Irréalités justiniennes
Chaque époque a les hommes politiques qu’elle mérite. Les grandes tragédies historiques appellent aux plus hautes fonctions les Churchill et les De Gaulle. Nous avons, quant à nous … un JustinTrudeau… Est-il étonnant qu’à travers le monde, les médias « progressistes » (cf. L'Obs, The Guardian, etc.) le portent au pinacle, le présentent comme le parangon d’une nouvelle génération d’hommes politiques, comme le politicien de rêve d’un monde postmoderne et multiculturel? Le Canada de Justin Trudeau : « un idéal mondial », ainsi que l'écrivait récemment une chroniqueuse du Journal de Montréal.
Pourtant, depuis l’accession au pouvoir du rejeton Trudeau, et en dépit de la trudeaumanie (bis) ambiante, même au Québec, la politique canadienne semble baigner dans un climat de confusion et d’irréalité.
Se présentant comme le porte-flambeau de la paix universelle, le chef d’orchestre de la bonne entente entre les groupes ethniques et les identités sexuelles, Trudeau n’a pourtant pas hésité à envoyer des troupes militaires dans les pays de l’Est, à proximité du territoire russe, accroissant ainsi la tension dans une région du monde déjà bien volatile. Que voilà un bel exemple de « peace and love »!
Faire disparaître le mot ne fait pas disparaître la chose
Un autre épisode tout récent montre bien la fantasmagorie dans laquelle se complaît le gouvernement libéral canadien. Pour ce dernier, faire disparaître un mot, c’est faire disparaître la chose. La chose qui gêne. La réalité qui contredit l’idéologie.
A la fin du mois d’août, nous apprenions en effet que le Canada emploiera dorénavant, dans ses communications officielles, l'acronyme arabe Daesh pour désigner le groupe armé État islamique (ÉI). Car, précise le ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, « ce groupe n'est ni islamique, ni un État ». Le Canada suit en cette matière l’exemple de la France et de la Grande-Bretagne. Selon Goodale, les terroristes en question « n'aiment pas que les gens utilisent cet acronyme, parce que pour eux, c'est fondamental de prononcer le mot islamique. C'est leur appellation, c'est leur identité». Et « les priver de cette appellation exacte, c'est comme les priver d'une légitimité ».
Il s’agit aussi, pour le gouvernement fédéral, de ne pas offenser les citoyens musulmans de ce pays, qui ne se reconnaîtraient pas dans les actions du mouvement terroriste. Pour Sami Aoun, politologue spécialiste du Moyen-Orient, cette substitution d’un terme pour un autre est une façon de «préserver la paix civile et l'harmonie dans des sociétés de plus en plus plurielles et multi religieuses» (1).
Jusqu’à ce dernier changement, les représentants du gouvernement canadien employaient la formule « soi-disant État islamique » pour parler du mouvement djihadiste. J’ai toujours tiqué en entendant ces mots (« soi-disant). Si l’État islamique se réclame de l’islam, ce n’est certainement pas à nous de lui récuser ce droit. Qui sommes-nous pour en juger ? Le gouvernement canadien n’a pas, à ce que je sache, d’expertise particulière en théologie islamique. Rappelons qu’il n’y a pas, dans le monde musulman, comme dans l’univers catholique, UNE autorité centrale qui décrèterait la version orthodoxe de la doctrine. Que cela offusque ou pas les musulmans d’ici, les terroristes de l’État islamique sont, jusqu’à preuve du contraire, aussi musulmans qu’eux-mêmes peuvent l’être. Que des dignitaires religieux ou des leaders communautaires musulmans du monde entier puissent affirmer que les actions des djihadistes n'ont rien à voir avec l'islam, n’est pas une preuve de quoi que ce soit. Il ne s’agit que de l’opinion personnelle de ces dignitaires et de ces leaders.
On craint pour la paix civile et l’harmonie dans nos sociétés. Je pense que les peuples sont bien plus sages qu’on ose le présumer. Que ce soit en France ou au Canada, les attentats sanglants commandités ou inspirés par l’État islamique n'ont pas eu, et c'est heureux, de conséquence mortelle pour les populations arabes de ces pays. Les violences recensées n'ont été le fait que d'une infime minorité d'extrémistes. La population, dans son ensemble, est restée calme.
