Le Verbe, revue catholique québécoise
Se réclamer aujourd’hui au Québec, dans l’espace public, de la qualité de catholique, vous expose le plus souvent à une indifférence amusée, ou, dans le pire des cas, à des réactions désagréables. Vous êtes une espèce d’animal appartenant à un âge révolu. Notre société se vante d’être diversitaire, mais la correction politique ambiante admet parfaitement que l’on puisse tourner en dérision le fait d’être catholique. À la limite, vous acceptera-t-on si vous montrez votre brevet de progressisme.
Le débat autour de la laïcité -- qui tourne souvent en promotion du laïcisme, voire de la laïcisation intégrale de la société québécoise --, ne rend évidemment pas la vie plus facile aux croyants. Le point de vue catholique est devenu proprement inaudible. Comme l’écrivait l'essayiste Mathieu Bock-Côté, «… à mesure que l’on assiste à la dénationalisation de l’identité québécoise, l’Église en est venue à jouer le rôle de l’oppresseur principal dans l’histoire du Québec ». Et on ne discute pas avec ceux qui sont les alliés de l’oppression. Bien des Québécois non religieux préfèrent « changer de poste » pour ne pas écouter ce que les catholiques auraient encore à leur dire.
Et cette indifférence et ce mépris retombent d’autant plus sur vous si vous avez la prétention d’être un intellectuel. Osez dire que vous êtes un intellectuel « catholique » lors d’un colloque universitaire. C’est la rigolade assurée dans la salle. Elle est très loin l’époque où on pouvait organiser une semaine des intellectuels catholiques. Pourtant, nous avons besoin, dans nos débats, de leur point de vue, un point de vue qui prend appui sur une sagesse millénaire tout en affrontant les défis du présent.
Pour publier une revue catholique dans une société québécoise si peu accueillante, il faut une certaine audace. C’est en quelque sorte lancer un OLNI, un objet littéraire non identifié… L’objet dont je vous parlerai aujourd’hui, c’est Le Verbe, une publication de grande qualité réalisée à Québec par une équipe de jeunes catholiques fort dynamiques.
Ces dernières années, j’ai été frappé par l’engagement, dans la vie intellectuelle, d’une nouvelle génération de catholiques. C’est vrai au Québec comme en France. Dans l’Hexagone, je suis avec le plus grand intérêt le travail de réflexion mené par des revues d’inspiration catholique, comme Limite, préoccupée par l’écologie intégrale, ou Le Nouveau Cénacle, sous la gouvernance de Julien Leclercq. Et je pourrais mentionner bien d’autres initiatives de qualité.
Le Verbe (http://www.le-verbe.com) s’offre comme « un lieu d’expression, de diffusion et d’échange d’idées, dans un esprit de communion avec l’Église catholique ». Il ne s’agit pas d’un relai de transmission des positions de l’institution, il faut y insister. On y on cultive la liberté sur le plan intellectuel. Les artisans de la revue précisent clairement leur pensée lorsqu’ils écrivent que « cette diffusion peut se faire sans moralisme condescendant (mais non sans morale), et sans angélisme béat et naïf (mais non sans spiritualité) ».
La revue s’inscrit dans une continuité historique. Une page du site du Verbe expose très bien la genèse lointaine de la revue :
« (…) il faut remonter à l’année 1975… Lors de sa visite à Rome, Paul Bouchard, le fondateur de L’organisme sans but lucratif L’Informateur catholique, reçoit l’interpellation de Paul VI aux chrétiens, les exhortant à s’impliquer dans les moyens de communications sociales, comme une confirmation de son appel. De retour au Québec, il met immédiatement tout en oeuvre, sans argent et sans ressources, pour fonder Spirimedia inc. qui produit une première publication, Esprit Vivant.
Celle-ci a été remplacée en 1981 par le tabloïd bihebdomadaire L’Informateur catholique. Ce n’est qu’en 1993 que l’organisme sans but lucratif du même nom a été fondé et a repris la publication à son compte. À l’époque, le périodique était axé sur la nouvelle, l’actualité. » (source)
En 1999, L’Informateur catholique devient Le Nouvel informateur catholique (Le NIC). Après le départ à la retraite de Paul Bouchard en 2011, le magazine change de nom et de formule : il s’appelle désormais La vie est belle! Autre changement de cap majeur trois ans plus tard : au printemps 2016, est lancé Le Verbe, dans sa forme actuelle.
