Tout est possible

Charles Durand

La renaissance de langues mortes comme l'étaient l'hébreu en Israël, le grec dans la Grèce longtemps dominée par les Turcs, le norvégien après des siècles de domination danoise, nous rappelle que tout est possible dans le domaine de la langue. N'est-ce pas un inquiétant aveu de faiblesse de la part des francophones que d'être les premiers responsables du déclin de leur propre langue comme ils le sont en ce moment? La responsabilité est lourde dans le cas de ceux qui «vivent au centre d'un espace où la langue française ne semble pas avoir de concurrent direct et immédiat, ils semblent avoir perdu conscience qu'ils sont les héritiers et copropriétaires d'une langue, qui n'est ce qu'elle est que par les efforts constants d'une élite, qui a réussi, sur une période de plusieurs siècles, à en faire un outil de communication puissant et parfaitement adapté aux besoins de ses utilisateurs.»

Comme dans toutes les causes, la Francophonie a ses intégristes, ses chevaliers, ses combattants, ses défaitistes, ses excités et ses "mous", ses théoriciens, ses renégats et ses indifférents. Il ne fait toutefois aucun doute que c'est les francophones, et les francophones seuls, qui détermineront le futur de leur langue et la taille de son aire de diffusion, en dépit des influences négatives extérieures qui se font sentir. Le XX` siècle a été témoin de la renaissance d'une langue morte, l'hébreu, qui n'était plus parlé depuis le IV` siècle avant J.C. La renaissance de l'hébreu en tant que langue parlée et écrite, et dont l'usage s'étend à de plus en plus de domaines à l'intérieur des frontières de l'État d'Israël, n'est pas le succès du seul travail d'Eliezer Ben-Yehuda.1 Ce tour de force est le reflet de la volonté d'un peuple. Dans le domaine de la langue, tout est possible. Rien n'est irréversible. Celui qui se plie aux tendances du moment et qui n'essaie pas de tracer son propre chemin ne laisse jamais son nom dans l'Histoire. Celui qui laisse le hasard et les forces extérieures décider de son sort est voué à l'extinction. Les gran­des civilisations n'attendent pas les résultats des sondages d'opinion dans le reste du monde pour définir ce qu'elles veulent être.


Les francophones, plus particulièrement ceux qui vivent au centre d'un espace où la langue française ne semble pas avoir de concurrent direct et immédiat, semblent avoir perdu con­science qu'ils sont les héritiers et copropriétaires d'une langue, qui n'est ce qu'elle est que par les efforts constants d'une élite, qui a réussi, sur une période de plusieurs siècles, a en faire un outil de communication puissant et parfaitement adapté aux besoins de ses utilisateurs. Cet outil, qui leur donne accès à une culture commune, leur procure également les points d'ancrage et les références nécessaires pour assurer le développement et l'épanouissement des individus dans la liberté et dans l'indépendance de nations ombrageuses et impérialistes. De plus, plus particulièrement pour la France, comme le souligne Dominique Gallet, sa langue, qu'elle partage avec plus de quarante peuples sur tous les continents, constitue un des fondements mêmes de son rôle international. Nul n'oublie le poids des chefs d'État d'Afrique francophone, en 1993, dans la négociation de l'exception culturelle française qui a été incluse dans les accords du GAT.
Les problèmes affectant la langue française aujourd'hui ont un impact négatif sur la diffusion des éditions de langue française, non seulement à l'étranger, mais aussi dans les pays francophones, et plus particulièrement comme nous l'avons vu, dans le domaine de l'édition scientifique. Dans les zones géographiques ou dans des spécialités où le français est en concurrence directe avec l'anglais, les problèmes affectant le français entraînent une paupérisation des auteurs et des éditeurs, des librairies et des bibliothèques, et par voie de conséquence, un appauvrissement général de la qualité des informations disponibles en français. L'avènement des nouvelles technologies de l'information n'y changera rien. La prise de conscience de ce phénomène est importante pour les populations francophones.

1-Ben-Yehuda (1858 - 1922). Initiateur du grand dictionnaire de la ­langue hébraïque ancienne et moderne. Il a enrichi l'hébreu de plus de 4 000 mots nouveaux et y a apporté des innovations grammaticales. Jusqu'à sa renaissance récente, l'hébreu n'était utilisé que dans le cadre des services religieux judaïques.

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