Le plus ironique dans toute cette affaire, c’est que le mot Daesh signifie… « État islamique ». En faisant disparaître cette expression, comme par magie, la réalité demeure inchangée.
La tolérance, non. Mais l’amour, oui…
Cette plongée dans l’irréalité, elle se révèle à nouveau dans certains propos récents, proprement incroyables, du premier ministre canadien. Ces propos, il les a répétés dans deux contextes bien distincts, ce qui montre qu’on a bien là l’essence de sa philosophie politique.
Commentant le débat en France sur le burkini, « M. Trudeau a estimé que le débat autour de cet accessoire de baignade créé pour les musulmanes est inutile, puisque les Canadiens seraient passés à autre chose.
‘’Je pense qu’au Canada on devrait être rendu au-delà de la tolérance. Tolérer quelqu’un c’est d’accepter qu’il ait le droit d’exister à condition qu’il ne vienne pas trop nous déranger’’, a-t-il poursuivi.
‘’Au Canada, est-ce qu’on peut parler d’acceptation, d’ouverture, d’amitié, de compréhension? C’est vers là que nous allons’’, a assuré le premier ministre.» (2)
Quelques jours plus tôt, autre contexte, même discours. A l’occasion du défilé de la fierté gaie, il accorde un entretien au magazine homosexuel Têtu, dans lequel il déclare : « Aujourd’hui, on parle parfois de tolérance. Mais il ne faut pas seulement tolérer ! Tolérer, c’est simplement admettre que des gens puissent exister, du moment qu’ils ne viennent pas trop nous déranger. Aujourd’hui, il faut accepter, aimer, et en être fier ! » (3)
Lorsque Justin Trudeau soutient qu’au Canada, nous devrions être « au-delà de la tolérance », on se demande quelle justification il peut bien donner à cette prétention. Pourquoi le Canada devrait-il être à l’avant-garde en ce domaine ? A quoi correspond cet objectif que nous devrions atteindre?
Pour prétendre être à l’avant-garde du monde en matière d’ouverture à l’Autre, il faudrait que le Canada soit un pays où, sur un plan collectif, des vérités pourraient être dites et acceptées. Je pense que le Canada est au contraire un pays qui cultive le mensonge, qui a toujours cultivé le mensonge dans les relations entre les groupes qui le composent. Puis-je mentionner l’illusion opaque qui gouverne depuis toujours les relations entre les deux « peuples fondateurs » du pays? Ou les rapports malaisés avec les peuples autochtones? Le cas des immigrants, des néo-Canadiens, est tout aussi problématique. Le multiculturalisme est une véritable « machine » à générer le mensonge entre les groupes ethniques au sein du Canada. Et, faut-il le rappeler, c’est parce que le Canada a peur d’exiger quoi que ce soit des immigrants qu’il a mis en place ledit multiculturalisme. Ce qui, par la même occasion, lui ôte l’obligation d’avoir à se définir lui-même.
Pourquoi, par ailleurs, faudrait-il se hâter d’être, pour reprendre les mots du premier ministre, « au-delà de la tolérance »? La tolérance, en elle-même, n’est-elle pas une chose respectable, et d’autant plus respectable qu’elle est difficile à mettre en place? Trudeau, on le voit, conçoit plutôt la tolérance comme une réalité d’ordre inférieur, comme un pis-aller à une acceptation plus profonde de l’Autre, qui confinerait à la fierté pour ce qu’il est et à l’amour. Justin Trudeau vit à mon sens dans un monde imaginaire, un monde qui pourrait être celui d’un adolescent qui prend ses désirs pour des réalités. Si les gens de ce pays, de n’importe quel pays en fait, pouvaient simplement essayer d’être tolérants les uns pour les autres, c’est-à-dire essayer d’« accepter » que les autres aient « le droit d’exister » (et cela, même si c’était « à condition qu’il(s) ne vienne(nt) pas trop nous déranger »), nous aurions déjà bien progressé. Car, contrairement à ce que prétend Justin Trudeau, nous sommes loin du compte.
