Le terrorisme biologique agricole: l'expérience américaine
L'idée selon laquelle les armes biologiques pourraient être utilisées contre les produits agricoles n'est pas nouvelle. Dès les années 20, la France, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et le Japon ont mené des recherches sur la guerre bactériologique ayant un volet agricole, et ces efforts se sont poursuivis pendant la Seconde Guerre mondiale. En prévision de la guerre, les États-Unis ont cherché à faire des armes biologiques anticulture une partie intégrante de leur mobilisation générale. Les tâches offensives ont pris fin en 1969, et toutes les réserves stratégiques ont été détruites par la suite. Le vaste programme de guerre bactériologique de l'ex-Union soviétique, qui comprenait des agents pathogènes destinés aux plantes et aux animaux, a officiellement pris fin en 1992, bien qu'il subsiste des doutes à cet égard. En 1995, la Commission spéciale des Nations unies (CSNU) a été la première à dévoiler les efforts de l'Iraq pour mettre au point des armes biologiques anticulture. Les cultures de blé de l'Iran en étaient probablement la cible. Pour sa part, Cuba accuse depuis longtemps les États-Unis d'utiliser des armes biologiques pour attaquer ses citoyens, ses animaux et ses récoltes. Bien que ces allégations ne soit pas plausibles, le Department of Agriculture des États-Unis (USDA) a financé des travaux de recherche sur les agents pathogènes des plantes qui, au dire de certains, ne sont pas de nature entièrement «défensive», particulièrement en ce qui concerne un champignon qui pourrait détruire les plants de marijuana et de coca, sans endommager les autres plantes.
Depuis le milieu des années 70, les terroristes étrangers et les groupes pour la défense des animaux ont tenté de contaminer les exportations alimentaires destinées aux consommateurs nord-américains et européens, ou ont menacé de le faire. Aux États-Unis, deux cas de contamination délibérée à l'aide d'un agent biologique ont entraîné de graves lésions, mais pas de décès. Récemment, des agents fédéraux des forces de l'ordre ont révélé trois autres cas mettant en cause des menaces de contamination alimentaire, dont deux se sont révélées être des canulars. Ces menaces visaient respectivement une usine d'embouteillage, un abattoir et une laiterie.
Globalement, les sites agricoles des États-Unis constituent des cibles vulnérables, non seulement parce qu'ils ne sont pas protégés, mais encore parce qu'il est facile de se procurer des matières infectieuses et de les disséminer. La concentration et la mobilité des populations animales, de même que la grande dépendance envers des semences et des animaux reproducteurs d'origine étrangère, rendent extrêmement difficiles le dépistage et l'isolation d'une épidémie. Étant donné que la plupart des maladies qui s'attaquent aux plantes et aux animaux ne touchent pas les humains, le risque encouru par l'auteur du crime de cette nature serait minime, et la probabilité de retracer le terroriste serait mince. De plus, les tabous entourant l'utilisation d'agents biologiques seraient vraisemblablement amoindris si la population n'en constitue pas la cible; et les terroristes craindraient moins les représailles.
La vulnérabilité du secteur agricole trouve également ses racines dans son poids sur le plan économique et dans les dommages éventuels que pourrait causer une attaque liée au bioterrorisme. Aux États-Unis, l'agriculture compte pour environ 15 p. 100 du produit national brut, alors que les Américains ne dépensent que 10 p. 100 de chaque dollar en aliments; c'est dire que ce secteur est un élément essentiel pour la prospérité et la sécurité du pays. L'introduction de maladies aux États-Unis pourrait miner la confiance que l'opinion publique a dans les réserves alimentaires et entraîner d'importantes pertes dans le marché de consommation comme dans celui d'exportation. La contamination accidentelle à la dioxine des aliments destinés au bétail, qui s'est produite en Belgique en janvier 1999, est révélatrice. En six mois, les produits alimentaires de ce pays ont été bannis dans toute l'Europe, le secteur a subi des pertes indescriptibles et le scandale subséquent a contribué à la défaite électorale du gouvernement. Aux États-Unis, les conséquences d'un incident semblable, qu'il soit délibéré ou non, pourraient être bien pires.
Dans une large mesure, les autorités américaines disposent déjà d'outils pour faire face à la menace d'attaques biologiques contre des cibles agricoles. Au fil des ans, des phytopathologistes, des vétérinaires et des inspecteurs gouvernementaux ont contribué au succès américain en matière de prévention et d'isolation d'épidémies. Cela dit, il semblerait qu'une éventuelle attaque biologique délibérée nécessiterait une coordination entre les organismes gouvernementaux, les universités et l'industrie bien meilleure que celle qui existe actuelement; de plus, les efforts destinés à formuler une réaction intégrée au niveau fédéral sont lents à produire des résultats.
Au début de 1999, une unité antiterroriste a été mise en place au sein de l'Agricultural Research Service de l'USDA. Ses principaux objectifs sont la prévention du terrorisme, l'amélioration de l'état de préparation national et la protection des biens vulnérables, y compris les réserves alimentaires. Au même moment, l'USDA est devenu membre du National Security Council Weapons of Mass Destruction Preparedness Group, et il a accepté la présidence d'un sous-groupe qui traite de questions entourant la protection alimentaire et agricole. En automne de cette année-là, on a annoncé des projets d'agrandissement du Plum Island Animal Disease Center de New York, afin qu'on puisse y étudier les agents pathogènes des animaux qui peuvent être mortels pour l'homme comme pour d'autres espèces animales. Pour sa part, le Department of Defense (DoD) tire profit de l'appui donné par le passé à l'USDA dans les domaines de la recherche, de la gestion des conséquences et de la non-prolifération. En août 1999, le DoD et l'USDA ont dirigé un exercice regroupant de nombreux organismes et portant sur un scénario dans lequel des terroristes avaient délibérément contaminé les réserves alimentaires du pays à l'aide d'un agent biologique.
