L'amiral du lac Champlain

Pierre Biron

L'amiral du lac Champlain

Tel était le surnom de Joseph Payant dit Saint-Onge

Pourquoi vous raconter cette parcelle de l’histoire du lac Champlain ? Parce que durant 150 ans ce lac était Français et son histoire, c’est aussi la nôtre.

Il signait Joseph Payant. Fils de Jacques Payan soldat des troupes de la Marine devenu cordonnier & Louise Morin, baptisé Joseph-Jacques le 19.1.1700 à Québec, élevé rue des Pauvres face à l’Hôtel-Dieu, marié à Québec le 2.11.1721 à Marie-Geneviève dite Marie-Jeanne Legris décédée à Québec le 2.3.1753, maître de barque durant 17 ans (1743 à 1760), il appartient à la petite histoire du lac Champlain parce qu’il en fut le premier pilote commercial sous le Régime français et qu'il participa bravement à la Guerre de Sept Ans.

À ses débuts le fort Saint-Frédéric (auj. Crown Point NY) était ravitaillé seulement par des chaloupes depuis le fort Sainte-Thérèse (sur la rive ouest du Richelieu face au nord de l’île du même nom) mais en 1742 les frères Corbin de Québec, charpentiers et constructeurs du roi construisirent au fort Saint-Frédéric la goélette Saint-Frédéric de 45 tonneaux pour relier Saint-Jean au fort Saint-Frédéric.

Premier et unique pilote

Saint-Onge en fut le premier et unique pilote, surnommé aussi « l’amiral de la barque du roi » et il venait aussi, comme sa barque, de Québec. De 1746 à 1754 il fait partie des résidents du fort Saint-Frédéric à Crown Point NY (alias Pointe-à-la-Chevelure); il rate donc le mariage en mai 1746 de son fils aîné à Québec parce qu’il est déjà présent à Crown Point pour la saison de navigation, bien qu’il réside à Québec l’hiver.

Il transporte le naturaliste finno-suédois Pehr Kalm

Le 19.7.1749 vers 11h00 au fort Saint-Frédéric c’est Saint-Onge qui embarque l’illustre naturaliste suédois Pehr KALM, qui raconte que: « Le yacht qui navigue tout l’été entre les forts Saint-Jean et Saint-Frédéric... qui nous a conduit à Saint-Jean est le 1er qui ait été construit ici et qui ait jamais navigué sur le lac Champlain, car autrefois en n’employait que des batteaux pour transporter les provisions. Le capitaine était français d’origine mais né dans ce pays; il avait lui même (sic) bâti son yacht et fait les sondages pour trouver une route sûre entre les forts Saint-Jean et Saint-Frédéric »

Pour rappel, batteau est un ancien terme Nord-Américain adopté par les Anglais – batteau, au lieu de shallop – désignant une longue chaloupe à rame à fond plat aux extrémités effilées maniée par 6, 8, 10 hommes ou plus, parfois à voile, aussi à l’aise dans le Richelieu que le lac Champlain et capable de porter de petits canons

Il joue un bon tour aux Anglais

L’été 1759 est celui de la débandade des français sur le lac. Après avoir abandonné le fort Carillon (Ticonderoga NY) et le fort Saint-Frédéric (Crown Point NY) aux troupes anglaises, on se dirige vers l’Île-aux-Noix et vers le fort St-Jean pour y trouver refuge.

Le 12 octobre Saint-Onge commande les 70 tonnes de La Vigilante, goélette à voiles latines et 10 canons, bâtie par Nicolas René Levasseur à Saint-Jean en 1757. La veille il mouille pour la nuit entre South Hero Island (aussi nommée Grand Isle, VT) et North Hero Island VT, abrité derrière une pointe. Au point du jour il aperçut heureusement à travers les Sister Islands (alias Îles-au-Bois-Blanc) un brigantin de 20 pièces de canon, le Duke of Cumberland, et un seneau, le Boscawen, aussi fort que sa goélette, que les commandants anglais s’apprêtent à attaquer. Saint-Onge s’enfuit immédiatement dans le chenal (the Gut pour les plaisanciers d’aujouird’hui) de Grand Isle qui le mènera à la baie Mississisquoi.

