La beauté, une inspiration pour nos communautés
À propos d’un récent rapport du think thank britannique ResPublica
La beauté, dans les grandes œuvres, les êtres vivants ou le milieu que nous habitons. S’il est une préoccupation qui nous habite depuis toujours à l’Agora, c’est bien celle-là. La beauté : une valeur, un idéal, une super vitamine dont l’absence nous affecte en profondeur, dussions-nous ne pas nous en apercevoir. Pourrions-nous d’ailleurs vivre sans beauté? J’oserais soutenir qu’on peut mourir de l’absence de beauté – même si ce n’est pas la cause qui est inscrite sur le certificat de décès. Comme un assoiffé meurt sans eau, une âme finit par s’étioler lorsqu’elle n’arrive plus à trouver en elle et autour d’elle des sources d’émerveillement. Et le pire peut alors survenir… Il serait fascinant de voir ce que peuvent nous apprendre à ce propos les neurosciences qui se piquent aujourd’hui de nous parler de tout et de rien. L’éblouissement en face de la beauté doit sûrement activer certaines zones du cerveau qui contribuent à notre bien-être.
Lorsqu’on les questionne, dans le cadre d’enquêtes d’opinion, on constate que la beauté est une préoccupation fondamentale pour les gens, toutes origines, toutes classes sociales confondues. C’est ce que révèle entre autres une recherche récente menée, en Angleterre, sur l’importance de la beauté pour les communautés humaines. On y apprend que les personnes interrogées sont aussi d’avis que le souci de la beauté n’est pas suffisamment présent dans le discours des dirigeants et dans la sphère publique en général.
Cette recherche, réalisée par le think thank londonien ResPublica, fondé par l’intellectuel Phillip Blond, a conduit à la publication d’un rapport très inspirant intitulé A Community Right to Beauty: Giving communities the power to shape, enhance and create beautiful places, developments and spaces, qui est disponible en ligne sur le site de l’organisme (1).
Le sujet abordé par ResPublica est tout à fait d’actualité. D’autant que les chiffres compilés par son enquête révèlent que seule la moitié des personnes sondées (54%) estiment avoir un accès journalier et aisé à des lieux inspirant la beauté; pourtant, c’est 81% des Britanniques consultés qui croient que tout le monde devrait avoir le droit de faire sur une base régulière, dans son milieu de vie, cette expérience du Beau (3% le désapprouvent). Qui n’a jamais, en effet, trouvé à redire de l’aménagement architectural ou urbanistique des villes et des villages de son coin de pays, surtout en Amérique du Nord? Même si un changement de mentalité est perceptible depuis quelques années, trop souvent, aménagement est synonyme de « n’importe quoi ». On chercherait longtemps, dans bien des constructions ou des développements immobiliers récents, la moindre trace d’harmonie et de beauté réelles. Au Québec, en particulier, nous avons de grosses lacunes en la matière, ainsi que le déplorait l’an dernier, dans un texte percutant, le sociologue Guy Rocher.
La beauté, c’est dans l’environnement naturel que les gens la recherchent d’abord. Un constat que pose le rapport britannique. Les arbres et les fleurs, des parcs judicieusement aménagés, des jardins harmonieux, contribuent de manière importante au bien-être physique et surtout psychologique des populations. Un grand nombre d’études scientifiques corroborent cette réalité. Mentionnons simplement (rapportées par Le Figaro) cette recherche espagnole, publiée en juin, qui décrit pour la première fois « l'influence positive de la verdure sur le développement cognitif des enfants » et cette autre, menée au Canada, qui « confirme son importance sur la santé mentale et physique des citadins. » (2)
Cette beauté que nous dispense le contact si essentiel avec la nature, le rapport A Community Right to Beauty en fait bien sûr état de manière importante, mais son propos consiste surtout à élargir la perspective afin d’inclure dans le champ de sa réflexion le milieu humain, le milieu bâti : « Pour la plupart d'entre nous, la beauté se trouve le plus souvent dans l'environnement naturel et toute approche visant à promouvoir la beauté doit voir la question de manière globale, en faisant de la beauté une expérience vécue au quotidien, accessible à tous: en ville et en campagne, dans une rue et dans un parc, dans les bâtiments et le paysage. » (3)
Un droit à la beauté
La proposition la plus importante (et novatrice) du rapport est celle qui met de l’avant la création d’un nouveau droit affirmatif, porteur d’action : un droit des communautés à la beauté (« a Community Right to Beauty »). Il s’agit d’« un nouveau droit communautaire qui donnera aux gens davantage de pouvoirs et d’incitatifs pour façonner, améliorer et créer des lieux inspirés par la beauté (4) Introduire ici la réalité du droit n’a pas, bien sûr, pour but de créer une énième bureaucratie ou encadrement décisionnel lourd (contre lesquels Blond, un Red Tory, s’est toujours montré critique), mais vise simplement à rappeler aux pouvoirs publics qu’ils seront désormais tenus de considérer cet aspect des choses lors de toute prise de décision.