Parmi d'autres propositions visant à améliorer la capacité de réaction, on compte l'amélioration des services de renseignement, de nouvelles méthodes pour différencier les événements déclenchés naturellement et les contaminations délibérées, un système mondial destiné à dépister et caractériser les agents pathogènes et à diagnostiquer et signaler rapidement les épidémies, et finalement, une amélioration de la capacité de surveillance des spécialistes du domaine. Au fur et à mesure que la sensibilisation à la menace posée par le bioterrorisme augmentera au cours des années à venir, ce genre d'initiative gagnera probablement des appuis.
LE TERRORISME BIOLOGIQUE AGRICOLE :
L'expérience américaine
I. Introduction
Depuis quelques années, les États-Unis sont de plus en plus préoccupés par les menaces auxquelles sont exposés la population et les biens sur leur territoire. Un sentiment de vulnérabilité a incité les autorités américaines à tirer la sonnette d'alarme du fait des possibilités d'attaques terroristes, lesquelles incluent le recours à des armes de destruction massive. Depuis la fin de la guerre froide, les autorités ont mis l'accent sur la fuite des cerveaux et des produits reliés aux armes nucléaires, biologiques et chimiques provenant de l'ex-Union soviétique, ainsi que sur le désir de certains groupes d'extrémistes de mettre la main sur ces ressources. Des initiatives sont en cours, à tous les échelons des pouvoirs publics, en vue d'améliorer le degré de préparation à ces menaces sur le territoire national et de mettre sur pied des contre-mesures efficaces.
Les menaces terroristes visant des cibles agricoles ont fait l'objet d'une moindre attention, en dépit de l'importance stratégique et de la vulnérabilité reconnue de celles-ci. Les attitudes changent cependant et les interlocuteurs des secteurs public et privé estiment désormais que les cultures, le bétail et les ressources alimentaires du pays sont exposés à des attaques biologiques. L'utilisation délibérée de maladies pour attaquer les végétaux et les animaux pourrait en fait s'avérer plus facile à réaliser et plus difficile à retracer que le terrorisme biologique visant les humains. De plus, étant donné que la production agricole moderne est fortement concentrée, une attaque serait difficile à contenir, d'où des pertes économiques importantes et des pénuries possibles d'aliments. Les recherches ont également montré que la plupart des pays considérés comme ayant mis en œuvre des programmes de guerre biologique au cours de ce siècle ont également procédé à la mise au point d'agents pathogènes visant précisément les cultures et le bétail.
Bref, le terrorisme biologique agricole est devenu une préoccupation importante en matière de sécurité aux États-Unis. Ce document vise à fournir des précisions sur cette menace, tout d'abord, en étudiant les programmes réalisés pars le passé ainsi que les cas récents de contamination; en second lieu, en évaluant le degré de vulnérabilité des cibles agricoles et les conséquences économiques du terrorisme biologique visant les cultures et le bétail; enfin, en analysant les mesures prises à l'échelon fédéral pour contrôler ces risques ainsi qu'en mettant en évidence les lacunes actuelles.
II. Menaces et vulnérabilité
L'idée selon laquelle on pourrait utiliser des armes biologiques pour attaquer les cultures, le bétail ou les ressources alimentaires d'un pays n'est pas nouvelle. Dans les temps anciens, des cadavres d'animaux étaient jetés dans les sources d'eau potable de l'ennemi, afin de les contaminer. Les historiens ont soutenu qu'au cours de la Première Guerre mondiale, des agents allemands avaient infesté les bovins et les chevaux des élevages américains à la morve et au charbon, avant leur embarquement à destination des alliés européens de l'Amérique. À partir des années 20, la France, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et le Japon ont entrepris des recherches sur la guerre biologique, qui incluaient un volet agricole, efforts qui se sont poursuivis durant la Seconde Guerre mondiale. Les maladies des végétaux et des animaux firent l'objet d'études, tout comme les insectes nuisibles et les herbicides. Les archives indiquent que si l'Allemagne n'avait pas capitulé, elle prévoyait d'infester la récolte de pommes de terre britannique de 1945, au moyen de doryphores. Le Japon commençait à se constituer des réserves de spores de la rouille des céréales et il aurait vraisemblablement attaqué les champs de blé américains et soviétiques si la guerre s'était poursuivie. De son côté, la Grande-Bretagne utilisa des herbicides contre les insurgés communistes de Malaisie durant les années 50, créant un précédent annonçant l'utilisation intensive d'agents défoliants chimiques par les États-Unis au Viêt-nam.
À la fin des années 30, en prévision de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis commencèrent à effectuer des recherches sur des armes biologiques anticulture dans le cadre de leurs activités générales de mobilisation. Dès 1944, plus de 3 500 personnes se consacraient aux recherches sur la guerre biologique visant les populations humaines, les animaux et les cultures. Un certain nombre d'agents firent l'objet d'essais sur le terrain, même si seulement une poignée furent stockés. On accordait alors la priorité aux agents pathogènes susceptibles de réduire de manière importante la production de blé, d'orge et de riz. Plusieurs méthodes d'introduction des agents firent l'objet d'enquêtes, ce qui incluait les munitions en grappes, les bombes « volantes » et les pigeons voyageurs. Les États-Unis mirent au point également des modèles très élaborés, qui mesuraient l'efficacité des attaques visant les cultures sur des ennemis potentiels. Dans les faits, ces armes ne furent jamais utilisées, mais il semble que les États-Unis auraient envisagé d'attaquer les rizières japonaises durant les derniers mois de la guerre. Les recherches se sont poursuivies au cours des premières années de la guerre froide, motivées par le sentiment qu'il était nécessaire de contrebalancer les programmes soviétiques et chinois grâce à une politique de dissuasion quelconque. En 1969, le président Nixon renonçait aux programmes américains de guerre biologique offensive et tous les stocks (1) furent détruits par la suite.
