Qu'est-ce que le nombre ?

Louis Valcke

Le nombre et les choses

Après avoir ainsi fait un survol rapide de quelques séries de nombres particulièrement remarquables, abordons enfin la question qui s°impose à notre esprit : qu 'est-ce que le Nombre ? Or, depuis le début de l’histoire des mathématiques, deux conceptions opposées se sont affrontées ici. Une première conception, de tendance empiriste, voulait que le nombre soit postérieur aux choses ; à cette conception s'opposait la conception idéaliste, selon laquelle les nombres seraient antérieurs aux choses.

Le nombre postérieur aux chose

On peut d’abord imaginer tout simplement que le nombre naît de notre énumération. Le « trois » ou le « cinq » apparaissent simplement parce que nous désignons successivement trois pommes ou cinq oranges. Seules existent alors les pommes ou les oranges individuelles, le « trois » et le « cinq » -- et, évidemment tout autre nombre – n’apparaissant que par notre façon de regrouper mentalement les objets réels qui nous entourent. Comme le disait Guillaume d'Ockham : « le nombre n’est autre que les choses nombrées elles-mêmes. » C’est là une première façon de concevoir les nombres qui, pour l'essentiel, était celle que proposait Aristote.

Plus signifiante est la conception qui fait du nombre le résultat de nos mesures. Dans ce cas, nous comparons une grandeur physique avec une grandeur du même ordre, prise comme unité. Nous comparons la distance entre deux villes à la longueur du kilomètre, ou la hauteur de la pyramide à la coudée, ou nous mesurons la température de l’eau en degrés Celsius ou Fahrenheit. La mesure est le résultat de cette comparaison, et cette mesure s'exprime par un nombre.

La mesure ainsi entendue permet d°exprimer en nombre toutes les grandeurs physiques, et elle devient ainsi critère d'objectivité. Si un médecin veut savoir si son patient est fiévreux, il ne lui demande pas s’il a chaud ou s'il a froid, mais il mesure la température de son corps avec un thermomètre. Selon le résultat obtenu, il constatera que le patient a ou n’a pas de fièvre.

D’après cette conception, le nombre existe grâce à l’opération de mesure : le nombre est postérieur à cette opération. Certes, c°est l’opération de mesure qui fait exister le nombre, mais il faut également remarquer que les grandeurs physiques se prêtent à nos mesures, qu’il y a rencontre entre notre procédé de mesure et la réalité physique. D’où surgit une autre question : comment une telle rencontre ou un tel accord sont-ils possibles ?

Le nombre antérieur aux choses

C’est à cette question que répond une autre conception du nombre, la conception selon laquelle le nombre, bien au contraire, serait antérieur aux choses, qu’il serait principe des choses. Telle était, on l’a vu, la conception de Pythagore et de la tradition pythagoricienne, pour qui le Nombre était non seulement principe des choses, mais le principe même de toute rationalité. C°est bien ce qu'affirmait le pythagoricien Philolaos, qui vivait à Crotone au Ve siècle av. J.-C. :
La nature du Nombre est la cause de la reconnaissance, capable de guider et d°éduquer l'homme en ce qui est mystérieux et inconnu. Car aucune chose existante ne serait claire à qui que ce soit, ni en elle-même, ni en son rapport aux autres, si le Nombre et son essence n’existaient pas. Mais en réalité, le Nombre qui assigne à chaque chose sa place dans l’âme à travers la perception sensible, les rend connaissables et comparables les unes aux autres... en ce que le Nombre donne corps aux choses, et distingue les différentes relations entre les choses en les plaçant dans leurs groupes, qu°elles soient infinies ou non...

Et voilà qui permet de comprendre pourquoi les grandeurs se prêtent à nos mesures : c’est parce qu’elles sont « nombrées » que les choses sont mesurables, non l’inverse !

La portée ontologique de cette affirmation est explicitement reconnue par Plotin, qui en fait la pierre d'angle de sa doctrine :

En l'être est le Nombre, avec lequel il engendre les êtres, en agissant d'après ce Nombre; il constitue les Nombres avant de donner l’existence aux êtres [...] Le principe et la source de l’existence pour les êtres, c'est donc le Nombre, le Nombre premier et véritable : c’est pourquoi même dans notre univers, toute génération se fait selon des Nombres ; selon le Nombre que reçoit le générateur, il engendre des choses différentes ou il n'engendre rien. Ces [nombres générateurs] sont les premiers Nombres, ils sont des Nombres nombrants pour les Nombres comme pour tout ce qui peut être compté. (Enn., VI, 6, c. 15.)

C’est fondamentalement la même intuition qui guidera Galilée dans ses expériences célèbres, connne il l’avait exprimé dans ce texte bien connu de son Essayeur :

La philosophie est écrite dans cet immense livre qui se tient toujours devant nos yeux, je veux dire l'univers, mais on ne peut le comprendre si l’on ne s'applique d'abord à en comprendre la langue et à connaître les caractères avec lesquels il est écrit. Il est écrit dans la langue mathématique et ses caractères sont des triangles, des cercles et autres figures géométriques, sans le moyen desquels il est humainement impossible d'en comprendre un mot. Sans eux, c'est une errance vaine dans un labyrinthe obscur. (L 'Essayeur, qu. 6.)

