Thérèse «docteur»: la «petite voie» d'enfance spirituelle

ZENIT
La «petite dernière» des soeurs Martin était la plus grande, en taille, et sa «petite doctrine» aussi rejoint les plus grands maîtres spirituels, comme le prophétisait le P. Marie-Eugène de l'Enfant Jésus. L'Histoire d'une âme, telle que Mère Agnès l'a publiée en 1898, a effectivement nourri notre siècle de la vigueur de la vérité évangélique, sans que les retouches fassent écran. C'est ainsi que le pape Pie XI a fait de Thérèse «l'étoile» de son pontificat: il l'a béatifiée et canonisée. Quelque 500 000 pélerins accoururent à Rome à cette occasion, en 1925. Il l'a aussi proclamée Patronne des Missions et a voulu la construction de la basilique de Lisieux, contre l'avis de tous, en pleine crise économique. C'est qu'il discernait dans ses écrits une «Parole de Dieu pour notre temps»

«Petite» et «grande»
Paradoxe évangélique: la sainte Normande avait demandé qu'on l'appelle après sa mort «petite Thérèse». Mais on ne cesse de mettre l'adjectif «grand», au superlatif, à côté de son nom: «la plus grande sainte des temps modernes», selon l'expression de Pie XI, ou la «plus grande thaumaturge des temps modernes», comme l'affirmait le cardinal Pacelli, légat de ce dernier à Lisieux et futur Pie XII, en constatant l'ampleur inouïe de la «pluie de roses», des miracles dus à son intercession.

La demande du «doctorat» de Thérèse a été présentée à Pie XI en 1932 par le P. Desbuquois, jésuite de l'Action populaire. Un écho mondial répondait à cet appel ou plutôt le suscitait. Mais en 1923, Thérèse d'Avila elle-même avait été recalée: les mentalités n'étaient pas mûres pour la proclamation d'une femme Docteur de l'Eglise. Le dossier du Jésuite, dont la première partie s'ingéniait à montrer qu'une femme pouvait être «docteur» (même à 24 ans!) allait demeurer fermé. «Mes successeurs verront», aurait dit le Pape .

Le tour du monde de l'autobiographie
De fait, l'idée faisait son chemin, et «la petite voie» de Thérèse continuait son tour du monde, enjambant la Seconde Guerre mondiale et le Concile oecuménique Vatican II. En 1970, Paul VI levait le principal obstacle en proclamant coup sur coup Catherine de Sienne et Thérèse d'Avila Docteurs de l'Eglise. Elles sont citées par le catéchisme de l'Eglise catholique respectivement 3 et 5 fois, et Thérèse de Lisieux 6 fois , elle qui n'a écrit aucun traité, et dont les souvenirs d'enfance ont d'abord été composés, par obéissance, pour les soeurs Martin, puis pour sa notice nécrologique, sa «circulaire» comme on disait. Le cahier jaune, dans lequel les soeurs de Thérèse ont noté ses paroles au jour le jour pendant les derniers mois de sa maladie, atteste la prescience de Thérèse: «Ces pages feront beaucoup de bien, dit-elle. On connaîtra mieux ensuite la douceur du Bon Dieu». N'avait-elle pas dit «je me sens la vocation des docteurs»? Ne parle-t-elle pas de sa «petite doctrine»?

Déjà en 1956, Pie XII avait demandé au P. François de Sainte Marie une édition critique des oeuvres de Thérèse, qui ne sera pas publiée avant la mort de Mère Agnès, Pauline, soeur et première éditrice de Thérèse. Celle-ci lui avait donné carte blanche pour revoir un texte qu'elle même n'avait plus la force de réviser, et de le mettre en forme. Grâce à l'oncle Guérin, l' Histoire d'une âme sera publiée en 2000 exemplaires, bientôt rééditée à des millions d'exemplaires: un succès de librairie mondial qui vaudra un flot de courrier continuel au carmel de Lisieux!

Les corrections confiées à Mère Agnès
Mère Agnès avait jugé certains souvenirs comme trop intimes. Elle corrigeait aussi quelques fautes d'orthographe que l'édition critique du centenaire nous restitue par rigueur scientifique. Surtout, elle cherchait à unifier trois manuscrits que Thérèse avait écrits pour des personnes différentes, mère Agnès (A), soeur Marie du Sacré-Coeur (B) et mère Marie de Gonzague (C). L'ensemble était présenté comme écrit à mère Marie de Gonzague, de nouveau supérieure à l'époque.

Il ne faut donc pas faire grief à mère Agnès de son travail d'édition. Il cherchait à satisfaire aux exigences d'un genre littéraire loin de nos «autobiographies» ou «mémoires» modernes, et de rendre cohérent le texte de trois manuscrits cousus ensemble. Elle ne pouvait pas non plus soupçonner le génie de sa soeur, comme le souligne Mgr Guy Gaucher. Le succès inouï du livre suffit à montrer que l'essentiel de la «petite doctrine» était bien «passé»! Des millions de volumes, bientôt en 35 langues! Actuellement, on peut lire les «Manuscrits autobiographiques» en 60 langues. Thérèse entre dans les igloos, les cases et les tentes des nomades, pouvait écrire François de Saint-Marie, mais aussi dans les bibliothèques des théologiens!

Une «ruse du Saint-Esprit»
Le P. Petitot, dominicain, en 1932, le P. Brottier, spiritain, en 1934, et le P. Marie-Eugène de l'Enfant-Jésus en 1947, discernaient déjà la «profondeur incommensurable» de l'oeuvre et de la vie de la sainte, ses «virtualités latentes insoupçonnées», dans tous les domaines, la «gloire des prophètes» qui lui était réservée, son rôle de «conducteur d'âme», universel et pour les temps à venir. Mgr Guy Gaucher cite également le philosophe Emmanuel Mounier qui voyait en Thérèse «une ruse du Saint Esprit»!

De 1969 à 1992, c'est l'édition intégrale de tous les écrits de Thérèse qui est entreprise. Les trois premiers manuscrits, mais aussi les poésies, les lettres, le théâtre (essentiel pour la «christologie de Thérèse», selon Hans Urs von Balthasar), les prières, et les derniers entretiens, réunis maintenant en un volume de 1600 pages. Le vrai visage de Thérèse, révélé par la publication des photos que sa soeur Céline avait prises au Carmel était éclairé de l'intérieur par ces publications capitales.

Le 33e «docteur»
Pendant ce temps, pour le centenaire de la naissance de Thérèse en 1973, le cardinal Garrone déclarait l'opportunité du doctorat, et en 1981, au nom des évêques de France, le cardinal Etchegaray relançait l'idée. En 1989, Mgr Pican, évêque de Bayeux-Lisieux demandait au P. Guy Gaucher de reprendre le dossier, alors que les Carmes y pensaient aussi. Quelque 50 conférences épiscopales le demandaient au Saint Père, appuyé sur des milliers de demandes de fidèles du monde entier. Une «positio» a été élaborée de façon à ce que les théologiens des Congrégations romaines pour la Cause des saints et pour la Doctrine de la foi se prononcent sur la doctrine de Thérèse et sa portée pour l'Eglise universelle.

Les théologiens et les Congrégations romaines ayant achevé leur travail, Jean-Paul II a proclamé Thérèse docteur de l'Eglise le 19 octobre 1997, Journée mondiale des Missions. Elle est le 33e Docteur de l'Eglise et la 3e femme.

ZENIT- www.zenit.org/french (16 mars 1999)
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