Le programme de guerre biologique de l'ex-Union Soviétique commença en 1928, sous la direction de l'Armée rouge. À son apogée, le programme mobilisait environ 65 000 militaires et civils travaillant dans environ 55 instituts et centres de production. Au sein de ce gigantesque complexe, le ministère de l'Agriculture supervisait des effectifs de 10 000 personnes, qui se consacraient aux armes biologiques visant les céréales et le bétail. On recensait des installations clés à Vladimir, Sverdlovsk et Novosibirsk, en Russie, et à Gvardeyskiy, au Kazakhstan. Les recherches portèrent sur un éventail de maladies du bétail, de la volaille et des végétaux. Parmi les agents étudiés figuraient le virus Rinderpest, la fièvre porcine africaine, la variole ovine, la fièvre catarrhale du mouton et la rouille des céréales. Officiellement, les travaux reliés aux armes prirent fin à la suite du décret d'avril 1992 du président Eltsine abolissant le programme de guerre biologique de la Russie. En 1999, le Center for Nonproliferation Studies de Monterey signalait que l'usine de Gvardeyskiy se consacrait aujourd'hui à la mise au point de vaccins et d'outils de diagnostic pour la lutte contre les virus des animaux et des végétaux, et qu'elle recevait un financement des États-Unis dans le cadre de divers programmes de non-prolifération.
Grâce aux preuves dévoilées par la Commission spéciale des Nations unies sur l'Irak (CSNU), les efforts déployés par l'Irak pour mettre au point des armes biologiques anticulture furent mis à jour pour la première fois en 1995. Par opposition à d'autres volets des programmes d'armes de destruction massive de l'Irak, qui avaient une valeur dissuasive ou offensive, la CSNU qualifia les recherches menées par l'Irak sur les agents pathogènes des plantes, de tentative pour acquérir une arme «économique» contre les États voisins. Le charbon du blé, qui réduit le rendement et produit un gaz inflammable susceptible de provoquer l'explosion du matériel de culture, revêtait un intérêt particulier. L'Iran, où le blé constitue une denrée essentielle, figurait vraisemblablement sur la liste des cibles potentielles prioritaires. Il est possible que les efforts déployés par l'Irak pour acquérir une capacité de lutte anticulture aient repris depuis la fin des inspections de la CSNU en décembre 1998.
Durant des décennies, Cuba a accusé les États-Unis d'utiliser des armes biologiques pour attaquer sa population, son élevage et ses cultures. En 1996, la Havane demandait à l'ONU d'enquêter sur ses allégations, selon lesquelles un avion-pulvérisateur avait introduit un insecte nuisible appelé thrips du palmier sur l'île. Huit des dix pays faisant partie d'une commission d'examen de l'ONU conclurent que les accusations étaient fausses ou que les preuves étaient insuffisantes, alors que la Chine et le Viêt-nam ne purent tirer aucune conclusion à partir des preuves présentées. En fait, Cuba n'a jamais été en mesure de prouver ses allégations et tous les scientifiques cubains, sauf un, ont évité d'appuyer publiquement les plaintes du gouvernement. Une étude récente effectuée par un analyste indépendant des États-Unis attribue les poussées de la maladie à Cuba soit à la nature soit aux erreurs des politiques gouvernementales. Il attribue aux mauvaises pratiques de fabrication et aux lacunes du contrôle de la qualité l'épidémie de la maladie de Newcastle dont a été victime l'industrie de la volaille cubaine en 1962. Dans la même veine, en 1979, Cuba plantait une variété de canne à sucre particulièrement vulnérable à la maladie de la rouille fongique, qui connut une flambée au cours de la même année (2).
Les accusations selon lesquelles les États-Unis auraient employé des armes biologiques contre Cuba ne sont pas crédibles. Cela dit, le département de l'Agriculture américain (USDA) a financé des recherches consacrées aux agents pathogènes des végétaux qui, selon certains, ne seraient pas à caractère totalement « défensif », plus précisément à un champignon qui tue les plants de marijuana et de coca, sans toutefois nuire au reste de la végétation. En 1999, une proposition de pulvérisation de cultures illicites dans la région des Everglades, en Floride, même dans des conditions contrôlées, suscita une controverse notable, les critiques qualifiant l'idée de guerre biologique et avertissant que le champignon pourrait connaître une mutation et attaquer d'autres espèces végétales. Il n'existe à l'heure actuelle aucun plan d'essais sur le terrain. Pendant ce temps, l'USDA continue à collaborer avec les Nations unies à un programme d'utilisation de champignons pour contrôler la croissance des plants d'opium en Asie centrale. L'USDA essaie de convaincre des pays producteurs de coca d'Amérique du Sud de lui permettre d'effectuer des expériences réelles sur place. Les sceptiques doutent que les diverses souches de champignons soient efficaces une fois libérées dans des écosystèmes complexes, alors que d'autres se disent inquiets qu'une telle intervention n'établisse un précédent dangereux, en tant que violation possible de la Convention sur les armes biologiques et à toxines (si des agents pathogènes étaient employés sans le consentement du pays hôte) (3) et du fait du transfert de connaissances précieuses à ceux qui seraient enclins à se livrer à une guerre biologique contre des cultures légitimes.
Les préoccupations récentes suscitées par l'utilisation d'armes biologiques contre les cultures, le bétail et les ressources alimentaires par des terroristes sont motivées par le souci croissant des États-Unis de défendre la « mère patrie » contre des menaces non conventionnelles. Ces inquiétudes reposent sur trois volets essentiels : un nombre limité de cas réels de contamination et de canulars reliés à des groupes terroristes, un consensus au sein du monde de l'agriculture selon lequel le secteur est vulnérable, et l'importance de l'agriculture pour l'économie américaine et la sécurité de la nation en général.
Depuis le milieu des années 70, plusieurs groupes terroristes basés à l'étranger ont tenté ou menacé de contaminer les exportations alimentaires destinées à des consommateurs nord-américains et européens. Les dossiers les plus célèbres incluent l'altération d'agrumes d'Israël au moyen de mercure liquide à la fin des années 1970 et la découverte de traces de cyanure dans des raisins chiliens en 1989. Dans chacun de ces cas, les incidents ont mené à une destruction ou à un retrait de la vente au détail de ces produits, qu'il soit ou non prouvé que la contamination avait réellement eu lieu. Des groupes de défense des droits des animaux en Angleterre, aux États-Unis et au Canada ont également été impliqués dans des contaminations reliées aux aliments, avec pour conséquence une fois de plus des perturbations économiques importantes, mais aucun cas de blessures (4).