Notons cependant la différence qui sépare Galilée de Plotin. La conception du Nombre comme principe des choses était chez Plotin une pure conception de l°esprit qui se suffisait à elle- même et prétendait n'avoir nul besoin de quelque confirmation empirique que ce soit, tandis que Galilée pouvait apporter toute sa physique à l'appui de sa vision. Ce en quoi la méthode de Galilée fait la synthèse entre la pensée idéaliste de Platon et l’approche empiriste d°Aristote (1).

Dans son texte, Galilée met l'accent sur l'aspect révélateur des mathématiques lorsqu°elles sont appliquées au monde physique, mais les mathématiques ne sauraient jouer ce rôle d’outil dans la connaissance physique, si le monde physique lui-même n’était pas, de quelque mystérieuse façon, dépendant du monde mathématique, comme le croyaient Pythagore et toute la tradition née de lui. Eugene Wigner (1902-1995), le mathématicien d’origine hongroise et prix Nobel de physique en 1963, s’émerveillait de cet accord inattendu entre la physique et les mathématiques. Dans un article qui a fait date et qui a été cité ci-dessus, Wigner soulignait « l’efficacité déraisonnable des mathématiques en sciences naturelles » et après avoir évoqué tant le problème que soulève cet accord que les tentatives d’explication auxquelles il a donné lieu, l’auteur se sent forcé de conclure :

ce miracle de l°adéquation du langage mathématique à la formulation des lois de la physique est un don merveilleux que nous ne comprenons pas et que nous ne méritons pas (2).

De cette antériorité du nombre, de sa primauté comme principe structurant, il se trouve de nombreuses confirmations inattendues, que les anciens mathématiciens ne pouvaient imaginer. En fait, il arrive que certaines équations élaborées pour rendre compte d’un ensemble précis de phénomènes observés, révèlent de plus, et de façon totalement inattendue, certains aspects du réel physique qui n’avaient jamais été observés antérieurement, qui peuvent même aller à l’encontre des normes jusque-là admises du « possible et de l'impossible », et qui pourtant se verront vérifiés et confirmés par après. C'est en ce sens que le physicien James Cl. Maxwell (1831-1879), disait que « nos équations sont parfois plus intelligentes que nous-mêmes, qui les formulons ». Dans le même ordre d'idées, Wigner donnait en exemple un calcul théorique proposé par W. Heisenberg, mais qui n'avait pu donner lieu à une vérification concrète car, à l’époque de sa formulation, on ne connaissait aucun phénomène où de tels calculs auraient été applicables. Par après cependant, de telles situations expérimentales ayant été réalisées, on découvrit que les résultats théoriques prévus par les calculs de Heisenberg correspondaient aux données expérimentales obtenues, avec une précision de 1/10 000 000 ! Comme Maxwell, Wigner s’émerveilla : « dans ce cas, nous avons certainement “extrait quelque chose” de ces équations, que nous n’y avions pas d’abord injecté (3). »

François Meyer appelle « prétention anticipante de la théorie » de telles réalisations aussi imprévues qu’imprévisibles du calcul mathématique. Il en voit un exemple particulièrement remarquable dans l’historique découverte de l’« antimatière », que nous avons évoquée plus haut et dont nous donnons ici un bref survol.

Pour rendre compte de leurs observations, Crookes en 1886, puis Townsend en 1897, allaient poser l’existence de « granules » d'électricité : les électrons, dont les charges individuelles allaient être mesurées expérimentalement en 1911 par Robert A. Millikan (prix Nobel 1923). Dans son modèle célèbre, Niels Bohr allait par la suite en donner une représentation imagée, comme s’il s’agissait de planètes minuscules en orbite autour des noyaux atomiques. Après les travaux de lord Rutherford, Heisenberg, Max Planck et de tant d°autres, Louis de Broglie montra que l’électron corpusculaire se comportait également comme une onde, ce qui paraît a priori contradictoire. Cependant, de Broglie réussit à formuler mathématiquement le rapport qui relie le corpuscule à l’onde qui le « guide » au sein du « corpusconde ». Il montra de plus que ce lien ou cette équivalence vaut non seulement pour l’électron, mais pour toute particule, quelle qu’en soit la masse. La mécanique ondulatoire était née (1927).

L'équation qui relie le corpuscule à son onde est une équation fort complexe, qui a ceci de particulier qu’un de ses facteurs est une racine carrée. Mathématiquement, l’équation a donc deux solutions, selon que l’on adopte la racine positive ou la racine négative.

