Rameau Jean-Philippe

1683-1764
«Jean-Philippe Rameau a une importance considérable dans l'histoire de la musique. Cependant que Bach en Allemagne et Haendel en Angleterre édifiaient leur oeuvre, Rameau mettait de l'ordre dans la musique de son pays et lui donnait un nouveau sens. On joue toujours la musique de Bach, et bien peu celle de Rameau, ce qui nous fait croire que Rameau nous intéresse aujourd'hui davantage par ses idées que par sa propre musique. C'est peut-être parce que Rameau rejoint le pur classicisme du XVIIe siècle, celui des grands maîtres de la littérature, et que son esprit cartésien ne touche plus nos sensibilités.

Jean-Philippe Rameau appartient lui aussi à une famille de musiciens. Son père était organiste à Dijon. Son frère Claude était également organiste et la légende veut que l'étonnant Jean-François Rameau, qui fit le sujet du fameux livre de Diderot, Le neveu de Rameau, eût, lui aussi, des dons très remarquables de musicien. C'est donc à Dijon, en France, que naquit Jean-Philippe Rameau. Il fit ses études au Collège des Jésuites et, à l'âge de huit ans, il voyage déjà en Italie afin de faire connaissance avec l'art terriblement à la mode des Italiens. Au commencement du XVIIIe siècle, il est à Paris, où il continue à s'instruire dans son art, et il songe déjà à écrire un traité d'harmonie, qui paraîtra en 1722. Il s'éprend d'une jolie femme qui lui préfère son frère Claude, et d'une autre encore qui le refuse à cause de son mauvais langage - ce qui est très curieux - et il épouse enfin Marie-Louise Mangot. Pauvre dans sa jeunesse, il meurt assez riche, puisqu'il laissa à sa mort environ deux cent mille livres. On connaît beaucoup mieux les détails de sa vie pratique et de ses idées, que ceux de sa vie sentimentale. Sa vie sentimentale, il semble qu'elle ait été réglée avec la même minutie et la même raison qui lui ont dicté les lois fondamentales de l'harmonie. Voici le portrait de l'homme, d'après son biographe Louis Laloy: « Il était grand, d'une maigreur effrayante, qui lui donnait plus l'air d'un fantôme que d'un homme. Grimm le trouve aussi hâve et aussi sec que M. de Voltaire, ce qui n'est pas peu dire... Mais le musicien était loin de montrer la mine malicieuse du philosophe: sa physionomie était sévère; tous les traits de son visage étaient grands, et annonçaient la fermeté de son caractère... »

«Même au plus fort de sa renommée, dit encore Louis Laloy, on ne l'aimait guère. De méchants bruits couraient sur son compte: on le disait dur, avaricieux, intraitable... » Il est certain que Rameau n'était pas aimé et qu'il eût répugné à son caractère de se faire aimer par courtisanerie. Et si, par exemple, les grands seigneurs s'intéressent à lui, il n'en devient pas pour cela courtisan.

Ses premières oeuvres sont refusées à l'Opéra, mais il ne s'aplatit pas devant les directeurs du théâtre. Et quand le Fermier-Général La Poplinière, celui que Voltaire appelait Meçaenas, fait de Rameau le directeur de sa musique particulière, c'est parce qu'il veut s'honorer lui-même en ayant chez lui le plus grand musicien de ce temps-là.
Cette reconnaissance, cependant, lui ouvre bien des portes. Son opéra La Princesse de Navarre, dont Voltaire a écrit le livret, est représenté à l'occasion du mariage du Dauphin avec l'Infante Marie-Thérèse, et Louis XV le nomme compositeur de la Chambre du Roi. Le roi lui confère même des titres de noblesse et Rameau devient en quelque sorte un homme à la mode.