Car c’est un fait établi que la beauté n’est pas une dimension de premier plan lorsqu’il s’agit de construire un édifice ou de réaménager un espace public. Les décideurs vont prioritairement s’intéresser au coût du projet (surtout en période d’austérité économique), à sa durabilité, à son accessibilité, aux besoins bien réels qu’il doit combler. Même l’aspect environnemental est pris en compte avant la dimension esthétique de l’entreprise. Et, lorsqu’on le fait, ce n’est souvent que l’aspect « design » qui est considéré, et non la beauté dans son acception la plus large. Une des explications de cet état de choses tient en ce que les hommes publics et les administrateurs ont plutôt l’habitude de jongler avec le quantitatif. Le qualificatif, qu’incarne bien la notion de beauté, est quelque chose d’un peu trop impalpable à leurs yeux. Et la diversité des points de vue sur le fait de savoir ce qui est beau ou pas, avec les conflits qu’elle peut occasionner, n’est pas pour les rassurer. La beauté est de plus souvent vue comme un luxe tout à fait inabordable, surtout en temps de crise. Une position que récuse le rapport de ResPublica, « Nous ne voulons pas dire que la beauté doive primer sur toute autre considération lorsqu’il s’agit de prendre des décisions au sujet des édifices, des lieux et des espaces. Toutefois, le fait qu’elle ne soit pas le facteur le plus important ne signifie pas qu’on doive la considérer comme un luxe dont on ne tiendra compte que lorsque le budget le permettra. » (5)
L’approche adoptée par le think thank britannique se veut résolument démocratique et localiste. Démocratique, d’abord, et en un double sens. En effet, pour Blond et son équipe, une politique de la beauté ne peut, d’une part, être élaboré que de bas en haut (bottom-up –«Nous sommes d’avis (...) que la beauté, loin d'être une notion abstraite et intangible, n’ayant aucune utilité sociale et économique, est, en son fondement, un concept démocratique, et que, en tant que tel, elle devrait être discernée, identifiée et co-créée à partir de la base (i.e. la population la plus concernée» (6)) et, d’autre part, doit être pris en compte l’ensemble de la population, toutes situations sociales confondues. « Nous devons créer un système au moyen duquel tous auront droit à la beauté. » (7) Le rapport se montre ainsi particulièrement sensible à la question des inégalités en matière d’exposition à la beauté, ainsi que nous le verrons plus loin.
Il met également de l’avant une perspective localiste, un souci marqué pour la démocratie sur le plan communautaire. Des idées qui sont en phase avec la politique de décentralisation du gouvernement Cameron et qui surtout reflètent certaines des préoccupations majeures du projet de Big Society, dont Phillip Blond fut le principal inspirateur. L’objectif est donc, ici, de ramener le pouvoir décisionnel en matière de beauté au niveau des communautés locales. « Les communautés doivent être habilitées à faire entendre leur voix et à influer sur les décisions qui auront un impact sur l'aspect et la convivialité de leur région. » (8)
Une vision audacieuse de la beauté
Disons un mot de la manière, qui ne manque pas d’audace, dont le rapport envisage la notion de beauté.
