Les fils peintres de Camille Pissaro
Mauzana est un grand décorateur qui prend pour sujet de tableaux sur fond d'or ou de paysages féeriques des personnages d'un Orient de rêve, hébraïque ou arabe selon le texte des Mille et une Nuits. En dehors de la peinture, il a touché avec souplesse et succès à toutes les matières, meublier, verrier. Il excelle à noter tous les mouvements des bêtes familières et suspend à des vols d'oiseaux des branches ingénieusement stylisées. Il a donné aussi de beaux paysages parisiens, des bords de Seine où les fumées des remorqueurs lui fournissent les plus intéressantes arabesques. Il est regrettable qu'il se soit borné pour cette exposition chez Marcel Bernheim à de petites pages décoratives.
Ludovic Rodo est un artiste vigoureux et divers. Il est notoire. Il serait célèbre s'il ne témoignait, par une excessive modestie, d'une vive répugnance vis-à-vis de toute exposition particulière ou collective. Seuls des amis admis à son atelier connaissent la variété de son effort, sa belle suite d'études d'ensemble et de détail de salles et de figurants, d'acteurs et de spectatrices du music-hall montmartrois, avec des filles bien traduites dans le modernisme de leur maquillage. Il a peint de nombreuses études de nus féminins, d'une belle souplesse d'allures et de grande vérité simple de pose, aux carnations éclatantes et nacrées du ton le plus juste. Aquarelliste, il a évoqué dans la plus jolie transparence les décors des Andelys, de Moret, jardins et coteaux, usines sous des clartés d'aube, rubans de fleuve moirés et diaprés. Il a à cette exposition un petit chef-d’œuvre, une femme au costume rayé de blanc et de rose, étendue sur un divan dans la plus parfaite des nonchalances.
Paulémile Pissarro a donné d'excellents portraits, mais c'est surtout jusqu'ici un paysagiste. Il s'est plu à dessiner les belles silhouettes architecturales de petites villes du Midi ramassées sur de hautes collines, Treignac et Uzerches. Mais surtout il affectionne la forêt normande et le marais poitevin, où il trouve de grandes pages silencieuses, des coins de rivière lourde et moirée dont l'arborescence touffue et compacte des rives s'entr'ouvre souvent pour montrer quelque vaste herbage ou une ferme au seuil diapré de jeunes femmes dans l'éclat vif de leurs toilettes d'été.
Souvent un bachot glisse sur l'eau lourde et ne fait que confirmer le silence qui imprègne le site d'une émotion religieuse dont le peintre sait saisir et traduire la magnifique intensité. Vingt chef-d’œuvres de Camille Pissarro fortifient l'intérêts de l'exposition de ses fils et permettent d'étudier ce délicat problème de l'atavisme pictural.