Il se fait que l’une de ces solutions correspond parfaitement à l'électron classique, qui est doté d’une charge dite « négative » par simple convention, tandis que l’autre solution inverserait la valeur obtenue et devrait s’appliquer à un électron semblable à l’électron connu, mais affecté d’une charge « positive », ce que la théorie électromagnétique de l°époque ne pouvait concevoir et qui, par conséquent, croyait-on, ne pouvait trouver place dans le monde réel.

Aux yeux des physiciens, on considéra de façon unanime que cette seconde solution, valable sans doute en mathématiques, ne saurait avoir de contrepartie physique, et devait donc être laissée pour compte. Citons ici François Meyer :

Telle ne fut pas cependant l’opinion de Dirac; poussé par une intuition épistémologique puissante, il affirma contre l’évidence même que, puisque l’électron positif apparaissait dans la formulation mathématique, avec la même nécessité que son analogue anti-symétrique, il devait être lui aussi une réalité physique. Pendant plus de quatre ans, les efforts des expérimentateurs furent vains pour mettre en évidence le phénomène correspondant à l’électron positif, et Dirac était sur le point de renoncer à ses raisonnements lorsque Blackett et Occhialini obtinrent au laboratoire, sans hésitation possible, le phénomène en cause. On était donc en droit d’affirmer que les déductions rigoureusement effectuées à partir de la mécanique ondulatoire relativiste constituent l’armature même du réel, et que tout ce qui est contenu dans le formalisme mathématique est aussi réel [...]. Le symbole mathématique ambigu (±) devrait alors s’interpréter comme l’obligation rationnelle imposant la reconnaissance d'un statut antisymétrique et d’un contrepoint phénoménal ayant sa source dans la logique qui préside à la solution des équations fondamentales (4).

Et c’est ainsi, à partir de l’entêtement « aberrant » d’un mathématicien qui préférait croire à ses équations plutôt qu’au bon sens et à l’évidence de ses collègues physiciens, que fut découverte l’« antimatière », contrepartie exacte mais en négatif, de notre matière.

Le cas d'Albert Einstein est également célèbre, et doublement significatif.

Les équations de la relativité générale à laquelle il travailla de 1907 à 1915 le conduisirent à affirmer qu’un rayon lumineux frôlant une masse importante telle que le soleil, devait être soumis à l’attraction gravitationnelle de celle-ci et donc en subir une certaine déviation, qu’Einstein se disait capable de calculer. Cette affirmation allait subir l’épreuve de l’expérience à l’occasion d’une prochaine éclipse du soleil, car il devrait être possible de contrôler si telle étoile, normalement visible à proximité du soleil obscurci, serait déviée de sa position attendue. L’épreuve était cruciale, car si aucune déviation n’apparaissait, toute la théorie de la Relativité devrait être remise en cause. C’était donc avec grande impatience que la communauté scientifique toute entière attendait l’éclipse du 29 mai 1919. Une expédition britannique à laquelle participaient Arthur Eddington et Frank Dyson se rendit dans le golfe de Guinée pour l’observer. Le seul à maintenir son calme dans toute cette agitation était Einstein lui-même, et quand on vint lui annoncer que la déviation attendue s’était produite et qu’elle correspondait exactement à ses prédictions (5), sa seule réaction fut de dire : « Je le savais, je l”avais dit. Les mathématiques ne mentent jamais. » Comme on lui demandait quelle aurait été sa réaction, si la déviation ne s’était pas produite, il répondit toujours aussi calmement : « Dans ce cas, j 'aurais eu pitié du bon Dieu », car Dieu, l’architecte de l’univers, se serait trompé dans ses calculs...

Et pourtant, Einstein lui-même se montra beaucoup plus hésitant lorsqu’il se rendit compte que cette même théorie impliquait que l’univers devrait obligatoirement soit se dilater soit se contracter. Cela se passait avant que Hubble ne découvrit le red shift, qui montrait que l'univers, en effet, est en expansion constante, au lieu d’être stable comme il paraissait l'être et comme on le pensait depuis toujours. Dans ce cas, Einstein lui-même ne put accepter ce que lui disaient ses équations : il leur donna donc le petit coup de pouce qui les rendraient conformes à la conception reçue, et pour ce faire, il leur ajouta une « constante cosmologique » pour équilibrer l°univers… Sans ce manque de confiance et cette correction malvenue, sa théorie aurait pu anticiper les observations de Hubble. Einstein avoua plus tard qu’il avait à cette occasion fait la gaffe la plus monumentale de sa carrière scientifique, et il supprima cette embarrassante constante cosmologique...

Idéalisme ou constructîvisme

Einstein avait déclaré que «le problème le plus difficile à comprendre est bien que le monde soit compréhensible ». En effet, quel est le lien qui unit le monde réel à l’image mentale que nous nous en formons ? Voilà le problème, sur lequel nous allons buter inévitablement, en nous rappelant que problème signifie précisément cela : obstacle sur lequel nous butons et qui barre notre route.