La présentation qu’il en fait est nuancée, voire subtile. Si le résultat de la démarche entreprise par ResPublica est l’élaboration de recommandations pratiques en matière de politique publique, le think thank prend cependant ses distances avec toute instrumentalisation de la beauté, toute vision purement utilitaire de celle-ci. Et c’est heureux. La beauté doit d’abord être recherchée pour elle-même, car c’est cette recherche « pure » qui apporte les plus grandes satisfactions à l’homme. Ce n’est qu’ensuite que l’on considérera l’utilité qu’elle peut avoir sur les plans social, économique ou identitaire. « Pourtant, nous devrions nous méfier et ne pas limiter notre attachement à la beauté à sa seule valeur extrinsèque; non seulement parce que sa valeur purement instrumentale est souvent fonction de sa valeur intrinsèque, mais parce que c’est lorsque nous apprécions la beauté pour elle-même que de nombreux autres avantages en découlent. Se concentrer uniquement sur les avantages sociaux et économiques qui découlent de la beauté contribue peut-être à nous occulter son importance réelle. » (9)
Preuve de courage en notre époque relativiste, le think thank ne se laisse pas arrêter, dans l’affirmation des principes qu’il défend, par des scrupules concernant la dimension subjective des jugements d’ordre esthétique. Ces jugements, on le sait, sont fort variables. Ce que l’un trouvera beau, l’autre le tiendra pour tout à fait laid. Les recherches de ResPublica montrent toutefois qu’existe, sur cette question, parmi les membres d’une communauté donnée, une bien plus grande convergence qu’on pourrait le croire. « Et, si nous ne devons jamais sous-estimer la mesure dans laquelle le goût est subjectif, nous ne devons pas non plus ignorer les similitudes objectives qui existent dans l'appréciation de la beauté par les gens. » (10) Un autre rapport britannique publié en 2010, et que cite l’équipe d’auteurs de ResPublica, est même plus précis à cet égard : « (…) ce que nous dit cette recherche préliminaire, c’est que bien qu’existent des différences dans les définitions de la beauté proposées par les uns et les autres, les gens s’entendent majoritairement sur la valeur publique de celle-ci. » (11) Se référant à nouveau cette recherche, nos auteurs précisent que celle-ci « a constaté l’existence d’un degré de ressemblance élevé quant à ce que les gens estiment être beau, et le lieu où ils le trouvent. La très grande majorité des répondants à ce sondage disent qu'ils trouvent la beauté dans l'environnement naturel, mais aussi dans les bâtiments et les parcs, dans l'art et la musique, dans les gens et dans la mode. » (12) En résumé : 1) si les gens n’ont pas tous la même définition du Beau, ils s’entendent néanmoins sur sa valeur publique (« Il y a consensus quant au fait que la beauté mérite une plus grande place dans le discours public et social; les gens sont prêts à s’engager résolument en ce sens » (13)) ; 2) il ne faut pas surestimer, au sein de la population, les divergences quant à la définition de ce qui est beau et de ce qui ne l’est pas. Les consensus sont plus fréquents qu’on croit. La question de savoir ce qu’est la beauté n’est donc pas qu’une réalité purement subjective mais elle est souvent une expérience partagée et partageable. Dans le cas où des désaccords subsisteraient, des procédures démocratiques seraient mises en place afin de les surmonter. « Le droit à la beauté que nous proposons (…) est donc aussi le droit de négocier afin de déterminer ce qu’est, pour la communauté, la beauté; il doit faire en sorte que cette négociation puisse être déterminante. » (14)
Autre constat fait par l’équipe de Blond : bien des gens dits ordinaires ont perdu confiance dans leur capacité à déterminer ce qui est beau. Ils ont même perdu de vue, pour des raisons diverses, le sens même du mot « beauté ». Car il fait partie de ces mots vus comme étant désuets, à l’instar d’âme ou de vertu. « Le fond du problème, c’est que nous n’avons plus aujourd’hui de langage commun permettant de décrire la dimension qualitative de la beauté. » (15) En raison d’un élitisme social, et à la suite de l’influence croissante des théories modernistes en art, le jugement concernant le Beau a été en quelque sorte délégué à des experts. « Durant cette même période est apparue en Angleterre une méfiance et une ambivalence à l'égard des jugements d'experts sur la beauté. Cela provient en partie de l’héritage du Modernisme d’après-guerre, en partie également d’un élitisme de classe quant aux questions esthétiques. On a dit aux gens ordinaires ce qu’ils devaient trouver beau. Ceux-ci ont fini par intérioriser leur désaccord [avec les diktats des experts et des classes dominantes], désaccord qui a pris les habits, pour les uns d’un sentiment d’incompréhension face à ces questions, pour les autres du ressentiment. La beauté est tantôt vue comme une réalité relevant des arcanes du savoir, une réalité élitiste et aliénante, tantôt comme quelque chose d’intrinsèquement subjectif, qui se réduit à être un ensemble imprévisible de styles et de goûts. » (16) Mais, lorsqu’on les invite à réfléchir à l’importance de la beauté, les même gens ordinaires le font, et avec sérieux. Cet écueil n’est donc pas irrémédiable.
