Par une de ces nuits d'hiver
Mardi le 20 juin 2006
Être seul près d’un feu qui rayonne et pâlit tour à tour, par une de ces nuits d’hiver où les rafales du vent font crier les toits et gonflent les cheminées de bruits qui courent dans tous les sens; quand l’ombre des arbres, luttant avec le froid et monotone éclat de la lune, s’étend sur la neige comme un crêpe sur un front de vierge, est-il rien dans la vie qui approche de cette jouissance que l’on concentre et que l’on réchauffe pour ainsi dire autour de soi? Est-il une heure plus propre à la rêverie, aux tranquilles retours vers les tourmentes du passé, à la douce fréquentation de tant de fantômes chéris qui reprennent un instant leur forme réelle pour inonder l’âme avide de se retrouver et de se rajeunir par l’illusion?
Veiller aussi tard qu’on le peut, étendre les longues soirées d’hiver jusque bien avant dans la nuit et se lever ensuite avec le jour, c’est un moyen de prolonger la vie, de fixer quelques minutes son éclair rapide. D’autres diront que c’est le plus sûr moyen de l’abréger: ils se trompent. On vit double, on vit triple durant ces longues et cependant fugitives heures que l’on donne à la méditation, à la revue silencieuse des années envolées, au bienfaisant espoir de revivre plus tard dans un monde sans regrets et sans alarmes.