Le bonheur de l'homme à pied
La marche et la rêverie, voire la réflexion, font bon ménage.
Rien n'est charmant, à mon sens, comme cette façon de voyager. - À pied! - On s'appartient, on est libre, on est joyeux, on est tout entier et sans partage aux incidents de la route, à la ferme où l'on déjeune, à l'arbre où l'on s'abrite, à l'église où l'on se repose. On part, on s'arrête, on repart; rien ne gêne, rien ne retient. On va et on rêve devant soi. La marche berce la rêverie; la rêverie voile la fatigue. La beauté du paysage cache la longueur du chemin. On ne voyage pas, on erre. À chaque pas qu'on fait, il vous vient une idée. Il semble qu'on sente des essaims éclore et bourdonner dans son cerveau. Bien des fois, assis à l'ombre, au bord d'une grande route, à côté d'une petite source vive, d'où sortaient, avec l'eau, la joie, la vie et la fraîcheur, sous un orme plein d'oiseaux, près d'un champs plein de faneuses, reposé, serein, heureux, doucement occupé de mille songes, j'ai regardé avec compassion passer devant moi, comme un tourbillon où roule la foudre, la chaise de poste, cette chose étincelante et rapide, qui contient je ne sais quels voyageurs lents, lourds, ennuyés et assoupis; cet éclair qui emporte des tortues. Oh! comme ces pauvres gens se jetteraient vite à bas de leur prison, où l'harmonie du paysage se résout en bruit, le soleil en chaleur, et la route en poussière, s'il savaient toutes les fleurs que trouve dans les broussailles, toutes les perles que ramasse dans les cailloux l'imagination allée, opulente et joyeuse d'un homme à pied!"