Les pages qui précèdent semblent toutes confirmer cette conception pythagoricienne et idéaliste selon laquelle les mathématiques dans leur ensemble constitueraient un monde idéel, réel en soi, et doté de son autonomie propre. On prendra ce dernier terme dans son acception première et fondamentale : non seulement les mathématiques sont régies par leurs lois propres, mais, de plus, ces lois exercent leur empire sur notre propre vie mentale. De même que le triangle, par exemple, est soumis à sa propre définition et aux théorèmes qui en découlent, de même n’avons-nous pas la liberté de le penser autrement.

C’est là une caractéristique propre aux mathématiques. Par contraste, on peut bien dire que les règles du jeu d’échec ou du jeu de dames sont également contraignantes, mais elles ne s’imposent à nous que dans la mesure où nous le voulons bien. A tout moment, nous pourrions convenir d’autres règles qui modifieraient radicalement le jeu en cours, alors que les théorèmes futurs, non encore découverts, sont déjà déterminés,.ou prédéterminés, par l’état actuel de la géométrie et que, d’ailleurs, ils l’étaient bien avant que ne naisse le premier géomètre.

Voilà donc pour l'idéalisme. Tout à l'opposé cependant, les constructivistes maintiennent que les objets mathématiques ne sont que des réalités mentales qui n’existent que pour autant qu'ils sont pensés par notre intelligence et ils s’évanouiront dans le néant au moment où la dernière pensée humaine s'éteindra. Avant ce moment fatidique et inéluctable, toute entité mathématique – les nombres, π et ses décimales, le triangle et ses beaux théorèmes, la spirale du nombre φ et même les lapins de Frédéric II, etc. – toute entité mathématique n’est pas autre chose que la pensée que nous en avons, et il n’est donc pas étonnant de les découvrir telles qu’elles se présentent à nous, puisqu’elles sont le pur produit de notre esprit. En fait, le constructivisme généralise : poser la question de savoir si telle entité mathématique « préexiste » avant d’avoir été pensée par un mathématicien, est une question vide de sens. Si cette entité est pensée, elle existe; si elle n'est pas pensée, elle n’existe pas, et entre ces deux états, il n’y a pas d’état intermédiaire qui serait « virtuel ». Contrairement à ce qu’espérait Pirandello, qui était platonicien justement, il n’y aurait pas de personnage en quête d'auteur, ni de nombre en quête de pensée...

L’attitude des constructivistes est conforme à la règle fondamentale du positivisme selon laquelle seul ce qui est empiriquement constatable peut être tenu pour réel, comme l’affirmait Emst Mach (1838-1916). Si, par contre, on refuse de voir en cette règle un dogme absolu, on fera remarquer, en prenant le cas du nombre π comme exemple, qu’il est possible d'établir ses décimales selon plusieurs procédés différents et indépendants les uns des autres, et que, si diverses soient-elles, toutes ces méthodes aboutissent toujours au même résultat, c’est-à-dire à la même séquence de chiffres. De plus, Jean-Paul Delahaye faisait remarquer :

la fréquentation et la confiance qu'on accorde naturellement aux ordinateurs rendent les thèses intuitionnistes (ou constructivistes) de plus en plus difficiles à soutenir : pourquoi douter d'un calcul fait par dix méthodes différentes, sur dix machines différentes, programmées de dix façons différentes, plus que d'un calcul fait par un calculateur humain (6) ?

Étant donné l’apparence étonnamment aléatoire de la suite des décimales de π, on peut s’attendre à ce que toute séquence de chiffres, quelle qu’elle soit, s’y trouve quelque part, fût-ce extrêmement loin, et même au-delà de ce que l'ensemble des calculateurs armés de tous leurs ordinateurs pourront jamais dévoiler, car forcément même cette armée ne rejoindra jamais l’infini. Jean-Paul Delahaye signale qu’il a trouvé la séquence 7777777 (7 sept) å partir de la 3 346 229e décimale, et une seconde fois encore à partir de la 3 775 288e décimale (7). Faut le faire ! D’ailleurs, chacun de nous peut en principe trouver sa date de naissance, cachée quelque part dans les décimales de π : avec un peu de chance, un site vous y conduira presque immédiatement (8) !

Il est donc en principe possible de découvrir n’importe quelle séquence chiffrée dans les décimales de π, comme d'ailleurs, dans les décimales de n'importe quel nombre irrationnel, et pour s’en convaincre... il suffit d’aller à sa recherche (mais puisque de telles séquences sont infinies en nombre, cela peut prendre une éternité) !

On voit mal comment les constructivistes pourraient refuser d'accorder une existence au moins virtuelle à ces séries de chiffres qui n’ont pas encore été découvertes, mais qui « attendent » de l’être.

