Le mal socialisé
En ce début du XXIème siècle, l'adjectif systémique, souvent associé au mot racisme, suscite bien des controverses. Dans cette réflexion, qui remonte à 1930, Gustave Thibon appelait erreur généralisée ce qu'on appelle aujourd'hui erreur systémique.
L’erreur individuelle, consciente, morale, est infiniment moins dangereuse que l’erreur généralisée, fondue, diluée, inconsciente, passée incognito dans les institutions, les coutumes, le climat. La plupart des aberrations morales conservent quelque chose d’accidentel, de curable, de révocable, tant qu’elles n’ont pas gâté le milieu humain. Mais quand l’âme de la Cité même est malade, l’individu est menacé, non plus seulement dans les parties supérieures de son être, mais dans son existence immédiate, dans son socle vital. Le « péché » devient proprement catastrophique quand il cesse d'être péché', quand il ne procède plus d’un choix individuel et délibéré mais d’une conscience collective corrompue. Alors, il ne se borne plus à dégrader l’homme, il le détruit.
Ce mal socialisé, qui échappe (de toute l’étendue de ses infiltrations dans la vie et la nécessité) à la juridiction de l’esprit et de la morale, comment ne voit-on pas qu’il est absurde de vouloir le traiter uniquement sur le plan spirituel et moral ? On méconnaît trop l’importance directe, pressante, tragique de certaines circonstances matérielles dont l’absence entraîne fatalement la ruine des plus hautes possibilités humaines. On se comporte comme des Amants de Venise qui attendraient de leurs seules conversations sidérales la conception d’une postérité ! Pour l’homme du xxe siècle, saturé de superfluités, de vanités et «d’idéals», les problèmes d’ornementation de l’existence suffisent à effacer le problème de l’existence. (Parodies et mirages, Éd. du Rocher, 2011, p.21)