Les dangers du moralisme
Les moralistes ne sont pas moins dangereux. Étrangers comme les doctrinaires à la réalité vivante de l'histoire, ils lui opposent, non pas un système de raison, mais des exigences morales prises dans leur plus vaste généralité. Au lieu de faire peser sur l'histoire une forte structure spirituelle qui, par une connaissance approfondie des nécessités et des techniques de l'époque, se serait donné un appareil d'action précis, ils diffusent une énergie de grande valeur dans une éloquence de bonne volonté mais inefficace. Certains cherchent à dépasser le discours moral. Ils conduisent bien à une critique spirituelle des forces mauvaises. Mais quand ils abordent la technique offensive, ils semblent ne compter qu'avec des forces morales et surtout des forces morales individuelles. Ils harmonisent de très pures suppositions dans une manière d'art sulpicien de la réalité sociale. Ils exhortent justement les individus à cultiver les vertus qui font la force des sociétés. Mais ils oublient que des forces historiques déchaînées de leur soumission au spirituel ont créé des structures collectives et des nécessités matérielles qui ne peuvent être absentes de nos calculs, si ‘’le spirituel est lui-même charnel’’. Ils sont un danger permanent de faire passer au-dessus, c'est-à-dire à côté de l'histoire les forces spirituelles dont nous voulons précisément animer l'histoire.
Emmanuel Mouner, Premier manifeste personnaliste