D’autre part, considérer que les entités mathématiques (ne) sont (que) des projections de notre logique, de notre structure mentale si l’on préfère, voilà qui est sans doute dit un peu rapidement. On peut en effet distinguer, d’une part, la logique du « sens commun », la logique du bon sens, celle qui nous permet de comprendre le monde qui nous est proche, et d’y agir de façon efficace, et, d’autre part, ce que l’on appellera, au moins provisoirement, la logique des mathématiques. Cette logique-là semble parfois nous entraîner en dehors de « notre » monde vers un monde littéralement inimaginable.

C’est ici que se pose à nouveau le problème incontournable du rapport entre notre monde mental, armé de sa logique, et le réel qui y correspond. C°est en fait l’ancien problème de la concordance entre la raison et l’être, entre le logos qui régit notre pensée et le Logos qui régit le monde, comme les Grecs le pensaient. Et, avec autant de nuances que l'on voudra, toutes les solutions que ceux-ci avaient imaginées ressortissaient peu ou prou de l’idéalisme. A l’exception des sophistes, en effet, tous considéraient comme évident que le cosmos est ordonné par une Raison, et que notre intelligence participe ou émane de cette Raison. De cette façon, l'accord de l'une et de l’autre était garanti. C'est ainsi que Parménide déjà, mais aussi Hegel (1770-1831) croiront trouver la solution en identifiant le rationnel et le réel. Parménide, en effet, prétendait que « c’est la même chose que penser et être », ce que Hegel répète en allemand : « Was vernünftig ist, das ist wirklich. » Platon prétendait retrouver cet accord dans le souvenir inconscient que nous aurions conservé de la vision directe des Idées, tandis qu'Augustin et Descartes y voyaient l’effet d’une illumination divine. Dans chaque cas, la solution est posée, mais elle résulte d'une hypothèse ad hoc, qui postule ce qu'elle prétend expliquer... Il faudra donc reconnaître que toutes ces solutions ne sont que verbales ou circulaires. Le problème, en effet, est précisément que « ce qui est rationnel, est réel », et cette phrase ne donne pas la solution du problème, elle en est seulement la formulation.

En ce qui concerne la logique « du bon sens », une solution, certes partielle, peut sans doute être apportée ici à partir de la théorie de l’évolution. On peut supposer que certains de nos ancêtres pré-hominiens auraient été rendus capables, par mutations successives agissant au niveau de leurs connexions neuroniques, de se représenter leur monde immédiat selon divers schémas mentaux, nés de leurs expériences et de leurs contacts avec ce monde immédiat. Certains de ces schémas étaient adéquats ou plus fonctionnels que d'autres, selon qu’ils se traduisaient par un comportement plus ou moins efficace. Ces schémas plus utiles avaient naturellement tendance à se reproduire plus fréquemment, et, selon le processus habituel de l°évolution (avec évidemment les difficultés que celle-ci comporte), ils se seraient peu à peu fixés dans le système neurophysiologique qui les sous-tendait. Ainsi, le pré-hominien qui aurait eu, plus que ses cousins, l’intuition vague et encore inconsciente qu’une relation de cause à effet semblait relier certains objets entre eux ou certains actes et leurs résultats, ce pré-hominien aurait été avantagé par rapport à ses congénères, et aurait donc eu une plus grande probabilité de survivre et donc, de transmettre cette structure mentale particulière à sa descendance.

Ce serait à partir de telles ébauches que se seraient ancrées dans notre cerveau les structures physiologiques qui, peu à peu, allaient se traduire au niveau de la conscience naissante par cet ensemble de catégories, bases de notre univers mental, en lesquelles nous croirons trouver les principes mêmes de la logique (9).

Mais le champ de cette logique est restreint et ne dépasse pas l’étendue de ce que nous pouvons appeler « notre monde », un monde à la mesure de l’homme, ou, si l’on veut et au maximum, un monde « newtonien ». Cette « logique du bon sens » perd pied très rapidement dès que nous tentons d’en dépasser les limites. Née de ce monde et pour ce monde, elle nous limite aussi à celui-ci, et ne nous permet pas de comprendre ce qui serait au-delà de ce monde, ce qui relèverait de l’« infiniment grand » ou de l’« infiniment petit ». Comment pourrions-nous imaginer la vitesse absolue de la lumière, avec ses 300 000 km/sec, nous qui nous déplaçons par rapport à notre environnement immédiat à une vitesse « naturelle » de l°ordre d’une dizaine de km/h ? Les meilleures analogies de ces trains qui se croisent en se lançant des signaux lumineux, ne nous permettront jamais de comprendre concrètement pourquoi l’un des deux jumeaux de Langevin vieillit tellement plus vite que l’autre. Et de même ne pourrons-nous jamais comprendre les paradoxes du monde subatomique, où les particules à la fois sont et ne sont pas au même endroit (Vive Héraclite !), et où le chat de Schrödinger est en même temps mort et vivant (10).