Les auteurs du rapport constatent que la population est davantage préoccupée, en Angleterre et ailleurs, par la préservation de la beauté existante. Beaux monuments, beaux espaces naturels, faisant partie du patrimoine historique ou environnemental d’une communauté et même de la nation tout entière. Il est généralement assez facile de mobiliser les gens pour défendre une vieille église menacée de démolition ou la portion d’un parc national qu’une autorité publique voudrait céder à des promoteurs privés. Bien souvent, on réussit à contrer le projet destructeur, et c’est heureux.
Les gens ne voient cependant pas la construction de nouveaux bâtiments et l’aménagement de nouveaux espaces de belle facture comme étant prioritaires lorsqu’il s’agit de consolider la place de la beauté au sein de leur communauté (seuls 7% le pensent, selon les données de ResPublica). C’est étonnant. Et problématique. Car s’il faut conserver les beautés existantes, il faut également tout faire pour accroître notre réserve d’environnements de qualité et de lieux inspirants. Les auteurs du rapport se refusent à n’envisager la question que sous l’angle « conservationniste ». En effet, ils souhaitent également prendre en compte la question de la création de la beauté, de nouvelles beautés, et proposent même des mesures pour la stimuler. Évoquant la législation en vigueur au Royaume-Uni, les auteurs écrivent : « Notre cadre législatif national est orienté, à juste titre, vers la préservation de la beauté que nous avons déjà -- plus particulièrement dans les zones rurales, où les mesures de protection existent pour les Zones de beauté naturelle exceptionnelle (Areas of Outstanding Natural Beauty), et aussi, plus généralement, pour notre patrimoine matériel. Pourtant, il passe complètement sous silence la beauté qui pourrait être créée dans le "quotidien": dans les communautés urbaines et rurales, et dans tout ce qui se trouve entre les deux; dans nos écoles, dans les services et les espaces publics; dans nos édifices, nos voies piétonnières et nos infrastructures locales au sens large. » (17) La beauté est certes un patrimoine; elle doit aussi être un projet.
Bienfaits de la beauté pour une communauté
Je n’entends pas aborder ici chacun des aspects traités dans le rapport. Vous pourrez, si vous le voulez, vous référer au texte disponible sur le Web. Dégageons tout de même quelques points saillants.
Les auteurs de l’étude ont constaté que, pour les personnes interrogées, les facteurs les plus importants qui font qu’elles jugent leur milieu de vie comme étant beau, sont, par ordre d’importance : l’absence de déchets visibles ou d’objets abandonnés sur la place publique (36 %); une criminalité moins élevée, l’absence de vandalisme et de graffitis sur les murs (35%); une présence minimale de bâtiments vacants et\ou délabrés (23%). Comme on est à même de le voir, une bonne part des répondants associent un certain nombre de comportement antisociaux et criminels à la laideur d’un milieu. Des préoccupations d’ordre moral recoupent donc des préoccupations de nature esthétique.