Il existe deux cas confirmés de contamination délibérée des aliments au moyen d'agents biologiques aux États-Unis. En 1984, le Rajneeshee, une secte religieuse basée en Oregon, déposa des cultures de salmonelle dans les comptoirs à salade de dix restaurants, afin de rendre des électeurs incapables de voter lors d'une élection locale imminente. Environ 750 personnes signalèrent souffrir de maux et furent traitées pour une intoxication alimentaire. En 1996, un employé d'un établissement sanitaire de Dallas infectait délibérément des collègues à la Shigella dysenteriae, une souche rare de bactéries qu'on trouve généralement et seulement dans les pays en développement, en leur offrant des aliments contaminés. Aucun décès ne fut constaté, mais 13 personnes souffrirent de graves diarrhées.
Dans le cadre des enquêtes réalisées par le bureau du vérificateur général des États-Unis (GAO), les agents fédéraux d'application de la loi révélèrent trois cas supplémentaires de menaces de contamination des aliments. En mars 1997, un employé mécontent d'une usine d'embouteillage déclara avoir altéré une boisson gazeuse. Quelques jours plus tard, on concluait que la menace était un canular. En décembre 1998, la police reçut une note indiquant qu'un groupe terroriste prévoyait de contaminer de la viande dans une usine d'abattage et de transformation au moyen d'un agent biologique. La menace déclencha une fouille méticuleuse de l'usine et des entrepôts connexes. La distribution des produits de l'entreprise fut interrompue pendant trois jours. Aucune preuve de sabotage ne fut trouvée. En mars 1999, un troisième cas de présumée contamination visant cette fois du lait fut communiqué au département de l'Agriculture d'un État. Douze heures plus tard, on confirmait qu'il s'agissait d'un canular (5).
La majorité des sites agricoles des États-Unis n'est pas protégée. Témoignant devant le Senate Armed Forces Committee [commission des forces armées du Sénat], en octobre 1999, le président de la Kansas State University, Jon Wefald, qualifiait les cultures et l'élevage de cibles « vulnérables », non seulement du fait de l'absence de sécurité protégeant les pâturages et les champs de blé du pays, mais encore en raison de la nature des actes terroristes concernés. Pour se procurer des matières infectieuses, il pourrait suffire de visiter une exploitation agricole et d'obtenir un échantillon dans une région du monde où la maladie est endémique. De plus, une attaque ne nécessiterait aucun système perfectionné de propagation. Dans son discours auprès du même comité, le professeur Corrie Brown, chef du service de pathologie vétérinaire de l'University of Georgia, alléguait qu'un terroriste pourrait attaquer des populations animales importantes en jetant des déjections animales contaminées dans une mangeoire, ou en faisant pénétrer des fluides contenant la maladie dans une soupape d'admission d'air d'un établissement. Étant donné que la plupart des maladies animales et végétales ne menacent pas la santé des humains, le risque serait minime pour l'auteur du forfait, tout comme la probabilité que le terroriste puisse être un jour identifié. Enfin, le tabou qui entoure l'utilisation d'agents biologiques aurait vraisemblablement un effet dissuasif moindre si le terroriste visait des animaux ou des plantes plutôt que des humains. De manière similaire, dans l'hypothèse où une attaque ne provoquerait aucune perte directe de vies humaines, le terroriste pourrait considérer le risque de représailles comme étant faible (6).
L'évolution de l'agriculture aux États-Unis constitue un autre facteur de vulnérabilité du secteur. Le phytopathologiste de l'Ohio State University, Larry Madden, a décrit avec quelle facilité une maladie pourrait être introduite dans les récoltes du pays. Seul un faible volume de semences infectées serait requis pour causer des dommages, et il est peu probable que les services d'inspection gouvernementaux, qui ont été affaiblis du fait des réductions d'effectifs, soient en mesure de les déceler. Parallèlement, les scientifiques découvrent des agents pathogènes des végétaux nouveaux et émergents à l'extérieur de l'Amérique du Nord. Comme c'est le cas pour les humains, les déplacements internationaux de matériel végétal et l'affaiblissement des obstacles au commerce accroissent la possibilité de propagation de maladies inconnues au-delà des frontières. L'utilisation croissante de récoltes transgéniques a permis l'introduction de virus dans de nouveaux milieux végétatifs, ainsi que leur mutation subséquente. La proportion de semences étrangères utilisées aux États-Unis aujourd'hui est plus élevée, ce qui accroît les risques pour les exploitations agricoles américaines. Il est tout aussi inquiétant de constater que, même si l'Animal and Plant Health Inspection Service (APHIS) [Service d'inspection de la santé des animaux et des végétaux de l'USDA] a pour mandat de vérifier la présence d'agents pathogènes des végétaux sur les semences, il le fait rarement, se limitant pratiquement à vérifier la présence d'insectes (7).
Quant à l'élevage des animaux, son intensité soulève des risques uniques du point de vue du terrorisme biologique. Le nombre d'exploitations a diminué au cours des dernières années, alors que le nombre d'animaux par activité augmentait. Il est courant de voir des élevages porcins de 10 000 bêtes, et des parcs d'engraissement de 300 000 bovins simultanément. Il n'est pas rare de voir des élevages de poulets où sont concentrés 20 000 volatiles. Compte tenu de l'importance de ces concentrations, l'introduction de la maladie pourrait se traduire par une propagation très rapide d'une épidémie. Le contrôle d'une telle flambée de maladie s'avérerait extrêmement difficile. La mobilité des populations animales constitue également un facteur de risque. Généralement, les veaux naissent dans des pâturages, puis sont transportés jusqu'à un parc d'engraissement, avant d'être conduits à l'abattoir. La manipulation génétique des animaux reproducteurs et des œufs se fait à l'échelle de la planète. Un animal malade pourrait propager une infection à chacun des arrêts de son cycle de transport. Comme c'est le cas pour les agents pathogènes des végétaux, la capacité des fonctionnaires américains de reconnaître les maladies animales étrangères a diminué, en raison d'une formation inadéquate des vétérinaires et de la réduction des programmes d'inspection (8).