Pour « comprendre » ce monde des extrêmes, nous devons d’abord donner une autre signification au mot comprendre, qui n’est plus celle du sens commun. Pour le sens commun et comme le mot le dit, comprendre c’est « prendre ensemble », c’est-à-dire unir en une notion unique des éléments divers, dont le lien n’est pas évident a priori. C'est ce que fait toute définition. Que je dise « le triangle est une surface plane délimitée par trois droites », ou que je dise « l'homme est un animal raisonnable », je réunis en une notion unique des notions qui, au départ, n'étaient pas reliées entre elles. Or, il ne nous est pas possible de « comprendre » de cette manière un seul des exemples donnés ci-dessus, pas plus qu’il ne nous était possible à partir de la figure 2 de vraiment « comprendre » pourquoi la quadrature du cercle est impossible. A ces niveaux, « comprendre », c’est, d'abord, accepter une description mathématique et, ensuite, explorer cet autre monde qui s’ouvre à nous si nous faisons confiance aux mathématiques et si nous nous laissons guider par leur rigueur – même si cette voie nous force à admettre des paradoxes « inimaginables ». Malgré ces paradoxes, on constate que « ça marche ! ». Si paradoxales que soient la théorie de la relativité d’Einstein ou la mécanique ondulatoire de de Broglie, elles fonctionnent et leurs conséquences s’observent parfois même à notre niveau, où elles deviennent vérifiables, si paradoxale et inattendu que ce soit. Ainsi de cette « compression » du temps qui a été observée de manière infime mais mesurable lors du vol de certaines fusées spatiales, ainsi de cette antimatière dont l'existence fut dûment constatée par l’équipe de Dirac. Et sans doute y a-t-il là un argument majeur qui nous force à admettre que ce monde mathématique est un monde premier, c’est-à-dire un monde de principes dont, en effet, notre monde physique dépend.

De même devra-t-on reconnaître, avec Eugene Wigner, et en contrepartie, que ce ne peut être par le seul processus darwinien évoqué ci-dessus, que notre logique et notre capacité de raisonnement ont pu atteindre à la perfection dont elles semblent être douées (11).

Et ce sera sans doute avec une certaine confiance que nous pourrons maintenant reprendre et répondre à la question qui taraudait Pythagore : non, tu n’as pas inventé les nombres, tu les as découverts, ce qui est tellement plus extraordinaire...

La numérologie

Notons en passant que si l’arithmétique pythagoricienne fut à l’origine de ces recherches remarquables concemant les proportions, elle avait aussi produit « cette mystique des nombres, dégénérant souvent en de grotesques travestis de la raison », comme le disait E. T. Bell (12). Selon Emile Bréhier, Aristote déjà avait souligné que la théorie de Pythagore conduisait malheureusement à « un symbolisme tout à fait primitif, d'après lequel le nombre représente l'essence des choses, selon les plus arbitraires des analogies (13) ».

Selon la conception de la numérologie pythagoricienne, les nombres ne seraient pas seulement des symboles ou des représentations de puissances ou de vertus; ils en seraient la réalité même. Ainsi 4, équilibre parfait de 2 + 2, ou 9 = 3 X 3, sont la justice. De même : 3, premier impair, est le principe mâle, et 2, premier pair, est le principe femelle, d’où, évidemment : 5 est le mariage et 6 la procréation. Par ailleurs, comme le note Tricot, traducteur d°Aristote :

le nombre Sept présentait, pour les Pythagoriciens, une importance particulière, car c’était, de toute la Décade, le seul qui ne fut ni produit, ni facteur (14).

Il était donc le nombre vierge, ajoute E. T. Bell (15).

Aristote ironise :

il y a sept voyelles, sept cordes ou modes musicaux, sept Pléiades ; c’est à l’âge de sept ans que certains animaux perdent leurs dents – mais pas tous ! - et ils furent sept contre Thèbes. Tient-il à la nature du nombre sept qu'ils furent sept contre Thèbes, ou que la constellation des Pléiades compte sept étoiles ? N’est-ce pas plutôt le nombre des portes de Thèbes ou n’importe quelle autre raison qui expliquent qu’ils furent sept ? Mais il faut se méfier de la facilité avec laquelle on peut établir ou découvrir de telles analogies dans les êtres éternels, alors que, même dans les choses corruptibles, on ne le peut qu’avec peine. (Métaph. N, 1093 a-b.)

On rappellera encore que les Sages de la Grèce antique furent sept, même si le nombre de ceux qui, ensemble, figurent sur les différentes listes qui en furent données dès l’Antiquité, dépasse la quinzaine : par leur dignité même les Sages ne pouvaient être que sept. De même le cinéma est-il pour nous le « septième art », non pas qu’il soit précédé de six autres, mais parce que ce nombre sept souligne le sens sacré et mythique des arts, quel que soit leur nombre.

Dans la Bible également ce nombre sept possède une signification magique ou mystique, comme en témoigne le passage célèbre du livre de Josué, qui décrit le siège et la prise de Jéricho :

Sept prêtres porteront devant l’arche sept trompettes retentissantes. Le septième jour, vous ferez sept fois le tour de la ville, les prêtres sonnant de la trompette. (Jos 6, 4.)