On remarque qu'à partir de cette époque, sa musique et son caractère se ressentent de ces grands succès et de ce bien-être matériel. Il devient plus gai et sa musique s'épanouit davantage. Elle est « plus aisée, plus reposée, de meilleure grâce », et le malicieux Louis Laloy ajoute qu'il « lui a fallu tout ce temps pour apprendre à rire... »
Il a alors soixante ans. Ces hautes protections ne l'ont pourtant pas dispensé de livrer de terribles batailles avec des adversaires de tous calibres: musiciens, savants et encyclopédistes. On le considérait comme un révolutionnaire hardi, écrivant une musique d'une « mécanique prodigieuse », mais on l'opposait aux « doux ébranlements » des musiciens de son temps qui, eux, ne secouaient point la tradition. Voltaire lui-même opposait «cette profusion de doubles croches à la sérénité de Lulli », et cela déchaîna la querelle des ramistes et des lullistes, dont triompha pourtant le sage, classique et audacieux Rameau. Mais Rameau eut aussi à lutter contre les encyclopédistes, et on connaît cette autre querelle dite des Bouffons qui opposa vivement deux formules d'opéra: l'italienne et la française. Rousseau, Grimm, Alembert et Diderot prirent nettement parti contre Rameau, et Rousseau louait « les Italiens de n'attacher de prix qu'à la mélodie, et de réduire l'harmonie à la portion congrue... » . A quoi Rameau répondit par sa fameuse brochure: Erreurs sur la Musique dans l'Encyclopédie, qui déchaîna une véritable guerre. C'est ainsi que se passe la vie de Rameau, en discutant et en bataillant. Mais cela ne l'empêche pas de produire des opéras, des ballets, qui sont joués, et qui s'imposent. Hippolyte et Aricie triomphent et aussi Dardanus, et Rameau vieillit, A l'âge de soixante-dix-neuf ans, il dit un jour à un ami : « De jour en jour j'acquiers du goût, mais je n'ai plus de génie... » . Au Président de Brosses qui le pressait de se remettre au travail, il dit: «L'imagination est usée dans ma vieille tête, et on n'est pas sage quand on veut travaille à cet âge aux arts qui sont entièrement d'imagination... » Cette parole est loin d'être la réponse d'un artiste qui aurait nié l'imagination, ainsi qu'ont voulu le faire croire ses détracteurs.

Néanmoins, sa force de caractère et sa mauvaise humeur ne l'ont jamais quitté, même à la fin de sa vie. On prétend qu'il aurait empêché que sa fille se mariât de son vivant « pour n'avoir point de dot à fournir », et on dit encore que, sur le point de mourir, il riposta au curé de Saint-Eustache qui l'assistait: « Que diable venez-vous me chanter là, monsieur le curé? Vous avez la voix fausse... » Enfin, il mourut à Paris le 12 septembre 1764, laissant une oeuvre considérable et des théories générales sur la musique qui ont toujours force de loi. (Car la science harmonique qui régit la musique, on la doit en grande partie à ce savant musicien.) Il est possible que Rameau soit venu trop tard et qu'il aurait dû être le contemporain de Corneille, de Racine et de Bossuet. Et cependant, l'art de Rameau est humain, et émouvant, mais émouvant comme Racine, et non pas comme Jean-Jacques et les grands romantiques: Tous ces opéras-ballet que l'on n'entend plus qu'en Europe et dans de rares circonstances, contiennent des pages admirables de caractère, tragiques et émouvantes. Castor et Pollux, Hippolyte et Aricie, Dardanus, Pygmalion, nous toucheraient encore si on pouvait s'en approcher, et les airs de danses et les ouvertures symphoniques de Rameau feraient également notre joie si on s'avisait de les remettre au répertoire symphonique. Mais la paresse et la routine ont créé un fossé profond, ou plutôt un profond malentendu entre cet art et notre sensibilité actuelle.»

Léo-Pol Morin, Musique, Montréal, Beauchemin, 1946

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Le mécène de Rameau

Le Riche de la Pouplinière avait hérité une immense fortune familiale qu'il accrut encore par d'habiles spéculations. Fermier général sous Louis XV de 1721 à 1738, il avait plusieurs résidences dans lesquelles il organisait des concerts pour lesquels il était à l'affût de tous les talents. Les répétitions générales de la plupart des concerts donnés ensuite à Paris se faisaient dans les châteaux de la Pouplinière. C'est donc lui qui adopta Rameau, lequel fut son musicien attitré de 1731 à 1753.

Articles


La querelle des bouffons

Hélène Laberge
Une querelle sur l'harmonie et la mélodie, la France et l'Italie, qui rappelle la bataille d'Hernani, opposant les romantiques aux classiques.



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