Parler « d’acceptation, d’ouverture, d’amitié, de compréhension » dans les relations entre Canadiens anglais et Québécois, entre nos concitoyens juifs et musulmans, entre les Amérindiens et le reste de la population, entre les diverses communautés immigrantes entre elles et avec la population depuis longtemps établie, c’est prendre ses désirs pour la réalité. Les nouveaux Canadiens transportent dans leurs bagages les conflits qu’ils vivent dans leurs pays d’origine. On pourrait, sur un autre plan, évoquer les rapports entre les riches et les autres, les classes moyennes et les pauvres, les hommes et les femmes, etc., qui sont tout aussi conflictuels, dans le monde réel. Nous n’en sommes pas là, à ce nirvana « trudeauesque », aucun pays du monde n’est là, et, chose certaine, le climat de mensonge généralisé qui règne au Canada n’est pas près de nous y emmener.
Le premier ministre caméléon1
Pour Justin Trudeau, l’acceptation de l’autre paraît vraiment sans limite. Du moins, lorsqu’il s’agit des membres de la société d’accueil par rapport aux nouveaux arrivants. En songeant à notre premier ministre, je me dis que c’est non pas le castor, le caribou, l’ours polaire, le bison ou le mouflon qui devraient être les animaux totems du Canada, mais bien le caméléon. Car le premier ministre canadien ne s’attend pas à ce que les immigrants agissent « à Rome, comme les Romains », mais plutôt à ce que ceux qui les accueillent deviennent des caméléons – qu’ils mettent à l’arrière-plan qui ils sont, qu’ils acceptent sans réserve les valeurs et les choix de vie des Néo-Canadiens, sans rien leur imposer. Qu’ils fassent en somme comme lui, ou comme la première ministre de l’Ontario, Kathleen Wynne, qu’on a pu voir porter le voile islamique avec fierté alors qu’elle rencontrait certains représentants de la communauté arabophone de la province.
Le premier ministre caméléon 2
Il faudrait donc, pour Trudeau, « accepter, aimer, et (…) être fier »… De quoi ? De tout? De n’importe quoi? Accepter, aimer et être fier de pratiques vestimentaires qui assujettissent la femme ? De la polygamie ? Des unions maritales avec des mineurs ? Des tribunaux ethniques clandestins? De mutilations comme l’excision, etc. Pouvons-nous, sans être des suppôts de l’enfer, ne pas accepter, ne pas aimer et ne pas être fier de telles pratiques ?
Le caméléon, métaphore du Canada d'aujourd'hui et de son idéologie multiculturaliste officielle
La tolérance, telle que la conçoit le premier ministre Trudeau, c’est « la tolérance idéale, infinie, grandiose, qui flotte depuis la naissance du monde dans le jus des grandes idées ». C’est une tolérance destinée aux anges…
Pour ma part, je valorise plutôt, comme Marc Molk, du magazine Causeur, une tolérance moins transcendante, une tolérance plus ordinaire. Et plus réaliste aussi, je pense. Une « tolérance quotidienne, triviale, machinale, qui fait le liant des sociétés flegmatiques comme la nôtre ».
Une tolérance qui nécessite, dans la vie de tous les jours, certaines vertus, comme la discrétion : « le souci de signifier à l’autre qu’on le ménage, alors que l’on se doute bien que nos petites manies l’irritent », qui « est une condition essentielle de la concorde civile ». La discrétion est « l’expression d’une politesse élémentaire, par laquelle nous assistons nos frères humains dans la tâche ardue de supporter notre présence sur Terre. C’est une contrainte tacite, (…) qui veut bien que le voisin fasse comme il lui chante, pourvu qu’il ne la ramène pas trop, qu’il nous prenne en compte, qu’il fasse preuve d’un minimum de circonspection. (…) Ainsi est rendue possible la tolérance ordinaire. » (4)
Non, monsieur Trudeau, le débat autour du burkini n’est ni inutile ni accessoire. Il nous rappelle qu’une entente minimale entre les membres d’une société ne saurait survivre à une expression trop ostentatoire de valeurs qui ne font pas l’unanimité. Car c’est alors la tolérance « un peu je-m’en-foutiste » de nos sociétés « qui s’enraye à la vue des niqabs, burkinis et autres parades identitaires agressives » (5).
Notes
(1) http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/monde/201608/25/01-5013957-le-federal-remplace-le-nom-etat-islamique-par-daesh.php
(2) http://www.journaldemontreal.com/2016/08/22/canada-justin-trudeau-se-porte-a-la-defense-du-burkini
(3) http://tetu.com/2016/08/15/interview-premier-ministre-canadien-justin-trudeau-lgbt/
(4) http://www.causeur.fr/laicite-islam-chevenement-discretion-39929.html
(5) Ibid.