Le troisième volet de la vulnérabilité de l'agriculture a trait au pouvoir économique du secteur, ainsi qu'aux dommages potentiels provoqués par un acte de terrorisme biologique. L'agriculture américaine est une industrie d'une valeur de 1 trillion de dollars, qui génère environ 22 millions d'emplois et 140 milliards de dollars par année en exportations, tout en réalisant environ 15 % du produit national brut. Les États-Unis produisent plus de maïs et de soja que tout autre pays dans le monde, et ils alimentent 30 % de la population mondiale. Les Américains ne consacrent que 10 cents sur chaque dollar à l'alimentation, facteur essentiel à la prospérité et à la sécurité du pays. L'introduction d'une maladie aux États-Unis pourrait saper la confiance du public dans l'approvisionnement en aliments et provoquer des pertes importantes tant sur le marché de la consommation qu'à l'exportation. Une flambée de grippe aviaire en 1983-1984 a nécessité des déboursés de 63 millions de dollars du fédéral pour l'éradication et la décontamination, même si seuls la Pennsylvanie et les États voisins étaient touchés. Les prix de la volaille ont augmenté de 349 millions de dollars sur une période de six mois. Si tous les poulets infectés n'avaient pas été éliminés, on estime que l'épidémie aurait pu entraîner des coûts de 5,6 milliards de dollars, sous forme d'augmentation des prix de la viande et des œufs.
Des cas plus récents de flambées de maladies confirment cette vulnérabilité de l'agriculture américaine aux attaques biologiques. Les coûts de nettoyage, de désinfection et d'élimination des carcasses reliés aux efforts déployés par l'Italie pour contenir une flambée de fièvre aphteuse en 1993 se sont limités à 3,2 millions de dollars. Les pertes indirectes reliées à la perturbation du commerce international se sont toutefois chiffrées à environ 120 millions de dollars. Depuis 1996, les industries reliées à l'élevage porcin de Taïwan ont assumé des pertes de 7 milliards de dollars du fait d'une flambée de fièvre aphteuse, qui a justifié l'abattage de 4 millions de porcs. De son côté, l'encéphalopathie bovine spongiforme (EBS) ou « maladie de la vache folle » a porté un coup très dur à l'industrie bovine britannique à la fin des années 90, situation aggravée par les révélations selon lesquelles la consommation de viande contaminée à l'EBS pouvait provoquer l'apparition de la maladie de Creutzfeld-Jacob chez les humains. L'abattage de tous les bovins de moins de 30 mois, rendu obligatoire par le gouvernement, soit environ 1,35 million de bêtes, a coûté plus de 4 milliards de dollars jusqu'ici (9). Les exportations de bœuf britannique pourraient ne jamais retrouver leur niveau d'avant la crise.
La contamination aux dioxines d'aliments pour animaux en Belgique au cours des dernières années constitue peut-être l'exemple le plus grave de contamination de ressources alimentaires. En janvier 1999, la dioxine polluait un réservoir d'entreposage de graisses et d'huiles d'une usine de transformation située à proximité de Gand. La graisse fut ensuite vendue pour être incorporée à des aliments pour animaux, et elle finit par se retrouver dans des élevages de bétail, de porc et de volaille, dont on évalue le nombre à 1 400. Après l'incident initial, il s'écoula quatre mois avant que les autorités belges ne confirment au public que de la viande, des oeufs et d'autres produits alimentaires contenaient le produit chimique, qui est réputé causer le cancer chez certains animaux. En juin 1999, la Belgique, le Portugal et la France faisaient retirer des magasins la totalité du beurre, du fromage, du porc, du boeuf et de la volaille produits en Belgique, alors que la plupart des autres pays interdisaient les importations d'aliments de Belgique. À l'époque, les fonctionnaires de l'Union européenne estimaient les dommages pour l'industrie alimentaire belge à 767 millions de dollars, chiffre qui devrait avoir augmenté très sensiblement depuis lors. Le scandale qui en découla provoqua la démission de deux ministres et contribua à la défaite du parti au pouvoir lors des élections subséquentes (10). La contamination était accidentelle; cela dit, ce cas prouve la vulnérabilité du bétail face au terrorisme, et la facilité avec laquelle les ressources alimentaires d'un pays peuvent être altérées.
III. Interventions actuelles et proposées
Dans une large mesure, les outils dont ont besoin les autorités américaines pour faire face aux menaces d'attaque biologique visant des cibles agricoles existent déjà. Au fil du temps, les phytopathologistes, les vétérinaires et les inspecteurs du gouvernement ont contribué au succès remporté par l'Amérique sur le front de la prévention et du contrôle des flambées de maladies animales et végétales. Les chercheurs mettent au point des hybrides résistant aux agents pathogènes de diverses cultures, ainsi que des vaccins et des méthodes de pasteurisation améliorées. La Foreign Disease-Weed Science Research Unit [Unité de recherche scientifique en malherbologie de l'USDA] cherche à mettre au point des techniques de détection et d'identification rapide d'agents pathogènes des cultures nouveaux et en émergence. L'unité vétérinaire de l'APHIS supervise des programmes similaires visant des maladies animales étrangères et elle a réalisé plusieurs campagnes d'éradication très publicisées depuis les années 60.
Même si la coopération entre les groupes de l'industrie, les universitaires et les pouvoirs publics en vue de combattre les maladies animales et végétales est désormais bien implantée, le potentiel d'attaques biologiques délibérées exige une plus grande coordination que cela n'a été le cas jusqu'à l'heure actuelle. Créé par l'administration Clinton en février 1999, l'Invasive Species Council [Conseil sur les espèces invasives], sans être spécifiquement un organisme antiterroriste, a pour mandat de traiter l'incidence économique et environnementale croissante des parasites des animaux et des végétaux basés à l'étranger. Le National Animal Health Emergency Management System [Système national de gestion des urgences en matière de santé des animaux], un organisme conjoint gouvernement-industrie, constitue un autre exemple de renforcement des liens entre les divers intervenants. De son côté, le Food Safety and Inspection Service [Service d'inspection et de sécurité des aliments] de l'USDA a créé une équipe d'intervention rapide chargée de coordonner la réaction du Ministère en cas d'urgence alimentaire et de collaborer avec les autres organismes à la protection du consommateur et aux enquêtes sur les incidents.