Un projet qui m'apparaît des mieux ficelés. Une approche multimédia audacieuse et adaptée à notre époque : un magazine de 20 pages, une revue trimestrielle de 84 pages, un blogue animé par une vingtaine de collaborateurs réguliers et une émission de radio hebdomadaire, On n’est pas du monde (Radio-Galilée et Radio VM). Et tous ces supports sont accessibles gratuitement. Le Verbe publie sur son site un plan de développement pour les années à venir. Il semble avoir le vent dans les voiles.
S’il se rattache à ses devanciers, Le Verbe accepte pleinement les défis du présent. « Mais le jupon, ou plutôt la dentelle du surplis des pionniers, dépasse-t-elle des pages du Verbe? De l’aveu du rédacteur en chef, oui et non. Oui, au sens où le nouveau-né conserve les orientations de ses ancêtres, et tient à réserver les pages de choix au témoignage de foi. Non, car le nouveau format, cinq fois 100 pages par année au lieu de dix fois 52 pages, permet d’effectuer un meilleur travail journalistique de fond, des entrevues plus consistantes, d’offrir de la place pour un plus large éventail de rubriques. » (source)
Sur le plan matériel, la présentation de la revue est impeccable. Une mise en page agréable, beaucoup de photos, souvent artistiques. Elle n’a rien à envier aux magazines que l’on trouve dans le circuit commercial.
Le Verbe remplit sa mission grâce à une équipe impressionnante tant par le nombre que par la diversité des expériences et expertises de ses membres. Il me semble que les jeunes y prédominent, mais certains vieux routiers de l’écriture y contribuent, comme Jacques Gauthier et le journaliste Yves Casgrain, spécialiste de la question des sectes. Les deux chevilles ouvrières du Verbe sont Sophie Bouchard, directrice générale, et Antoine Malenfant, rédacteur en chef. Ce dernier, qui est la figure publique de l’entreprise, dirige l’équipe de rédaction depuis 2013 et est directeur artistique de la publication. Il est de plus l’animateur, chaque semaine, depuis septembre 2016, de l’émission radiophonique On n’est pas du monde.
Le Verbe est-il une revue destinée avant tout à des catholiques? C’est l’avis de Jonathan Guilbault, des Carnets du Parvis. « Première évidence : il s’agit là d’un magazine catho du type ‘’ écrit par des cathos pour les cathos’’. Ça ne va pas de soi, car un magazine pourrait être catholique en adoptant une autre posture. Mais le constat n’est pas un reproche, car c’est un choix légitime.» Je suis cependant d’avis que ce jugement est un peu réducteur. Oui, bien sûr, les pratiquants s'y retrouveront. Mais les catholiques « du dimanche » et les personnes non religieuses qui ont le souci de la culture et des idées trouveront aussi grand profit à le lire.
Doit-on convenir que Le Verbe a, comme l’écrit Jonathan Guilbault, « une approche parfois exagérément défensive (à mes yeux) par rapport à la culture actuelle »? Je ne suis pas d’accord avec cette description de la revue. Le travail critique qui s'y fait est, à mon sens, pleinement justifié. Et tout en nuances. L’existence du Verbe contribue à la diversité du paysage des revues au Québec, y compris celui des revues catholiques. Il existe déjà d’autres publications, comme Relations, qui exposent le point de vue du catholicisme de gauche. Il en faut pour pour toutes les tendances.
La revue en est à sa seizième livraison. Son contenu, en plus de celui du magazine et des blogues, constitue une formidable banque textuelle sur une variété de sujets. J’en donnerai quelques exemples. Il ne s’agit là que d’un sondage très partiel, et non d’une présentation suite à une analyse exhaustive.
La revue fait une place importante aux initiatives positives, constructives des catholiques d’aujourd’hui, à travers lesquelles ils portent témoignage de leur foi. Nous ne sommes pas ici dans le prêchi-prêcha, ni dans le virtue signalling. On présente aux lecteurs des expériences susceptibles de les inspirer.
Étant moi-même historien, je suis sensible à la place de l’histoire et de la mémoire dans la revue et dans les préoccupations de ses artisans. C’est un lieu commun que de parler de l’ignorance de la société québécoise quant à son passé catholique. Bien des gens, à notre époque, ne savent même plus ce qu’est au juste un curé ou un diocèse. Cette ignorance, il faut le dire, est aussi le fait de bien des catholiques, notamment les plus jeunes.