On peut établir assez clairement les qualités associées à la beauté d’un lieu telles que les voit la majorité des personnes interrogées. « Les gens (…) apprécient les espaces qui sont de véritables espaces de vie, caractérisés par un certain nombre de qualités importantes : présence de la nature et de la verdure, mais aussi une échelle humaine et un sens des proportions; la lumière, la tranquillité, et un caractère distinctif, à la fois au sens de différence et d'enracinement dans la particularité d'un territoire – des espaces qui incarnent donc l'esprit d'un lieu, celui qui dit qui nous sommes ou qui nous voulons être. » (18)
Nous évoquions, plus haut, l’impact des inégalités. L’enquête de ResPublica a pu mettre en évidence des disparités sociales et géographiques importantes du point de vue de l’accès à la beauté. Les répondants dont le revenu se situe entre £15,000 et £20,000 démontrent en effet une satisfaction quant à la beauté de leur environnement immédiat de 13% inférieure à ceux déclarant des revenus supérieurs à £100,000. Des différences encore plus grandes sont observées entre les diverses régions du pays. « Cette inégalité a un impact significatif sur la santé et le bien-être ainsi que sur la façon dont les gens se comportent au sein de leurs communautés. Ceux qui vivent entourés par la beauté sont plus susceptibles de prendre soin de leurs communautés, de s’impliquer plus activement en leur sein. Dans les coins réputés pour leur laideur, on observe des niveaux plus élevés de comportement asociaux, qu’ils soient de l’ordre de la criminalité ou du manque de civisme en ce qui concerne la disposition des ordures ménagères. » (19)
Car la beauté, il faut y insister, a un effet d’entraînement qui affecte positivement plusieurs paramètres de la vie d’une communauté. S’il ne faut pas envisager la question de la beauté du seul point de vue utilitaire, celui-ci n’est cependant pas à négliger. « Heureusement, il ya aussi de bonnes raisons instrumentales pour promouvoir la beauté dans nos villes et nos villages. Toutes ne peuvent pas être directement monétisées, mais les avantages sociaux et économiques sont clairs – surtout pour les plus défavorisés dans la société. » (20) Examinons quelques-uns de ces effets bénéfiques de la beauté sur les personnes et les communautés.
Les bienfaits d’un environnement empreint de beauté, qu’il soit naturel ou édifié par l’homme, commencent à être mieux compris.
Du point de vue économique, des villes, des villages ou des quartiers agréables sont susceptibles de dynamiser le secteur des affaires. Des lieux esthétiquement agréables sont un attrait pour les entreprises, les travailleurs et même les investisseurs, qui chercheront à s’y installer ou à leur être associés. Plusieurs études récentes ont également mis en évidence le fait qu’« une relation positive existe entre un design de bureau adéquat (sur le plan de l’ergonomie, mais l'aspect extérieur de l’édifice est aussi pris en compte) et la performance des entreprises du point de vue des facteurs qui influent sur la productivité tels l'absentéisme du personnel et de la concentration au travail. » (21)
Il est maintenant bien établi que des espaces publics agréables, harmonieux, qu’on pense à des rues ou des parcs et des jardins, contribuent à la santé physique et mentale des habitants qui les fréquentent. « Des recherches menées dans plusieurs villes ont permis de mettre en évidence le fait que « des rues et des voies de circulation plus attrayantes » et « des parcs publics et des espaces verts de qualité » sont parmi les incitatifs les plus souvent mentionnés lorsqu’il s’agit d’encourager les gens à adopter des habitudes de vie saines, comme la marche; la beauté des lieux se trouve à égalité au sommet des changements prioritaires, avec la sécurité. » (22)
La contemplation de la beauté de la nature a aussi un effet marqué, et positif, sur le niveau de stress. La présence de verdure, on l’a noté plus haut, surtout en milieu urbain, est importante à cet égard. L’étude de ResPublica révèle toutefois l’existence d’« écarts importants dans l’évaluation, par les répondants, de leur santé mentale et physique. Ceux qui trouvent que leur milieu de vie peut être qualifié, du point de la beauté, de ‘bien’ ou de ‘très bien’ sont davantage satisfaits de leur santé physique et mentale que ceux qui estiment que le niveau de beauté de leur région est ‘assez pauvre’ ou ‘très pauvre’. » (23)
Un effet peut-être moins connu de la beauté des lieux est de favoriser un développement qualitatif des communautés et l’engagement civique de leurs citoyens. Des espaces de beauté, au sein d’une communauté, font grimper le niveau de satisfaction chez ceux qui en font partie. Ils seraient également liés « au renforcement des réseaux sociaux et à des niveaux plus élevés de capital social » (24).
Un environnement de qualité (sur le plan esthétique mais aussi sur celui de la civilité, du civisme) consolide l’identité d’une communauté, accroît le sentiment d’appartenance des citoyens. «En plus de ses résonances proprement visuelles, la notion de beauté est liée intimement et de multiples façons à nos conceptions de l'identité, du sens et de la mémoire. Nous voulons que nos édifices soient beaux, non seulement parce qu’ils paraîtront bien, mais surtout parce qu’ils symbolisent la manière dont nous nous percevons. La beauté n’est pas un concept abstrait – elle a un lien profond avec les gens et les lieux, avec la vie quotidienne de chacun de nous. » (25).