En dépit de certaines mesures initiales prises en vue d'une amélioration de la coordination et d'un renforcement de la sensibilisation aux risques soulevés par le terrorisme biologique agricole, les efforts visant à mettre sur pied une réponse intégrée à l'échelon fédéral ont été lents à se dessiner. Même si les États-Unis ont centré leur attention sur la vulnérabilité desdites «infrastructures critiques» aux attaques terroristes depuis le milieu des années 90, le secteur agricole ne faisait pas partie de la liste originale des biens essentiels considérés comme nécessitant une protection, et les représentants de l'USDA n'ont commencé à participer officiellement à des initiatives interorganismes qu'en avril 1999.
Plusieurs mois auparavant, galvanisé par des rapports selon lesquels l'Iran courtisait des scientifiques russes actifs dans le cadre du volet agricole du programme de guerre biologique de l'ex-Union soviétique, le président Clinton ordonnait le lancement de programmes consacrés à la défense contre les attaques visant les végétaux et les animaux du pays. Une unité de lutte contre le terrorisme fut créée au sein de l'Agricultural Research Service [Service de recherche agricole] de l'USDA, sous la direction générale du Counterterrorism Policy Council [Conseil des politiques de lutte contre le terrorisme], composé de fonctionnaires du Ministère. Le Conseil a fait de la prévention du terrorisme, de l'amélioration du degré de préparation nationale et de la protection des actifs critiques, ce qui inclut les ressources alimentaires, ses principaux objectifs. Au début de 1999, l'USDA est devenu membre du National Security Council Weapons of Mass Destruction Preparedness Group [Groupe de préparation aux armes de destruction massive du Conseil national de sécurité] et assumé la présidence d'un sous-groupe consacré aux problèmes de protection des aliments et de l'agriculture. Au cours de l'automne, des plans de modernisation du Plum Island Animal Disease Center [Centre des maladies animales de Plum Island, de New York] furent annoncés, de manière à permettre l'étude d'agents pathogènes des animaux mortels pour les humains, ainsi que pour d'autres animaux.
L'administration cherche à modifier la vocation des installations de Plum Island qui passeraient de laboratoire de niveau 3 de biosécurité à laboratoire de niveau 4 (11). Les États-Unis exploitent quatre laboratoires de niveau 4, mais aucun ne se consacre à l'heure actuelle aux maladies qui affectent des végétaux ou des animaux (12). Depuis 1954, Plum Island a effectué des recherches sur des virus comme la fièvre aphteuse et la fièvre porcine africaine, mis au point de nouveaux vaccins et de nouvelles méthodes de diagnostic et effectué des contrôles sur des animaux en quarantaine. Du fait des améliorations proposées, les scientifiques de Plum Island seront autorisés à travailler sur des agents pathogènes comme le charbon bactérien, le virus d'Ebola et le virus porcin Nipah, qui a tué plus de 100 villageois malaisiens (et dévasté l'industrie porcine du pays) durant une flambée récente de la maladie. L'administration prévoit de consacrer 340 millions de dollars au cours de l'exercice financier 2001 aux changements des laboratoires de Plum Island et d'autres installations de niveau 3 de l'USDA à Ames, dans l'Iowa, et Athens, en Géorgie (13).
Depuis les années 60, le département de la Défense (DoD) a collaboré avec l'USDA à la protection des animaux et des végétaux de l'Amérique contre les maladies. En 1971, 4 000 représentants du DoD ont fourni une aide à l'USDA lors d'une flambée endémique de l'encéphalomyélite équine du Venezuela au Texas. Environ 140 soldats furent enrôlés pour appuyer la campagne contre la flambée de grippe aviaire de Pennsylvanie en 1983. En juin 1997, le DoD a prêté des équipements à l'USDA pour combattre la mouche méditerranéenne des fruits en Floride. En 1998, le DoD a aidé la garde nationale du Dakota du Sud à mettre sur pied des plans d'urgence en cas d'attaque biologique contre la population porcine de l'État. En 1999, l'US Army Medical Institute of Infectious Diseases [Institut médical des maladies infectieuses de l'Armée américaine] du DoD a appuyé les efforts déployés par le Center for Disease Control pour déceler la cause d'une flambée de fièvre du Nil occidental à New York.
En 1985 et 1997, le DoD et l'USDA ont signé un protocole d'entente portant respectivement sur la planification d'urgence et les recherches. En vertu de ces accords, les deux ministères ont lancé des initiatives dans des domaines comme l'intervention phytosanitaire, le soutien des laboratoires et les échanges scientifiques. Dans l'éventualité d'une attaque de terrorisme biologique contre un objectif agricole, le personnel du Veterinary Service Support [Soutien du service vétérinaire] du DoD pourrait contribuer à la quarantaine et à la destruction des animaux malades, à la sécurité de l'eau et des aliments, à la décontamination et aux enquêtes sur la flambée de la maladie. Au cours des dernières années, le service vétérinaire a effectué des évaluations détaillées de la vulnérabilité de l'eau et des aliments, et acquis une capacité de détection rapide afin de repérer des agents pathogènes d'origine alimentaire. En août 1999, le DoD et l'USDA dirigeaient un exercice multiorganismes (14) dans le cadre duquel des terroristes contaminaient de manière délibérée les ressources alimentaires du pays au moyen d'un agent biologique.