De même encore le trouve-t-on dans la doctrine chrétienne, qui recomaît sept péchés capitaux, sept actes de miséricorde, sept sacrements, etc.

Et bien entendu c'était sous les sept voiles transparents que la jeune Salomé réussit par ses danses lascives à séduire Hérode pour obtenir de lui la tête du Baptiste.

Notons que, si arbitraire et gratuite qu’elle soit, la numérologie pythagoriciemie a pu, à son insu, avoir des conséquences heureuses. C'est ainsi que l’arithmétique grecque, étant décimale comme la nôtre, tout nombre – et donc, pour les pythagoriciens, toute réalité – peut être représenté par une combinaison de dix chiffres. Aussi les pythagoriciens attachaient-ils une importance proprement sacrée à la représentation triangulaire de la Décade Tétractys.

 




Base de la numérotation décimale, la Tétractys a de plus des propriétés assez étonnantes, qui devaient soulever l’enthousiasme des pythagoriciens et qui devaient encore en souligner la valeur transcendante. Elle correspond à la progression 10 = 1 + 2 + 3 + 4 et cette progression renferme autant de pairs que d°impairs. Aussi était-elle évoquée et invoquée dans le « serment pythagoricien » :

[Je le jure] par Celui qui a révélé à nos têtes la Tétractys, qui est la source et la racine de la nature inépuisable.

Il importait donc, et c’était une obligation religieuse, de donner une fonction centrale au nombre dix dans la représentation du cosmos. C’est pourquoi il fallait qu’il y eût dix sphères célestes. Or, on n’en connaissait que huit : la Lune et le Soleil, les cinq planètes, la sphère des étoiles fixes. C’est la raison pour laquelle Pythagore fait de la Terre une planète, qui, elle aussi, a sa propre sphère et qui est donc animée de son mouvement propre. Mais comme cela ne fait toujours que neuf sphères, Pythagore ajoute encore une Antiterre, que nous ne pouvons voir pour l'excellente raison qu'elle est toujours à l’opposé de la Terre. Ajoutons que ce cosmos harmonieux tourne autour d’un feu central, et voilà pourquoi Pythagore abandonna la représentation géocentrique...

Ce n'est pas sans ironie qu’Aristote évoque la vision de Pythagore, en deux textes très révélateurs de sa propre mentalité empiriste :

et si une lacune se révélait quelque part, ils procédaient en hâte aux additions nécessaires, pour assurer la complète cohérence de leur théorie. Par exemple, la Décade paraissant être un nombre parfait et embrasser toute la nature des nombres, ils disent que les Corps célestes en mouvement sont au nombre de dix ; mais comme les corps visibles ne sont qu'au nombre de neuf, pour ce motif ils en supposent un dixième, l'Antiterre. (Métaph. A, 5, 986 a.)

De plus, ils construisent une seconde Terre, en opposition avec la nôtre, qu’ils appellent l’Antiterre. Et en ceci ils ne recherchent ni théorie, ni explication, mais ils falsifient les faits en fonction de certaines théories et de certaines opinions préférées, et de la sorte, pourrait-on dire, ils s’érigent en co-auteurs de la création et de l°univers. (De cœlo, II, 13.)

Notons en passant que cette critique pourrait tout aussi bien s’appliquer à la malheureuse « constante cosmologique » qu’Einstein, comme on l'a vu, s’était cru obligé d’insérer dans ses équations, pour que celles-ci ne se traduisent pas par la vision, inacceptable à l’époque, d'un univers en expansion...

Ainsi, la conception de Pythagore, quoique reposant sur des bases fausses et irrationnelles de part en part, avait conduit à une ébauche de vérité qui ne sera pas sans effet aux temps de Copernic.

On trouvera le même paradoxe chez Johannes Kepler (1571-1630), le vrai fondateur de l’astronomie modeme. Kepler prend comme point de départ de ses recherches le « dogme » numérologique platonicien, selon lequel ce ne peut être un hasard s’il y a cinq planètes ainsi que cinq, et seulement cinq polyèdres réguliers, ceux donc qui peuvent s’inscrire dans une sphère, soit le tétraèdre, l'hexaèdre, l’octaèdre, le dodécaèdre et l’icosaèdre (16). Ces polyèdres s’emboitent les uns dans les autres et chacune des sphères en lesquelles ils s’inscrivent, était censée porter une des cinq planètes.

Kepler, qui disposait des tables astronomiques patiemment mises au point par Tycho Brahé, était par ailleurs un observateur scrupuleux. Or, le plus curieux dans cette représentation évidemment gratuite est qu'elle correspondait presque aux observations effectuées. Pour éliminer les erreurs résiduelles qu'il avait observées, sans toutefois devoir rejeter la perfection des sphères célestes, Kepler allait d’abord leur donner une certaine épaisseur, et c’est à l’intérieur de ces enveloppes translucides qu’il voulut situer les orbites planétaires, l'épaisseur des enveloppes absorbant leurs inégalités. C’est là un autre exemple d'une solution ad hoc inventée pour sauver les apparences (17).

