Qu'est-ce qu'un sondage?
"Le sondage d'opinion semble relever à la fois de la science, forme moderne dominante de la vérité, et de l'opinion publique, forme moderne dominante de la légitimité." (Pierre Martin, Le Monde Diplomatique)
"Le sondage d'opinion semble relever à la fois de la science, forme moderne dominante de la vérité, et de l'opinion publique, forme moderne dominante de la légitimité(1)."
- Le sondage est un instrument d'observation (et non de participation) mis au point à partir de deux techniques déjà utilisées séparément: l'échantillonnage, qui appartient au domaine des statistiques, et le questionnaire, utilisé pour la recherche en sciences sociales. La bonne idée de Gallup a été de marier ces deux instruments. Son premier grand succès fut la prédiction de l'élection de Roosevelt contre Landon, en 1936, à l'aide d'un échantillon de 5000 personnes. Ainsi, la découverte spectaculaire des sondages, effectués sur une base probabiliste, est liée aux élections et s'est imposée dans le domaine politique "grâce à son caractère le moins scientifique: la fonction d'oracle(2)."
Qui sont les sondeurs?
On distingue trois principales catégories de sondeurs. La première regroupe les spécialistes du marketing, y compris du marketing politique. Leurs travaux sont rarement publiés à cause du caractère confidentiel des résultats, auxquels seuls les commanditaires ont accès.
Le deuxième groupe de professionnels s'occupe des sondages d'opinion, notamment des sondages politiques. Leurs travaux sont plus visibles et leurs résultats sont publics.
Enfin, le troisième groupe est formé par les spécialistes de la communauté scientifique, sociologues ou autres, qui utilisent les sondages pour étayer leurs recherches. Ils coopèrent souvent avec les instituts de sondage. - Le côté scientifique des sondages: l'échantillonnage
Pour que les résultats d'un sondage soient fondés, il faut respecter quelques conditions concernant la taille minimum de l'échantillon. La précision d'un sondage est proportionnelle à la racine carrée du nombre d'individus constituant l'échantillon; il faut donc augmenter de beaucoup le nombre de personnes interrogées pour améliorer un peu la précision du sondage, ce qui devient de moins en moins rentable. Par ailleurs, la précision du sondage est fonction de la taille de l'échantillon en valeur absolue, et non en valeur relative; ainsi, un échantillon de 1000 personnes peut être représentatif, que les individus proviennent de la population du Québec, du Canada ou des États-Unis. Enfin, si on veut interpréter les résultats pour différentes sous-catégories de personnes, (par exemple les femmes, les gens dans la trentaine, les chômeurs, etc.), il faut s'assurer que l'échantillon contienne un nombre suffisant d'individus par sous-catégorie, pour obtenir une précision respectable. On peut aussi attribuer des coefficients de pondération proportionnels au nombre de personnes appartenant aux différentes catégories et en tenir compte dans l'interprétation des résultats.
Comme son nom l'indique, l'échantillon aléatoire fait appel au hasard. Il est basé sur le fait que chaque élément de la population étudiée a une chance égale d'être choisi pour constituer l'échantillon. Par exemple, pour établir un échantillon aléatoire des étudiants de l'Université de Montréal, on attribue un numéro à chacun et on tire un certain nombre de numéros au hasard. C'est relativement facile à faire à l'aide d'un ordinateur ou d'une table de nombres aléatoires. Cette méthode pose toutefois un problème car si un individu ne veut pas répondre, il est en principe non permutable.
Un des plus grands dangers qui menacent la valeur d'un échantillon est le biais systématique. Un biais systématique est un facteur qui influence les résultats d'un sondage d'une façon déterminée. Par exemple, un sondage téléphonique réalisé dans l'après-midi risque de négliger certaines catégories de personnes et de rejoindre surtout les gardiennes, les retraités, les chômeurs, etc. De même, dans un sondage électoral il y a souvent sous-estimation du vote pour un parti de droite, car les gens n'aiment pas exprimer cette préférence.
Il est relativement facile de tenir compte d'un biais systématique bien connu, et les instituts de sondage préfèrent rectifier leurs résultats avant de les publier. Ce procédé n'a peut-être pas l'air très scientifique, mais même si les corrections sont difficiles à formuler mathématiquement, elles n'en ont pas moins un fondement rationnel. Après tout, quand on sait qu'on va se tromper, il serait absurde de ne pas corriger...
L'emprunt aux sciences humaines: le questionnaire
Il n'y a pas de question transparente car il n'y a pas de langage neutre. Ainsi, certaines questions appellent la réponse. Par exemple, les résultats ne sont pas les mêmes selon que l'on demande aux Américains "Pensez-vous que les États-Unis doivent autoriser les discours publics contre la démocratie?" ou bien "Pensez-vous que les États-Unis doivent interdire les discours publics contre la démocratie?(3)". On ne peut jamais être sûr de la signification d'une réponse à une question isolée. C'est son contexte et la corrélation avec les réponses à d'autres questions qui permettent de savoir comment la question a été comprise. Heureusement, il existe des méthodes scientifiques pour calculer méthodiquement les corrélations entre les questions.
Par ailleurs, les réponses au questionnaire peuvent aussi être influencées par la personnalité de l'enquêteur. Certaines distorsions sont évidentes, comme dans le cas où un Noir pose une question sur le racisme, par exemple. D'autres plus subtiles, sont reliées à la voix ou au visage de l'enquêteur.
(1). MARTIN, Pierre, "Ces sondages ventriloques" dans Le Monde diplomatique, "Manière de voir", 19, p.49, sept. 93
(2). Ibid.
(3). BON, Frédéric, Les sondages peuvent-ils se tromper? Paris, Calmann-Lévy, 1974