L'une des autres priorités de la collaboration USDA/DoD consiste à réduire le risque soulevé par la fuite d'expertise de l'ex-Union Soviétique en matière de guerre biologique anticulture et antibétail. Au cours des dernières années, des représentants du Ministère ont visité des instituts de Russie et du Kazakhstan qui se consacraient à des recherches en rapport avec les armes, et ils ont reçu de nombreuses propositions de travail de civils. Même si le financement est limité, plusieurs projets sont menés au Centre international des sciences et de la technologie basé à Moscou, sous l'égide de divers programmes de l'USDA, du DoD et du département d'État. Hormis l'objectif central qui consiste à fournir des emplois rémunérés aux scientifiques dans le cadre de projets pacifiques, les programmes américains de réduction de la menace visent à améliorer la sécurité matérielle dans les sites de recherche, à recenser les stocks importants d'agents pathogènes qui subsistent depuis les années de guerre froide, et à caractériser d'un point de vue génétique les souches de maladies des animaux et des cultures qui ont été mises au point durant cette période. Une étape importante sera atteinte en mai 2000, lorsque le démantèlement de l'ancienne usine de production de charbon bactérien de Stepnogorsk, au Kazakhstan, sera terminé.
En parallèle avec le renforcement de la sensibilisation aux menaces de terrorisme biologique agricole, des propositions d'amélioration des capacités d'intervention existantes ont été formulées. Étant donné que la possibilité d'attaques visant les récoltes et le bétail n'était pas jusqu'à très récemment considérée comme un problème pour la sécurité, l'amélioration des renseignements constitue une priorité évidente. Faisant état de la difficulté de faire la distinction entre les événements qui se produisent naturellement et la contamination délibérée, les phytopathologistes réclament de nouvelles façons d'identifier les pathogènes qui constituent la menace la plus grave. Les critères incluraient, vraisemblablement, la facilité de leur production, de leur manipulation et de leur livraison, leur capacité de se propager et de survivre, leur vulnérabilité à la détection et au contrôle, et les dommages potentiels qu'ils peuvent causer (15). Les scientifiques estiment également qu'il sera nécessaire de posséder un système planétaire qui effectue le suivi et la caractérisation des agents pathogènes, tout en diagnostiquant et en déclarant rapidement les épidémies. La capacité de localiser l'origine géographique d'un agent pathogène, vraisemblablement au moyen d'une structure moléculaire témoin, faciliterait grandement la lutte contre ces agents. Ce serait également le cas de l'amélioration de la capacité de surveillance des premiers répondants. Plus tôt les experts dans le domaine pourront établir qu'une attaque a eu lieu, plus tôt des mesures correctives pourront être prises. Bien entendu, le contrôle approfondi des maladies végétales et animales existe déjà, mais la menace de terrorisme n'est pas au centre des priorités du monde agricole. De nouvelles initiatives pourraient donc viser à faire le lien entre les efforts locaux et nationaux, et les contrôles multilatéraux déjà en vigueur. Par exemple, les négociateurs de protocole de vérification de la CABT ont souligné les procédures à suivre dans le cadre d'une enquête type sur une épidémie de maladies végétales ou animales. L'Australia Group, qui limite le commerce des articles reliés aux armes chimiques et biologiques à double usage, a ajouté les agents pathogènes des animaux et des plantes à sa liste des articles contrôlés.
IV. Conclusion
Depuis que les recherches sur la guerre biologique ont débuté sérieusement au cours des années 20, les pays cherchant à mettre au point des armes biologiques ont également étudié les agents pathogènes visant exclusivement des objectifs agricoles. Même si officiellement, la Russie et l'Irak ont mis fin à leurs programmes, la vérification est incomplète et des doutes subsistent quant à la légitimité de tous les travaux réalisés dans les sites qui étaient anciennement consacrés aux armes. Il existe des antécédents de longue date en matière de terrorisme agricole aux États-Unis et à l'étranger, le dernier cas confirmé de contamination alimentaire au moyen d'un agent biologique ayant eu lieu en 1996. Parmi les craintes plus générales d'un terrorisme faisant appel à des armes de destruction massive, de nouvelles inquiétudes ont été soulevées à propos du terrorisme biologique agricole et de la capacité de l'Amérique de réagir dans l'éventualité d'une attaque concrète.
Compte tenu de l'importance de l'agriculture du point de vue de la sécurité et de la prospérité des États-Unis, de son statut de cible « vulnérable », et du contenu relativement faible en technologie du terrorisme biologique visant les cultures, le bétail et les ressources alimentaires, les extrémistes pourraient considérer cette forme d'attaque comme plus facile et plus sûre que le ciblage d'objectifs humains. De plus, jusqu'à tout récemment, peu d'efforts ont été déployés pour assurer spécifiquement la défense contre l'utilisation délibérée d'agents pathogènes des animaux ou des végétaux. Même si les phytopathologistes, les vétérinaires et les responsables de la réglementation ont réussi à prévenir et à contenir les flambées naturelles de maladies au fil des ans, il pourrait s'avérer plus difficile de contrer un terrorisme biologique agricole, ce qui nécessiterait une certaine coordination entre les organismes gouvernementaux et le secteur privé, coopération qui n'en est qu'à ses balbutiements. Les réductions budgétaires, l'augmentation de la dépendance à l'égard des importations étrangères de semences et de reproducteurs et le caractère intensif ainsi que l'éparpillement géographique des exploitations agricoles modernes rendent encore plus complexe la tâche de ceux qui sont chargés de contenir une épidémie provoquée par des terroristes.
Depuis le début de l'année 1999, les efforts de réponse se sont accélérés, les fonctionnaires fédéraux tentant de traduire l'amélioration de la sensibilisation à la menace par un renforcement du degré de préparation. L'USDA s'est réorganisée à l'échelon interne et elle a assumé un rôle de leadership en rapport avec la planification interorganismes visant à faire face à la perspective d'un terrorisme biologique agricole. Des modernisations des centres de recherche et l'expansion des initiatives de non-prolifération de l'ex-Union Soviétique sont également en cours. Des propositions complémentaires incluent l'amélioration des renseignements et de la surveillance des agents pathogènes des végétaux et des animaux en émergence, ainsi que de nouveaux outils pour effectuer le suivi, l'identification et le diagnostic des maladies étrangères introduites aux États-Unis. Certaines activités de contrôle pour appuyer les instruments de non-prolifération à l'échelle mondiale existent déjà, mais il convient de poursuivre les travaux afin d'effectuer le lien entre ces efforts et les capacités sur le terrain. En conclusion, au fur et à mesure que les pouvoirs publics et l'industrie s'éveillent à la menace soulevée par le terrorisme biologique agricole, les initiatives visant à le combattre vont vraisemblablement se multiplier, alimentées par l'augmentation des budgets et de la recherche.