Peu à peu cependant, ne pouvant rendre compte d°une différence résiduelle de 8’ d'arc entre la position observée de la planète Mars et celle que donnait le calcul, Kepler se verra forcé d’abandonner la circularité des orbites pour la remplacer par l’ellipse. C°est ainsi qu’il sera conduit à formuler la première de ses lois, qui dit que l’orbite de chacune des planètes est une ellipse, dont le soleil occupe un des foyers (18).


Notes

(1). C'est incidemment cette confluence des deux grands courants philosophiques qui permettra l’éclosion du nouvel esprit scientifique, et en assurera le succès.
(2) Eugene WIGNER, « The Unreasonable Effectiveness of Mathematics in the Natural Sciences », Communications in Pure and Applied Mathematics XIII, 1960, p. 1-14 (http://www.dartmouth.edu/matc/MathDrama/reading/ Wigner.htlm) : « The miracle of the appropriateness of the language of mathematics for the formulation of the laws of physics is a wonderful gift which we neither understand nor deserve. » (3) lbid. : « Surely in this case “we got something out” of the equations that we did not put in. » (4) François Meyer, Problématique de l’évolution, Paris, Presses universitaires de France, 1954, p. 235.
(5) La mécanique classique de Newton prévoyait également une déviation du rayon lumineux, mais moindre que la déviation prévue par Einstein. (6) Jean-Paul DELAHAYE, Le Fascinant Nombre Pi, Paris, Belin - Pour la Science, 1997, p. 31. (7) Ibid, p. 30-31. (8) Entre autres : www.facade.com/legacy/amiinpi
(9) On peut supposer que les catégories fondamentales de la pensée magique aient également eu au début de l’humanité une certaine utilité pratique, ne fût-ce que par la confiance que nos ancêtres en acquerraient dans leur confrontation aux forces de la nature. Néanmoins, les principes cognitifs « rationnels » qui donnaient une image plus exacte du monde extérieur, allaient progressivement dominer et prendre la première place dans notre outillage mental. (10) On en discutera ci-après. (11) Voir le site : www. dartmouth.edu/matc/MathDrama/reading/Wigner.html (12) Eric Temple BELL, The Magic of Numbers, New York-Londres, McGrawHill, 1946, p. 129. (13) Émile BRÉHIER, Histoire de la philosophie, Paris, Presses universitaires de France, 1945, p. 53. (14) Joseph TRICOT, Aristote, la Métaphysique, t. II, Paris, Vrin, 1953, p. 838, n. 3. (15) Eric Temple BELL, The Magic of Numbers, p. 158. (16) Rappelons que Hegel, pour des raisons compréhensibles par lui seul sans doute, avait affirmé dans sa dissertation de 1801, qui portait sur Les Orbites des planètes, qu’il ne pouvait y avoir plus de sept planètes. C'était, malheureusement, l'année même où fut découverte Cérès, qui, vu sa masse, fut comptée comme huitième « planète ». Notons en toute honnêteté, que le débat concernant la signification exacte de l'affirmation de Hegel n'a pas cessé jusqu’à ce jour de faire rage dans les milieux hégéliens. Le site de Google n'offre pas moins de… 38 700 entrées à ce sujet ! (17) Cette solution ressemble étonnamment à celle que certains exégètes avaient proposée pour mettre le nombre π en accord avec la mesure qu’en donne la Bible. Dans le premier livre des Rois, on lit que Hiram, le fondeur de Salomon, fit une mer de bronze, qui avait dix coudées d’un bord à l’autre. Elle était parfaitement ronde, haute de cinq coudées, et sa circonférence se mesurait avec un fil de trente coudées (1 R 7, 23, passage similaire dans 2 Ch 4, 2), ce qui donnerait à π une valeur de 3. Lorsqu°il devint évident, quelques siècles plus tard, qu’il fallait adopter une valeur plus précise, un rabbin astucieux fit remarquer que la Bible ne précise pas s'il s’agit du diamètre intérieur ou extérieur de la vasque de bronze. Rien n’excluait donc que ce fut le diamètre extérieur de la vasque qui mesurât 10 coudées, tandis que ce serait la circonférence intérieure qui en mesurerait 30.
(18) L’ellipse et les autres sections coniques étaient bien connues et avaient été étudiées en détail par les mathématiciens grecs, en particulier par Apollonios de Perga (IIIe siècle av. J.-C.). De telles recherches cependant semblaient n’avoir aucune portée pratique imaginable, aussi les Grecs y voyaient-ils un bel exemple de la gratuité des mathématiques, pratiquées pour le pur plaisir de l’intelligence. Kepler découvrira avec émerveillement que ces coniques recelaient en fait la solution qu’il recherchait en vain depuis tant d’années. Ici encore, la théorie mathématique avait précédé l’observation physique.
 

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