La beauté des lieux, en créant, au sein de la population, un sentiment de fierté, peut favoriser des comportements empreints de respect envers ces mêmes lieux et envers autrui. « On sait maintenant que des espaces publics bien conçus, susceptibles d’inspirer la fierté civique, peuvent encourager les gens à prendre soin de leur milieu et peuvent réduire la fréquence des comportements antisociaux, ce qui a pour effet d’améliorer la perception que les citoyens ont de la qualité de leur lieu de vie. » (26) Car l’on se sent alors davantage responsable de la préservation de la beauté des choses. L’être humain a souvent besoin d’un petit coup de pouce matériel pour l’aider à bien agir. D’une récompense, en quelque sorte. S’il trouve que sa ville est belle, il aura tendance à vouloir en prendre soin.
Ce court texte ne donne qu’un bref aperçu de la richesse des perspectives mises en œuvre dans ce rapport du think thank ResPublica. S’il décrit un contexte bien particulier, celui de l’Angleterre, il livre des pistes de réflexion qui pourraient sans nul doute être poursuivies dans le cas d’autres pays.
En terminant, je dirais qu’à ces aspects économiques, médicaux, psychologiques, sociaux et identitaires de la beauté, nous pourrions ajouter une autre dimension, la dimension spirituelle. On n’en fait pas beaucoup état dans le rapport, mais elle n’est pas complètement absente; on peut en effet la percevoir, ici ou là, par des allusions, presque en filigrane. Ce qui n’est guère étonnant compte tenu du fait que Phillip Blond est aussi théologien. Oui, la beauté peut rapporter financièrement. Oui, elle peut soigner le corps et l’esprit. Elle peut contribuer à favoriser l’engagement des citoyens dans leurs communautés. Mais n’oublions surtout pas qu’elle contribue à élever l’âme. Elle rehausse les sentiments et les pensées, les maintient à une certaine altitude. En étant davantage entourés de beau, ne nous sentirions-nous pas plus inspirés à réaliser de grandes choses?
Notes
(1) http://www.respublica.org.uk/our-work/publications/a-community-right-to-beauty-giving-communities-the-power-to-shape-enhance-and-create-beautiful-places-developments-and-spaces/
(2) http://sante.lefigaro.fr/actualite/2015/07/28/23981-aupres-leurs-arbres-citadins-vivent-plus-heureux
(3) Extrait du rapport de ResPublica. Traduction libre de : « For most of us, beauty is most often found in the natural environment and any approach to promoting beauty needs to view the matter holistically, making the experience of beauty an everyday one, accessible to all: in town and country, street and parkland, in buildings and landscape. »
(4) Extrait du rapport de ResPublica. Traduction libre de : « a new community right that will give people more powers and incentives to shape, enhance and create beautiful places ».
(5) Extrait du rapport de ResPublica. Traduction libre de : « That is not to say that beauty should take precedence over all other considerations in making decisions about buildings, places and spaces. However, the fact that beauty is not always the most important consideration does not mean it should be considered a luxury only to be addressed when the finances allow. »
(6) Extrait du rapport de ResPublica. Traduction libre de : « We argue (...) that beauty, far from being an abstract and intangible term with no social and economic use, is at its heart a democratic concept, and as such should be discerned, identified and co-created from the bottom up. » )
(7) Extrait du rapport de ResPublica. Traduction libre de : « We have to create a system by which we all have a Right to Beauty. »
(8) Extrait du rapport de ResPublica. Traduction libre de : « Communities should be empowered to make their voices heard and influence decisions which will have an impact on the look and feel of their area. »
(9) Extrait du rapport de ResPublica. Traduction libre de : « Yet we should be wary too about resting the case for beauty on extrinsic value alone, not least because the instrumental value is often a function of the intrinsic: it is because we value beauty for its own sake that many of the other benefits arise. To focus solely on the social and economic benefits that derive from beauty is perhaps to close ourselves off from its true importance. »
(10) Extrait du rapport de ResPublica. Traduction libre de : « And while we should never underestimate the extent to which stylist taste is subjective, nor should we ignore the objective commonalities in the human appreciation of beauty. »
(11) Ipsos MORI, People and Places: Public attitudes to beauty. Disponible en ligne : https://www.ipsos-mori.com/researchpublications/publications/1668/people-and-places-public-attitudes-to-beauty.aspx. Traduction libre de : « (...) the message from this preliminary piece of research is that despite differences in personal definitions of beauty, people are in mutual agreement over its public value. »
(12) Extrait du rapport de ResPublica. Traduction libre de : « (...) found a high degree of commonality about what people find to be beautiful, and where they find it. Overwhelmingly, respondents to this survey said that they found beauty in the natural environment, but also in buildings and parks, in art and music, in people and in fashion. »
(13) Extrait du rapport de ResPublica. Traduction libre de : « the consensus is that beauty deserves more of a place in public and social discourse and people are keen to help make this a reality ».