NOTES
1. Entre 1951 et 1969, 36 000 kilogrammes de rouille de la tige du blé et, en 1966, environ 900 kilogrammes d'agents de la pyriculariose du riz. Voir Simon Whitby et Paul Rogers, « Anti-crop Biological Warfare – Implications of the Iraqi and US Programs » Defense Analysis 13 (1997):310.
2. Voir Juan O. Tamayo, « Journal rebuts Castro charge of U.S. biological warfare » Miami Herald (14 octobre 1999).
3. La CABT interdit la mise au point, la production et le stockage (mais non l'utilisation) d'agents biologiques « à des fins hostiles ou dans des conflits armés »; aussi, l'argument selon lequel l'utilisation d'agents pathogènes pour détruire des stupéfiants dans le cadre d'un effort concerté entre pays ne constituerait pas une violation de la convention.
4. Ces cas ont été cités par Thomas W. Frazier dans « The Threat of Bioterrorism to American Agriculture and Some Areas of Special Concern in Development of a Defensive Program ». Présentation au Joint American and Canadian Phytopathological Society symposium on Plant Pathology's Role in Anti-Crop Bioterrorism and Food Security [symposium conjoint de la Société canadienne de phytopathologie et de son homologue américaine sur le rôle de la phytopathologie en rapport avec la sécurité des aliments et le terrorisme biologique anticulture], Montréal, 10 août 1999.
5. Le GAO a révélé peu de détails sur l'incident que nous citons, et nous n'avons pu trouver de renseignements complémentaires. Voir le rapport GAO/RCED-00-3 du GAO, « Food Safety: Agencies Should Further Test Plans for Responding to Deliberate Contamination », octobre 1999, p. 4-5.
6. United States Senate, Committee on Armed Services, Subcommittee on Emerging Threats, témoignage du Dr Jon Wefald, président, Kansas State University et du Dr Corrie Brown, professeur et chef, Department of Pathology, College of Veterinary Medicine, University of Georgia, 27 octobre 1999.
7. Voir Steve Goldstein, « Plant scientists sound the alarm on agroterrorism » Philadelphia Inquirer (13 septembre 1999); David Lore, « Bioterrorism could infect food supply » Columbus Dispatch (9 août 1999); Vern D. Damsteegt, « New and Emerging Plant Viruses » APSnet (août-septembre 1999), site Web de l'American Phytopathological Society à l'adresse www.scisoc.org.
8. De manière paradoxale, le succès de l'élimination des maladies des populations animales et végétales imputable aux programmes de dépistage a affaibli le sentiment qu'il est nécessaire de faire preuve de vigilance et amené les fonctionnaires américains à réduire le budget annuel accordé par le gouvernement fédéral aux services vétérinaires, qui se chiffrait à 116 millions de dollars en 1999. Voir Judith Miller, « U.S. Would Use Long Island Lab to Study Food Terrorism » New York Times (22 septembre 1999).
9. Ces statistiques sont tirées de Corrie Brown, « Economic Considerations of Agricultural Diseases » dans Food and Agricultural Security: Guarding against Natural Threats and Terrorist Attacks Affecting Health, National Food Supplies, and Agricultural Economies, éd. Thomas W. Frazier and Drew C. Richardson (New York: New York Academy of Sciences, 1999).
10. Voir « Belgian dioxin scare rocks EU » Environmental New Network (11 juin 1999).
11. « Biosécurité de niveau 3 » indique que les secteurs de confinement possèdent un système de filtrage de l'air, des portes étanches et une pression d'air négative, qui évitent que des germes ne s'échappent de l'installation. Les déchets liquides sont décontaminés, alors qu'on affirme que le périmètre de l'édifice est contrôlé par des détecteurs électroniques et que les rives de l'île sont patrouillées par des navires et des hélicoptères. « Biosécurité de niveau 4 » nécessite des systèmes de confinement, de décontamination et de sécurité plus stricts, et le port par le personnel de combinaisons pressurisées, ventilées avec système de survie.
12. Les laboratoires de niveau 4 sont situés dans les National Institutes of Health de Bethesda, au Maryland, dans les Centers for Disease Control and Prevention d'Atlanta, dans le US Army Research Institute for Infectious Diseases de Fort Detrick, au Maryland, et dans de modestes installations de la Georgia State University, à Atlanta.
13. Voir l'article de Miller cité au renvoi 8; Robert Cooke, « Danger Is Their Business » (janvier 2000) à l'adresse www.lihistory.com; et David Ruppe, « Battle Over Plum Island » (20 janvier 2000) à l'adresse www.abcnews.com.
14. La Food and Drug Administration, le Center for Disease Control, le FBI, un département de l'Agriculture d'un État et des autorités sanitaires locales et de l'État, des médecins et des représentants de l'industrie locale ont également participé à cet exercice. Voir rapport du GAO GAO/RCED-00-3 cité à la note de renvoi 5, p. 7.
15. Le Dr Norm Schaad, un phytopathologiste de la Foreign Disease-Weed Science Research Unit, de l'USDA, a mis au point un système de cotation numérique qui intègre ces critères. Les agents pathogènes qui obtiennent la note la plus élevée sont considérés comme les plus susceptibles de faire partie d'un effort délibéré d'infection de cultures. Voir N.W. Schaad, J.J. Shaw, A. Vidaver, J. Leach and B.J. Erlick, « Crop Biosecurity » APSnet Feature. (septembre-octobre 1999), et le site Web de l'American Phytopathological Society à l'adressewww.scisoc.org.
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