Œdipe ou l’homme libre qui s’accuse quand il aurait des excuses.
Dans une humanité surdéterminée par les hormomes, les gènes, l’inconscient, la misère, une telle liberté ressemble à un acte de foi.
« L’Œdipe-Roi de Sophocle. Œdipe consent à subir le châtiment de crimes commis inconsciemment : il se sent coupable sans être responsable. — Attitude inverse aujourd'hui : des actes parfaitement conscients (ceux des criminels par exemple) sont considérés comme dictés par l’inconscient (traumas, refoulement, etc.) et leurs auteurs tonus de plus en plus pour irresponsables. A la notion métaphysique de péché originel, c’est-à-dire d’une déchéance mystérieuse qu’il faut assumer sans y avoir participé personnellement, on a substitué des explications psychologiques qui réduisent le mystère du mal au mauvais fonctionnement d’un mécanisme. D’où l’évacuation simultanée de la liberté et de la responsabilité.
Et, chose étrange, en même temps qu’on nie liberté et responsabilité, on prêche la libération effrénée de toutes les pulsions, de tous les désirs, on vit sous le signe du « pourquoi pas ?» — Ce qui est logique puisque aucun Dieu ne fixe plus à l’homme de limite ni de but. De sorte que la liberté revendiquée se résout, non plus dans l’obéissance à une volonté supérieure, mais dans l’abandon servile à tous les déterminismes intérieurs et extérieurs. Glaciale ironie : tout est permis à l’homme-dieu réduit à l’homme-machine : du même geste, on le délivre de tous ses liens et on l’ampute de son libre arbitre...
Jusqu’au jour où la libération de la petite mécanique individuelle trouble sérieusement le fonctionnement de la grande mécanique sociale. Alors, celle-ci, prise en main par des techniciens du pouvoir, imposera sans appel l’ordre nécessaire à sa survie, et la prothèse, suprême recours contre le pourrissement, tiendra lieu d’hygiène et de médecine.»
Le voile et le masque, Fayard 1985, p.111