Le brigantin lui donna la chasse et s’en serait emparé mais il s’échoua, ce que Saint-Onge souhait, il avait déjà sondé les endroits stratégiques du lac et savait que les capitaines anglais n’étant pas des habitués des hauts-fonds entourant les deux petites Sister Islands, c’est en les frôlant qu’ils s’échouent et doivent attendre un vent favorable.

Ce qui permit à sa goélette de filer rondement vers la baie de Mississiquoi toutes voiles dehors longeant la côte est de North-Hero Island. Le brigantin et le seneau anglais durent attendre un vent nord-est pour finalement se dégager.

Laissons la parole aux historiens

Voici comment Nicolas des Meloizes relate l’événement : « Il arriva dans la nuit du 12 au 13 octobre 1759 deux matelots qui dirent à Mr de Bourlamaque que la barque commandée par St Onge avoit été poursuivie par un senault anglois et une esquif à canon, qu’elle auroit été prise infaïblement si le senault ne s’étoit point échoué. St-Onge entra dans la rivière Missisquouë où il est encore. C’est lui qui a tiré tout le canon entendu hier pour nous avertir et [avertir] les chébecs au cas qu’ils ne soient pas pris »

Et voilà la version de l’historien Philippe Demers : « Au point du jour, Saint-Onge aperçut heureusement à travers les Îles au bois blanc (maintenant Sisters Islands), un brigantin de vingt pièces de canon et un senau aussi fort que sa goélette lesquels se préparaient à l’attaquer; il s’engagea immédiatement dans le chenal de la grande île. Le brigantin lui donna la chasse et il s’en serait emparé, lorsqu’il s’échoua, tandis que la goélette filait vers la baie de Missisquoi, toutes voiles au vent…

Tous croyaient, à l’Île-aux-Noix, que la goélette de St-Onge était prise ou brulée; elle attendait tranquillement depuis trois jours au nord de l'Île-à-Lamothe un vent favorable et elle fut la seule à rentrer au port. L’expérience du vieux pilote valait mieux que la science de l’officier de la marine »

La perte de l’Île-aux-Noix… et de la goélette de Saint-Onge

En 1760 les Anglais veulent attaquer le fort de l’Île-aux-Noix. Le lieutenant-colonel William Haviland dirige 3 400 hommes, le commandant Rogers dirige 400 miliciens (les Rangers) qui assiègent du 16 au 20 août. Le 25 aout la goélette de Payant St-Onge est prise par Rogers ; le 28 août à minuit le commandant Bougainville, assigné au secteur du Richelieu, abandonne le fort, y laisse 40 hommes, marche sur la rive est du Richelieu vers Saint-Jean.

Le 29 août Bougainville brûle Fort Saint-Jean, s’enfuit vers Chambly que capturent Rogers et Darby sans coup de feu, juste avant que les 17 000 hommes de Amherst, Haviland et Murray entourent Montréal et fassent capituler le gouverneur Vaudreuil.

C’est le temps de la retraite

Les Anglais gagnent la Guerre de Sept-Ans. Le lac Champlain passe au Régime anglais après 150 ans de Régime français, soit de 1609 à 1759. Payant, âgé de 60 ans, comprit que sa carrière était finie. Le drapeau qu’il avait servi avait repassé les mers; le beau lac qu’il avait défendu était abandonné à l’état de New-York par  cette malencontreuse proclamation que fut le traité de Paris de 1763. Il se contenta désormais du titre d’ancien marinier et se retira à Chambly.[ Plusieurs St-Onge au Québec descendent de lui, dont le philosophe et socio-économiste Jean-Claude St-Onge, auteur de L’envers de la pilule, un best-seller chez Écosociété]

Référence : Philippe Demers. L'amiral du Lac Champlain : Joseph Payant dit St-Onge : essai de monographie régionale

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Pierre est l'auteur de l'Alter dictionnaire médico-pharmaceutique bilingue.

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