L'école Rakusei de Kyoto

Hélène Laberge
À l'occasion d'une visite officielle au Japon, en 1982, le premier ministre du Québec, René Lévesque, demanda à ses hôtes de lui faire visiter l'une des meilleures écoles secondaire du Japon. C'est ainsi qu'il eut l'occasion de rencontrer l'un de ses compatriote, le père Allard, clerc de Saint-Viateur. Ce religieux était le principal de l'école, fondée par sa communauté, à la demande du Saint-Siège. Quand René Lévesque demanda au père Allard de lui expliquer l'extraordinaire réussite de son institution, il répondit: «Nous avons conservé les méthodes que nous utilisions au Québec en 1940 ou 1945».
Au Japon, le classement public des institutions va de soi et dans le cas des écoles secondaires, le critère utilisé est clair et connu de tous: le pourcentage de finissants admis à l'Université. En 1952, année de sa fondation, l'école comptait 3 classes de 35 élèves. Elle compte aujourd'hui 1 350 élèves répartis en deux cycles: le premier cycle, 7e, 8e et 9e, ne compte que 45 à 48 élèves par année, mais le second, 10e,11e et 12e, compte 5 classes par année.

Lors de sa visite, le premier ministre fut accueilli par un compatriote gaspésien, le Père Allard. Ce religieux clerc de Saint-Viateur était alors le principal de l'école, fondée par sa communauté, à la demande du Saint-Siège. Quand René Lévesque demanda au père Allard de lui expliquer l'extraordinaire réussite de son institution, il répondit: Nous avons conservé les méthodes que nous utilisions au Québec en 1940 ou 1945.

En dépit donc de l'obstacle de la langue et de la culture, des éducateurs québécois, qui allaient bientôt être chez eux victimes de la révolution culturelle, auront aidé efficacement un grand pays comme le Japon à se redresser.

Le Japon a aussi emprunté à l'Occident l'uniforme que portent tous les écoliers du pays. Cet uniforme (de couleur sombre, bleu ou noir, avec collet serré, boutons dorés et casquette) est une réplique de celui des cadets de la marine française au XIXe siècle. Les Japonais ont suffisamment d'identité pour pouvoir faire de tels emprunts à l'étranger sans perdre l'estime qu'ils ont d'eux mêmes. Ils vont même jusqu'à y adapter leurs propres coutumes.

Au collège Rakusei par exemple, comme dans de nombreuses autres institutions du pays, il y a plusieurs traditions importantes qui n'existaient pas dans les maisons qui ont servi de modèle, le club par exemple. Il s'agit d'une institution proprement japonaise: le besoin d'identification à un groupe est vivement ressenti par les jeunes Japonais et rendu nécessaire d'autre part par le grand nombre d'élèves et l'insuffisance de l'équipement dans le domaine des activités para-scolaires. Puisque tous les élèves ne peuvent pas pratiquer tous les sports, la solution consiste à établir un éventail d'activités, parmi lesquelles les élèves font leur choix. Il y a un très grand nombre de clubs, soit sportifs, soit culturels. Le jeune qui entre en 7e fait son choix, le tennis, par exemple. C'est le seul sport qu'il pratiquera jusqu'en 12e. Il pourra changer de sport, ou de club, mais cela ne se fait pas habituellement et requiert l'autorisation des professeurs responsables respectivement du club qu'il quitte et de celui qu'il choisit.

Vous avez bien lu, ce sont des professeurs qui sont responsables des clubs, et ils doivent souvent être présents le samedi après-midi et le dimanche, quand l'équipement disponible est mis à la disposition de leurs équipes. Le samedi matin, il y a cours. Qui d'autre que les professeurs pourrait assumer la responsabilité des clubs puisque, à part les 75 professeurs (ratio de 1 pour 18), il n'y a que 10 employés dans l'école?

Le professeur est aussi appelé à assumer d'importantes responsabilités en tant que titulaire d'une classe. À Rakusei, et cette pratique est générale au Japon, le titulaire est un petit Principal. C'est sur lui que repose, au premier échelon, toute la responsabilité des 45 ou 48 élèves de sa classe. Tout problème est d'abord porté à sa connaissance. Advenant une difficulté, c'est lui que les parents vont consulter. Aucune décision ne sera prise sans son avis, avis qui aura beaucoup de poids. Il a souvent plus d'autorité sur les élèves que les parents eux-mêmes, lesquels font souvent appel à son aide. C'est une fonction redoutable.

Mais qui est allégée par le fait qu'il est lui-même rattaché à un groupe dont l'unité est considérée comme très importante. Pour renforcer cette unité du corps professoral, les moyens sont nombreux. La journée scolaire débute toujours par une assemblée ou réunion de tous les professeurs. Le Principal leur transmet des directives. Tous les lundis après-midi, à 15 heures, il y a assemblée générale de tous les professeurs, lesquels se répartissent en six départements: discipline, études, santé, affaires religieuses, bibliothèque, éducation audio-visuelle qui eux aussi se réunissent une fois par semaine.

La formation chrétienne prend notamment la forme d'activités charitables. Les élèves de l'école achèvent par exemple de traduire la Bible en braille. On multiplie les initiatives pour que la jeunesse, dorée, il faut le dire, qui fréquente l'école apprenne que le malheur et la pauvreté existent au Japon. À l'occasion du tremblement de terre de Kobé, une collecte spéciale auprès des parents et des élèves a rapporté 50 000 $. Les autorités de l'école ont ensuite demandé aux élèves d'apporter le nécessaire pour faire un repas pouvant nourrir 1 000 personnes. Un groupe de professeurs et d'élèves se sont rendus ensuite à Kobé pour distribuer cette manne.

Si les sports et les activités charitables ont beaucoup d'importance dans l'institution, la culture n'est pas négligée pour autant. Le collège Rakusei a par exemple un orchestre symphonique d'une centaine de membres, dont certaines interprétations de Wagner, Tchaikovski et Mozart ont été enregistrées sur disque compact.

Parmi les illustres visiteurs qui ont signé le livre d'or de l'institution, il y eut en 1985, le chanoine Jacques Grand'Maison. Voici un aperçu de son témoignage: «Je pars d'ici bouleversé, émerveillé... À plusieurs titres, chers collègues, vous êtes à la fine pointe du charisme de l'avenir, avec le vestige très humain et la foi incroyable d'Abraham qui partit vers des terres inconnues ne sachant pas où il allait. Former les futurs leaders du Japon, sans rien attendre en retour, si ce n'est la grâce toute gratuite de Dieu qui nous échappe à nous-mêmes.»

Ces réflexions ont pris place dans le récit fondateur du collège à côté de cette citation de Maritain faite par l'internonce du Japon, Monseigneur Gaspari en 1982: «Il n'y a qu'une seule tristesse, celle de ne pas avoir été témoins de l'amour et de la justice au cours de sa vie. »

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