion économique? Un problème environnemental aussi vaste que celui de la pollution n’a-t-il pas des répercussions à la fois sur le plan social, en faisant augmenter le recours au système de santé et en favorisant l’insalubrité, et sur le plan économique, en alourdissant la facture de dépollution et d’élimination des déchets? Et ce ne sont là que quelques aspects parmi les plus évidents.
Un nouvel équilibre entre les différents types de richesses
On s’en rend compte, le développement actuel privilégie trop souvent la production de richesses artificielles et économiques au dé- triment des richesses humaines et naturelles qui ont tendance à se dégrader. Le développement durable, tout comme il préconise un équilibre entre économie, environnement et société, favorise un nouvel équilibre entre richesses artificielles, richesses humaines et richesses naturelles. Cet équilibre entre les trois types de richesses remet d’emblée en question toute une série de valeurs et de comportements, comme le gaspillage ou la surconsommation, que la société industrielle a largement valorisés jusqu’à présent. À l’heure actuelle, les habitants des pays développés accaparent à eux seuls plus de 83% des ressources du globe et 75% de la nourriture, alors qu’ils ne représentent que 20% à peine de la population mondiale! Il faut absolument avoir le courage de remettre cela en question. Nous ne pouvons plus nous permettre de continuer à consommer ainsi les richesses de la planète sans songer aux conséquences, à leur renouvellement ou à leur répartition. Les systèmes économiques doivent donc tenir compte du fait que la Terre est un ensemble fini qui, à ce titre, présente des limites naturelles au-delà desquelles il est risqué de s’aventurer. Notre qualité de vie à long terme dépend de cette prise de conscience et de notre capacité à gérer autant nos prélèvements que nos déchets.
La notion de richesse a bien souvent été mal comprise et, la plupart du temps, s’est développée aux dépens des richesses naturelles ou humaines. On pense qu’être riche c’est consommer à l’excès alors que cela entraîne un gaspillage et une production de déchets qui appauvrissent notre environnement et notre condition économique. Ce même système de pensée conduit également à d’autres aberrations. Par exemple, emprisonné sous l’écorce terrestre, le pétrole ne vaut rien alors qu’il trouve sa pleine valeur en baril ou dans le réservoir d’essence d’une voiture, tout comme des milliers d’hectares de forêt en pleine santé ne valent rien en regard du P.I.B. alors que ce même P.I.B. se met à grimper dès que les arbres sont coupés et réduits en planches! On constate avec effarement que moins un pays possède de réserve et plus il est riche, et que plus il dilapide ses ressources plus il est considéré, quelle que soit sa viabilité à long terme. Pour sa part, la voie du développement durable nous engage à rendre l’économie moins intensive dans son utilisation des richesses naturelles. Cela signifie favoriser le principe des trois R: Réduction, Réutilisation, Recyclage, plutôt que de viser l’accroissement de la production et l’accumulation excessive des quantités. Cela signifie également instaurer de nouvelles normes et réglementations pour aboutir à des procédés de fabrication plus économes et moins polluants.
De nouvelles perspectives pour le Québec de demain
Situer la croissance économique dans une perspective de développement durable nous amène à rompre avec l’attitude, qui fut trop longtemps la nôtre, qui consistait à ne considérer la protection de l’environnement qu’en second lieu, une fois prises les décisions de nature économique, et à ne voir dans les normes environnementales qu’une source de dépenses supplémentaires ou de problèmes ralentissant le développement de la société. En fait, tout au contraire, c’est bien plus la dilapidation des richesses naturelles et la détérioriation de l’environnement qui sont des sources de dépenses et de problèmes à long terme. Les pays scandinaves et l’Allemagne ont imposé depuis longtemps à leurs entreprises des normes et des mesures environnementales plus sévères que celles de leurs concurrents étrangers, ce qui ne les a pas empêchés d’atteindre une production très compétitive. De plus, leurs entreprises ont même développé des procédés de fabrication peu polluants et à la fine pointe de la technologie.
Il est important de dissiper une fois pour toutes l’idée reçue tout à fait erronée selon laquelle la protection de l’environnement et les investissements qui en résultent provoquent chez les entreprises une baisse de rentabilité et de compétitivité. Bien au contraire ! Une étude menée récemment auprès d’entreprises chimiques des États-Unis a montré que, à l’exception d’une société sur 181, les investissements entrepris pour réduire le niveau de pollution avaient été recouvrés en moins de 18 mois, en moyenne. Non seulement les mesures environnementales ne sont pas cause de faillite et de chômage, mais à l’heure actuelle, le domaine du recyclage et de la récupération est un des rares secteurs créateurs d’emplois. Ainsi, l’industrie de la dépollution et du recyclage crée plus d’emplois par dollar investi que la plupart des autres domaines traditionnels. À cela s’ajoute le fait que la conservation de centaines de milliers d’emplois dépend directement d’une saine gestion de nos ressources naturelles.
Alors que les prochaines élections vont encore une fois amener les Québécoises et les Québécois à se poser de graves questions et à définir leur projet d’avenir, alors qu’il apparaît pour la première fois dans l’histoire du Québec que nous pourrions laisser moins demain que ce que nous ont laissé en héritage les générations précédentes, le principe de développement durable s’impose de plus en plus comme une réponse concrète, globale et adéquate pour faire face aux nombreux problèmes de société que nous connaissons aujourd’hui et pour aider à dessiner le Québec de demain. Nous ne pouvons plus nous contenter de penser que le développement durable, ce sont des ponts qui durent longtemps. Nous ne pouvons pas nous permettre de tolérer plus longtemps l’inaction face à la dégradation de l’environnement. Le progrès aujourd’hui passe tout autant par une amélioration de notre qualité de vie que par la viabilité à long terme de notre environnement et que par une plus grande équité sociale. À ces seules conditions, la société québécoise pourra enfin participer activement à l’effort mondial pour réduire les impacts négatifs sur la biosphère et se comporter ainsi de manière responsable face aux générations à venir, tout comme face à elle-même.