Le Verbe joue un rôle utile dans la transmission de cette culture catholique trop méconnue. Dans son dernier numéro, je glane au passage certains articles au contenu révélateur : La croix du Bic, Les franciscains au Canada, La pensée de Charles De Koninck, Le Saint-Jérôme de David, un article évoquant le dogme de l’Assomption. Des articles bien documentés qui nous mettent en contact avec divers aspects de l’histoire de l’Église, au Québec et dans le monde.
Le présent n’est pas pour autant négligé. J’en donne pour exemple, dans la même livraison, un texte passionnant sur les chrétiens du Jharkhand, en Inde, qui sont, dans ce pays, en butte à la discrimination et à la persécution. Ou cet autre article sur les rapports entre la méditation de pleine conscience et l’oraison chrétienne.
Les auteurs n’hésitent pas non plus à frayer avec la polémique. Le texte d’Alexis La Salle, qui réagit à un document publié en 2016 par l’Assemblée des évêques catholiques du Québec : « Le tournant missionnaire des communautés chrétiennes », montre bien jusqu’où la critique peut aller :
« En résulte un document paradoxal, qui n’a de cesse d’appeler au décentrement, à la sortie de soi, à la rencontre de l’autre, mais qui demeure particulièrement ecclésiocentré, puisqu’il s’épargne l’effort de regarder par-delà l’horizon de nos vieilles habitudes institutionnelles et se dispense d’aborder sérieusement la question de l’évangélisation dans le monde.
Comment susciter la curiosité à l’égard du christianisme dans un Québec à la mémoire meurtrie ? Comment inciter les gens intellectuellement ou culturellement étrangers au catholicisme à se joindre à la communauté des disciples du Christ? Telles sont les questions qui devraient nous occuper en priorité.
(...)
Demandons-nous aussi: pourquoi tant de nos responsables pastoraux n’ont-ils souvent aucun semblant de vie intérieure capable de nourrir celle des autres ? Pourquoi une homélie n’est-elle trop souvent qu’un ramassis de lieux communs gnangnans sur l’amour, la justice et la paix, sans véritable intelligence des Écritures et sans effet tonifiant sur l’âme ? Pourquoi le peuple de Dieu est-il si léthargique durant les célébrations où pourtant Jésus se fait présent à la faveur de la transsubstantiation? Autre question douloureuse : pourquoi notre répertoire musical quétaine ne se renouvèle-t-il qu’à la mort de la chef de chorale incrustée dans le jubé ?
Et demandons-nous, en vrac : pourquoi les paroissiens qui se côtoient depuis des lustres à la messe du dimanche restent-ils de parfaits étrangers les uns pour les autres ? Pourquoi le jeûne, le chapelet et l’adoration eucharistique ont-ils été mis au rancart par deux générations de catholiques progressistes, prêts à militer pour le peuple des pauvres, mais dédaigneux de la piété populaire ? Pourquoi un demi-siècle de promotion d’une « foi adulte » nous a-t-il si bien fait perdre l’esprit d’enfance ? Pourquoi les catholiques d’après Dei Verbum sont-ils encore et toujours des analphabètes bibliques ? Pourquoi le concept de « fragilité » sert-il à évacuer celui de « péché » ? Pourquoi l’eschatologie est-elle tombée mystérieusement en désuétude ? »
Des questions, il faut le dire, fort pertinentes.
J’évoquais plus haut le dernier numéro de la revue trimestrielle. Celui-ci comporte un beau dossier sur la jeunesse actuelle. Chaque livraison porte d’ailleurs sur un thème particulier et met en évidence sa pertinence pour les catholiques d'aujourd'hui. En juin dernier, c'était le travail manuel; en mars, la guerre. J’ai particulièrement goûté le numéro consacré à l'histoire publié en février 2016, avec des textes de Mathieu Bock-Côté et Jean Sévillia. Avec ces deux auteurs, on est loin, vous le devinez, de l’historiquement correct… Dans le même numéro, j'ai bien aimé le texte d'Yves Casgrain sur un personnage méconnu de notre passé : l'ancien lieutenant-gouverneur Paul Comtois. Le second numéro de la revue, paru en juin 2015, était consacré à la musique, une autre de mes passions. On y trouve, entre autres, une magnifique entrevue avec le philosophe Thomas De Koninck.
Je terminerai par une suggestion : joignez le geste au Verbe et rendez-vous sur le site de la revue pour la découvrir.