Le souffle de l'apocalypse

Hélène Laberge

Un livre de Mario Pelletier

Une recension de Hélène Laberge

 

Nonobstant un titre qui évoque une fin du monde, ou du moins la fin d’un monde, ces poèmes sont d’abord un recueil au sens littéral du mot.

Vieillir c’est cueillir, recueillir, rassembler en une gerbe désormais impérissable, définitive, les souvenirs et les images des événements tels qu’ils se révèlent à l’auteur « crucifié sur l’espace-temps » et qui les révèle à son tour à ses lecteurs dans une « mer remplie d’épaves de douleurs rouillées ».

Mario Pelletier devant « l’inconnu qui s’avance océan noir » n’a d’autre refuge que dans cet hymne à la femme aimée, si beau, qu’on trouve dans Par delà les temps, le dernier chapitre de son livre.

Les titres qui coiffent les vers de Mario Pelletier sont ses révélations : Le grand hiver, Remontée en pays aboli, La saga de l’ego, Avec d’autres de mon âge, À contre-courant d’apocalypse, Par-delà les temps.

Un jour

bientôt

qui sait

quand les airs seront sans oiseaux

et les arbres décapités

 quand nous serons exilés du Soleil

 cherchant un dernier souffle

 dessus la Terre mère morte

 avec des mots

 qui n’auront plus d’écho

(...)

J’entrevois cyborgs et androïdes

 rêvant de femmes silicones

 en des Hawaïs de de silice et de plastique

 bavardant multilingues en codes machines

 dans les abris souterrains de hivers nucléaires

 programmant la mort des derniers humains. »

(...)

Et toi qui as vingt ans et qui lis peut-être ces visions, garde-toi de les juger inspirées par la vieillesse, toi qui danses ta jeunesse en riant. Elles sont contenues en ces codes machines obsédants qui t’enseignent à te jouer d’elles à chaque heure, à chaque jour, à chaque nuit.

Tu n’auras pas connu les

« Étés nu-pieds dans les herbe folles

le monde était nu et vierge

tout chaud sorti  de la matrice des  rêves

arbres, nuages et maisons dansaient

avec lui qui courait les lièvres et les papillons »

Sais-tu ce qui t’attend dans la saga de l’ego...

« Tant de jours à s’escrimer en vain

sur les glaces fondantes des fidélités

hockey sournois des serments et des trahisons

joute mortelle des amours déconjuguées

dans des villes de suie et de rances regrets

que les lendemains de pluie maquillaient d’oubli »

 

Tu deviendras alors plus sensible peut-être « aux morceaux d’épopées volant plein la tête ».

« Avant je me semblais

avec d’autres de mon âge

porteur de grandes gestes enfouies

d’un passé taillé à la hache

et de morceaux d’épopées

volant plein la tête

dans des espaces avides de grandeur (...)

 

Le pays alzheimer

ne se souvient plus de rien

Aux goulags de l’anti-mémoire

les soviets post-modernes

châtreurs d’identités

baillonnent les dissidents

 

Après l’ardeur de la jeunesse qu’évoque le poète : ces « corps qui foncent sans freins vers l’horizon qui se rétrécit », (...)

Quelle sera ton espérance « crucifié sur l’espace-temps »?

« Y aura-t-il une grâce

 qui nous saisira encore vifs

  avant la dernière supplique

 quand rien n’aura plus raison d’être

 sur le tumulus des années abattues    :»

Puisses-tu alors accueillir l’apparition qui rachète tout :

« Si tout cela n’avait été que pour

 toi devant moi apparue

 enfin

 un soir de feuilles fanées

 et de pages déchirées

 où tout espoir semblait éteint

 tout cela n’aura pas été vain

Seul l’amour nous justifie » 

Et nous inspire l’hymne à l’être aimé :

« Toi dont tous les gestes sont danses

toi dont le regard balaie toute obscurité

toi qui pleures la mort d’un arbre

et craint le poids d’un grêlon sur une fleur

toi qui nourris des amitiés dans l’invisible

toi qui entretiens des alliances avec l’au-delà

Toi dont le cœur est un grand cosmos d’amour.

De tout mon être de néant je t’aime. »

***

Mario Pelletier fait une lecture intégrale du livre (29 min), sur une vidéo avec accompagnement de musique en sourdine et d'images qui créent des métaphores visuelles complémentaires. C'est sur Vimeo, à l'adresse : https://vimeo.com/305123179

Lire de la poésie est un grand défi, plus forte raison ses propres poèmes. Il y faut à la fois une distance d’avec soi-même, un rythme sensible et une langue pure. Mario Pelletier relève admirablement cette triple exigence.

 

Notes

1.       Écrits de Forges, 2018, 992-A rue Royale, Trois-Rivières (Québec) G9A 4H9 Tél. 819- 840 84 92

2.       Quelques œuvres de Mario Pelletier : La traversée des illusions, essai autobiographique, Fides, Montréal, 1994. Au temps des loups de Stal;ine, , roman historique, Fides, Montréal, , 2012. Les amants de la dernière heure, co-écrit avec Pauline Lafleur, Transit Montréal-Paris, 2011. Pour une liste complète, cf Le souffle de l’apocalypse.

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