(14) Extrait du rapport de ResPublica. Traduction libre de : « The right to beauty we propose in this paper is therefore the right to negotiate for beauty and for that negotiation to have weight ».
(15) Extrait du rapport de ResPublica. Traduction libre de : « Fundamentally, we have lost an effective common language of beauty as a quality. »
(16) Extrait du rapport de ResPublica. Traduction libre de : « At the same time, Britain has developed a mistrust of and ambivalence towards expert judgements about beauty, in part a legacy of the experience of postwar Modernism, in part a result of a class-bound elitism around aesthetic appreciation. People have been told what is beautiful, and have internalised their disagreement as lack of understanding or resentment. Beauty is seen as something of an arcane lore, elitist and alienating, or else is seen as inherently subjective, reduced to an unnavigable set of styles and taste. »
(17) Extrait du rapport de ResPublica. Traduction libre de : « Our national policy framework is geared, quite rightly, toward defending the beauty we already have – most notably in rural areas, where protections are in place for Areas of Outstanding Natural Beauty and our physical heritage more broadly. Yet it evades completely the beauty that could be created in the ‘everyday’: in urban and rural communities, and all that sit in between; in our schools, public services and spaces; in our buildings, our walks to work and our wider local infrastructure. »
(18) Extrait du rapport de ResPublica. Traduction libre de : « People (...) like places that feel like places, characterised by an identifiable palate of qualities: nature and greenery, but also scale and proportion; light, peacefulness, and distinctiveness, both in the sense of difference and of rootedness in the character of an area – capturing the spirit of a place, either of who we are or who we want to be. »
(19) Extrait du rapport de ResPublica. Traduction libre de : « This inequality has a significant impact on health and wellbeing as well as the way people behave within communities. Those who are surrounded by beauty are more likely to take care of it, become more involved in their communities. Uglier places see higher levels of anti-social behaviour, crime and more litter. »
(20) Extrait du rapport de ResPublica. Traduction libre de : « Fortunately, there are also good instrumental reasons for promoting beauty in our cities, our towns and villages. Not all can be directly monetised, but the social and economic benefits are clear – particularly for the least wealthy in society. »
(21) Extrait du rapport de ResPublica. Traduction libre de : « a positive relationship between good office design (in terms of both ergonomics but also external appearance) and business performance in terms of factors which affect productivity such as staff absenteeism and concentration ».
(22) Extrait du rapport de ResPublica. Traduction libre de : « Research in a number of cities has found that ‘more attractive streets and pathways’ and ‘more attractive public parks and greenspaces’ were most often cited as changes that would encourage people to undertake healthy lifestyle activities such as walking, vying with safety as the top priority. »
(23) Extrait du rapport de ResPublica. Traduction libre de : « significant discrepancies in respondents’ satisfaction with their mental and physical health. Those who rated their local area as ‘good’ or ‘very good’ in terms of being a beautiful place to live were significantly more satisfied with their physical and mental health than those who rated the beauty of their local area as ‘fairly poor’ or ‘very poor’. »
(24) Extrait du rapport de ResPublica. Traduction libre.
(25) Extrait du rapport de ResPublica. Traduction libre de : « Alongside visual appeal, ideas of beauty are woven through our associations with identity, meaning, and memory. We want buildings to be beautiful, not merely for decoration, but because they stand as a symbol for the state of who we are. Beauty is not an abstract concept – it is deeply connected to people and places, to the everyday lives of each of us. »
(26) Extrait du rapport de ResPublica. Traduction libre de : « There is also some evidence that well-designed areas, capable of inspiring civic pride, can lead to better standards of maintenance and reduced anti-social behaviour which help to improve people’s perceptions of the quality of their neighbourhood. »