Les paradoxes de la relativité

Jacques Dufresne
Le temps existe-t-il en soi?
Au fur et à mesure que la physique et l'astronomie progressent, on s'éloigne d'une part du témoignage des sens et d'autre part des figures parfaites avec lesquelles on est familier et qui, pour cette raison, facilitent la compréhension des phénomènes. Pour se faire une représentation du monde et des lois qui le gouvernent, on dépend de plus en plus de constructions abstraites. À partir d'Einstein, on en vient même à trouver suspects les énoncés que l'on conmprend, ou plutôt que l'on croit comprendre. Si je crois comprendre, ce doit être que, sans le savoir, j'ai interprété à l'aide d'images dépassées des raisonnements qui ne sont pleinement intelligibles qu'en termes de mathématiques avancées. Une telle science est une école de détachement. Ne vous fiez pas à vos représentations semble-t-elle nous dire constamment, elles sont toujours fausses.

    Voici deux exemples du détachement auquel nous oblige la relativité restreinte.

    Rien ne peut dépasser la vitesse de la lumière

    Vous êtes au coin d'une rue. Un véhicule A vient vers vous du nord au sud. Un véhicule B roule de l'ouest vers l'est. Une collision est imminente. Maintenant, imaginez que ces deux véhicules ont atteint la vitesse de la lumière.

    Comme la lumière réfléchie par le véhicule A devrait s'ajouter à la vitesse propre du véhicule, puisqu'elle est de même direction, vous devriez donc voir le véhicule A appliquer les freins ou tenter une manoeuvre d'évitement alors que vous ne voyez pas le véhicule B puisque sa vitesse propre ne s'ajoute pas à celle de la lumière. Vous verriez donc tout d'abord le véhicule A et plus tard le véhicule B alors que les deux conducteurs tentent de s'éviter. Tout ceci est absurde et démontre bien qu'il est impossible d'ajouter à la vitesse de la lumière.

    «Le temps, en effet, c'est quoi? Allez donc fournir sur ce point une explication facile et brève! Allez, pour en dire le moindre mot, saisir la chose, ne fût-ce qu'en pensée!»1

    Le temps compressible

    Un vaisseau spatial quitte la terre pour une étoile située à 1000 années-lumière. Le vaisseau accélère jusqu'à ce qu'au bout de cinq ans et demi (selon le temps mesuré à bord du vaisseau), il ait atteint une vitesse égale à 99. 9999% de la vitesse de la lumière. Il voyage alors à cette vitesse jusqu'à destination. Combien d'années lui faudra-t-il alors pour atteindre l'étoile? Eh bien non, la réponse n'est pas à peu près 994. 5 années terrestres. Il lui faudra cinq ans et demi en fait pour atteindre l'étoile. Le voyage aura duré onze ans. Mais pendant ce temps, il se sera écoulé mille ans sur terre. Imaginons que le vaisseau spatial revienne sur terre avec les mêmes données de vitesse. Vingt-deux ans auront passé pour les voyageurs alors qu'ils se retrouveront sur terre deux mille ans après leur date de départ!2

    Le voyageur dans le vaisseau ne s'apercevrait nullement de la contraction du temps. Tout ce qui est rythme en lui et autour de lui, y compris le rythme cardiaque, ralentirait à mesure que la vitesse s'accroîtrait. Il serait toutefois impossible de vérifier la chose dans le vaisseau même puisque la montre dont notre voyageur se servirait aurait elle-même ralenti.

    Le terrien conclura évidemment que l'horloge du voyageur a retardé par rapport à la sienne, mais le plus extraordinaire, c'est que le voyageur aura la même impression; selon lui, ce sera l'horloge du terrien qui aura retardé par rapport à la sienne! On peut illustrer ces impressions par un fait courant; deux personnes, dos à dos, s'éloignent l'une de l'autre. Après quelques minutes, elles se retournent et se regardent. Chacune apparaîtra à l'autre plus petite par l'effet de la perspective. Il en est de même si une seule personne s'éloigne d'une autre qui demeure immobile. Imaginons qu'il n'y a dans l'espace que la terre et le vaisseau spatial. Le mouvement d'un des deux corps n'existe que par rapport à l'autre objet. Si on prenait comme point de référence le vaisseau, on pourrait affirmer que c'est la terre qui s'en éloigne ou, d'une façon plus générale, que les deux objets s'éloignent l'un de l'autre.

    Le physicien Jean Charon pour sa part se fonde sur ce caractère relatif du mouvement pour affirmer que l'idée suivant laquelle le temps ralentit lorsqu'on approche de la vitessse de la lumière est absurde. Selon lui, le fait de voler à une telle vitesse a pour effet de réduire la distance entre la terre et l'étoile dans l'exemple ci-haut, la distance dépendant «notamment de la vitesse de l'observateur qui fait la mesure par rapport» à la terre et à l'étoile.3

    Le décalage a pourtant été confirmé par des expériences. Des physiciens américains ont comparé le temps d'une personne restée sur terre au temps d'une autre voyageant en avion en direction est et d'une troisième voyageant aussi en avion mais en direction ouest. L'horloge située dans l'avion allant en direction est a retardé de quelques dizaines de milliardièmes de seconde sur l'horloge au sol conformément à la théorie d'Einstein, puisque l'avion volait alors dans le même sens que la rotation de la terre. L'horloge de l'avion volant vers l'ouest avait retardé de 273 milliardièmes de seconde par rapport à l'horloge au sol.

    «Il n'y a pas de temps universel, et chacun emporte avec soi son horloge, à nulle autre pareille.»4

    Notes

    1. Saint-Augustin, Confessions, Éditions Pierre Horay, 1947, p. 330.
    2. Exemple inspiré de Pierre Bertaux, La Mutation Humaine, Paris, Payot, 1964, p. 84-85.
    3. Jean Charon, La conceptin de l'univers depuis 25 siècles, Paris, Librairie Hachette, 1970, p. 222.
    4. Frisch Franz et Jean-Louis Lavallard, «La conquête du temps», Revue Géo, no. 10, déc. 1979, p. 58.

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